Dans la ville de Tizi-Ouzou, entre le campus Hasnaoua de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou et en amont de la faculté de médecine, des bouquinistes sont remarquables à proximité de la place dédiée à Moh Achour Belghezeli, détenu du Printemps 1980 et journaliste assassiné le 17 février 1996 à Tizi-Ouzou, lui et Dalila Drideche.
Sans montrer aucune concurrence, ils sont quatre à cinq hommes, la cinquantaine passée, à proposer un riche éventail de livres pour les passants, dont des étudiants qui se sont déjà familiarisés avec eux. Lorsque nous avons voulu les aborder, ils étaient plutôt réservés. «Nous ne voulons pas de problèmes avec la police, nous sommes mal vus par ce corps de sécurité. On croit toujours que nous travaillons dans l’informel même maintenant que nous avons l’autorisation du maire de la commune de Tizi-Ouzou», nous diront ces bouquinistes. Après leur avoir expliqué les raisons pour lesquelles nous sommes allés les voir, ils ont accepté de nous parler. «Je suis retraité. Ce que je fais maintenant vaut un repérage pour ma vie. Je voudrais tenir ma vie active, c’est dans ce cadre que je lui trouve un sens. Je suis content lorsque je vends des livres, mais je suis plus content quand je vois des gens s’intéresser aux livres et à la lecture», nous dira l’un d’eux. Et d’ajouter : «Mon expérience dans le domaine me permet de reconnaître les bons et les mauvais lecteurs, car acheter un bouquin ne veut pas dire qu’on est passionné de lecture. La lecture qui n’incarne pas la bonne éducation dans les esprits, à quoi servirait-elle ?». Pour étayer encore plus ses propos, il enchaîne : «Il y a ces clients qui, en achetant un livre, fixent le prix d’eux-mêmes, et exigent de toi un sachet ! Mais il y a aussi des lecteurs qui te remercient en affichant un grand sourire. La différence entre les deux, c’est que les deuxièmes sont de vrais lecteurs et ils savent que le sachet ne fait que polluer la nature». Et d’étaler encore ce sujet : «Je ne sais s’il est passé ou pas encore aujourd’hui, un ingénieur retraité qui habite au bâtiment d’en face. Chaque matin, il prend son sac et fait le marché à pieds, je l’ai remarqué et connu par la suite, il n’utilise jamais un sachet en plastique (noir), c’est un exemple à suivre et dont l’éducation est à la hauteur de son statut d’ingénieur». Et à un autre bouquiniste d’intervenir : «Notre présence ici se veut une échappatoire, ceux qui s’arrêtent à nous, feuillètent les livres et voyagent entre Zola, Hugo, Ibn Khaldoune et bien d’autres. Des fois ils achètent, des fois non, ils oublient carrément les encombrements et les klaxons de véhicules auxquels ils tournent le dos». Et d’ajouter : «Nous travaillons avec les étudiants, et dans la plupart du temps ils trouvent ce dont ils ont besoin en matière de livres chez nous». Cet interlocuteur termine en regrettant la situation dans laquelle ils travaillent, lui et ses camarades. «À Alger, des bouquinistes comme nous à la grande poste, on leur a légalisé les mobiles bouquineries et ils mènent heureusement leurs jours de marchands de livres», dira-t-il.
Noureddine Tidjedam