La fin annoncée du "consensus" social

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Les Algériens commencent l’année avec la mauvaise nouvelle de l’augmentation du prix des carburants, affichés dès vendredi dernier. Il n’a pas fallu plus de deux jours pour que des transporteurs affichent, à leur tour, les nouveaux tarifs pour le transport de voyageurs sur un grand nombre de lignes, à commencer par les navettes de fourgons qui sillonnent la Kabylie. Il en sera de même assurément pour les transports de marchandises, ce qui se répercutera immanquablement sur les prix des produits de large consommation, déjà portés à la hausse au cours de ces derniers mois à la suite de la dévaluation du dinar par rapport au dollar et à l’euro, principales monnaies usitées dans l’importation des matières premières et des semi-produits. Il ne faudra pas être surpris par un système d’augmentation des prix en cascade, lorsqu’on touche aux carburants, un maillon fort stratégique dans la structure des coûts de production et de prestation de services. Ce que le coût de production gagne peut-être par la faiblesse des salaires ou l’intégration d’une partie informelle, il le perdra par le rehaussement des produits énergétiques. L’équation devient encore plus complexe dans une économie mal structurée, livrée à des circuits commerciaux de lobbying, échappant en grande partie à la régulation par les organes de l’Etat. Sur le plan social, l’on risque manifestement de perdre tout ce qui a été acquis par la grâce des différentes tripartites, lesquelles, depuis 2008, ont boosté parfois artificiellement, le pouvoir d’achat des Algériens. Ce qui fut appelé le « consensus social » ou le Pacte économique et social, avait nécessairement ses limites que l’on ne pouvait distinguer clairement à l’ombre d’un baril de pétrole à 120 dollars. Imaginer que l’on pouvait continuer la même politique sociale avec un baril à 37 dollars, constitue une vraie déraison, doublée d’une profonde stupidité. Et dire que les augmentations ayant touché les produits énergétiques ne rentreront pas dans les caisses des organismes ou entreprises qui les produisent. Ce sont des taxes qui vont alimenter le budget de l’Etat. En d’autres termes, les subventions au soutien du prix de ces produits sont toujours en vigueur. Mais, cette transition, qui s’inscrit dans une série d’interminables transitions, sera franchement délicate à vivre par les franges de la société les plus fragiles. Il faut dire que notre pays ne s’est pas préparé à une telle chute des prix du pétrole sur les cours mondiaux. On gérait et consommait comme si la rente n’avait pas de fin et comme si le marché du pétrole était entre les mains des Algériens. Les populations, éreintées par des étapes successives que l’on a appelées faussement transitions économiques, risquent de ne pas comprendre cette remise en cause d’un pouvoir d’achat que, à un certain moment, l’on nous montrait qu’il était à notre portée. Les experts algériens qui avaient émis de fortes réserves quant à l’utilisation de la manne financière, disponible du milieu des années 2000 jusqu’à 2014, n’avaient malheureusement pas tort. Ils avaient proposé qu’une partie de cette manne fût consacrée à la réhabilitation de l’entreprise algérienne- pour les produits de laquelle on libère cette semaine le crédit à la consommation- par la formation managériale et la mise à niveau technique et technologique. Certaines infrastructures, qui ont consommé des milliards de dollars et enrichi des entreprises de réalisation étrangères, pouvaient attendre. La preuve, aujourd’hui, le Premier ministre a décidé de geler un certain nombre de projets de même dimension. La réhabilitation de l’entreprise algérienne et de la culture entrepreneuriale sont les conditions sine qua non d’une ébauche de la diversification économique dont on déplore aujourd’hui l’absence.

Le recours du budget de l’Etat aux solutions de taxation des produits de première nécessité est dicté par le manque de ressources après la chute vertigineuse des prix du pétrole. Un phénomène qui s’inscrit en toute apparence dans la durée, vu les positions inchangées de l’Opep et de l’Arabie Saoudite à propos du maintien du niveau de production, mais aussi d’autres aléas géostratégiques ou liés à la production de nouvelles énergies non conventionnelle (gaz et pétrole de schiste). Devant une telle impasse, l’Algérie, mal préparée à exporter autre chose que de l’énergie fossile, se rabat sur des « comptes d’apothicaires » consistant à chercher à renflouer les caisses de l’Etat par une taxation plus forte des produits de large consommation. Attitude cornélienne pour un système économique et social qui n’a pas été fondé sur l’effort et les valeurs du travail. Aujourd’hui, le défi urgent du gouvernement est de savoir manœuvrer pour concilier rigueur budgétaire avec ce qu’on appelle confusément la politique sociale de l’Etat. Le challenge est de taille.

Amar Naït Messaoud

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