Des écrivains du monde entier évoquent leur passion ambiguë pour le football

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“Ce qui rend le foot moderne, c’est que chacun sait qu’il est complètement stupide, et cependant si intense », a déclaré sans ambages l’écrivain britannique Tim Parks, lors de ce séminaire organisé dans le cadre des festivités culturelles en préparation du Mondial-2006.L’auteur anglais, qui connaît bien le milieu des “tifosi” italiens pour s’être immergé pendant un an dans leur univers (“Une saison de Vérone”, 2002), évoque un “délire collectif, un antagonisme et une tension violente” qui font du football un “endroit de transgression où on peut expérimenter des choses dangereuses”. »Là où il n’y a aucune tension, nous détestons ces matches », ajoute l’écrivain, qui a suivi le Calcio « avec les supporteurs les plus dingues ».Pour l’Allemand Burkhard Spinnen, qui évoque dans son oeuvre sa jeunesse à Mönchengladbach -cette ville de l’Ouest industriel qui trouva la gloire dans les années 1970 grâce à son club cinq fois champion d’Allemagne-, « ce qui se passe dans un stade conduirait à une guerre partout ailleurs ».Pourtant le supporteur de football n’est pas le stupide amateur de bière souvent décrit par le cliché: « Regarder du foot n’a rien d’un acte passif, c’est un travail intellectuel, où les spectateurs commentent et échangent », souligne M. Spinnen. »Le foot contribue beaucoup à forger les identités nationales, notamment en Afrique où les Etats, créés de toutes pièces par les colonisateurs, en manquent cruellement », souligne la Franco-Camerounaise Calixthe Beyala. »Moi-même, je suis une grande supportrice des Lions indomptables (l’équipe du Cameroun). Mais pendant que les gens se passionnent pour leurs exploits, ils pensent moins à leurs problèmes quotidiens, et le pouvoir en profite. C’est toute l’ambiguïté du football », résume-t-elle.En Corée du Sud également, les intellectuels sont désormais prêts à reconnaître au football un rôle dépassant le simple cadre sportif, souligne le poète coréen Hwang Chi-woo. »Avant, ce sport était surtout considéré comme un instrument de manipulation du peuple. Mais le Mondial-2002, organisé chez nous, a changé la donne: les préjugés sont tombés, et nous avons constaté l’immense impact du football sur la société ». Selon lui, il a rendu plus communicative une société traditionnellement figée sous une chape de plomb autoritaire. »Le plus étonnant, c’est cette ferveur qui a saisi le pays autour de la couleur rouge (celle de l’équipe nationale, ndlr). Avant, les Sud-Coréens avaient un complexe du rouge, couleur associée au communisme, au Nord. Avec le Mondial, les gens se sont habillés de rouge, ont fêté cette couleur. C’était un grand pas de notre société vers la modernité. »Comme son confrère coréen, l’écrivain russe Victor Erofeev, qui a grandi dans une dictature, voit également dans le football, « quasiment militarisé en URSS », « un moyen pour le pouvoir de manipuler les masses ». Et il lui arrive encore de « s’ennuyer beaucoup » lors de certaines rencontres.Mais pas dans toutes: le 25 mai dernier, dans les tribunes du stade d’Istanbul où Liverpool a remporté la Ligue des champions face au Milan AC au terme d’un incroyable suspense, l’écrivain russe a vécu un « moment de poésie ». « Quand Liverpool était mené 3-0 à la mi-temps, les fans anglais déchiraient leurs vêtements, c’était du Shakespeare, une tragédie nationale. » »60.000 personnes qui s’émeuvent et vibrent ensemble: je ne peux qu’aimer le football », conclut-il.

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