Périls sur la mémoire et l'Histoire algériennes

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Le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, a appelé la semaine passée, à une « sauvegarde optimale » des sites archéologiques protégés, et ce, par une intensification des fouilles et des opérations d’archéologie préventive ainsi que par l’exploitation économique des biens patrimoniaux. Il a également mis en avant la nécessité de la mise à niveau technologique des intervenants sur les sites protégés, afin que les périmètres sauvegardés ne soient plus une « entrave » à la réalisation des projets de développement économique et social dans les zones concernées. A. Mihoubi a aussi parlé de la « mise en valeur » de la recherche scientifique dans le domaine du patrimoine, en utilisant les dernières technologies, afin d’apporter une « valeur scientifique ajoutée » à la valeur patrimoniale des sites.

La sécurisation des vestiges historiques, par des opérations de ce qui est appelé l' »archéologie préventive », constitue, ajoute le ministre, un autre domaine à promouvoir rapidement pour que la sauvegarde des vestiges ne soit plus à l’origine d’un ralentissement des chantiers de développement local. On sait que faute d’une coordination efficace entre les différents secteurs, des sites archéologiques de grande valeur ont subi l' »affront » d’une modernité approximative. Des vestiges historiques ont été détruits par des opérations de construction de logements ou autres équipements publics. Il en est ainsi, par exemple, du cas rapporté dans notre édition du 21 mars 2013, se rapportant à une promotion immobilière sur le site historique de Tobna, dans la commune de Barika, wilaya de Batna. L’article était intitulé: « La mémoire algérienne en danger! ». Lorsqu’il y a nécessité que des équipements de ce genre soient réalisés dans le périmètre d’un vestige historique, l’Algérie ne dispose pas encore de technique ou de technologie permettant de concilier l’histoire et la mémoire culturelle du peuple, d’une part, avec les nécessités des investissements publics, d’autre part. Cependant, les vestiges historiques et les lieux de mémoire ne sont pas seulement exposés à ce genre de problèmes. D’autres menaces, sans doute plus graves, pèsent sur ces sites et vestiges du fait d’un urbanisme anarchique, sur lequel l’autorité de l’Etat n’a pas été prise, et du fait aussi des différents pillages qui les affectent, aussi bien de la part des nationaux que de délinquants étrangers.

Le triste bilan du pillage culturel

En mai 2014, la gendarmerie nationale a établi un bilan de la lutte contre le pillage des pièces culturelles depuis l’année 2000. Il y est fait état de 12 000 pièces récupérées par ce corps des services de sécurité à différents points du territoire national. Le plus grand gisement de pièces archéologiques ou de musées se trouve précisément sur la partie orientale du pays (wilayas de l’Est). Cependant, le trafic des biens culturels a fini par prendre une dimension régionale et transnationale, alimentant des réseaux de pilleurs qui, à leur tour, pourvoient des collectionneurs européens et des musées occidentaux en pièces précieuses et rares, où est marquée et sigillée la mémoire algérienne la plus reculée dans l’histoire. L’un des derniers épisodes de cette entreprise de pillage et de destruction de la mémoire algérienne, est cette découverte faite en Tunisie du masque de Gorgone, volé en 1996 du site archéologique Hippone de Annaba. Ce masque a été trouvé dans la résidence d’un gendre de l’ancien président tunisien, Zine Al Abidine Benali. La pièce a été restituée à l’Algérie en 2014 (voir notre édition du 15 avril 2014). À la même période, une affaire a éclaté la semaine passée dans le village de Tajmout, dans la région de Chechar (wilaya de Khenchela), suite à la découverte de fouilles clandestines opérées par des inconnus qui, apparemment, n’en sont pas à leurs premiers forfaits. La plainte reçue au niveau de la brigade locale de gendarmerie a signalé même la présence de personnes étrangères, probablement des subsahariens. Ils seraient surpris en train de prendre des pièces antiques dans des caisses. Dans le bilan général dressé par la gendarmerie nationale en matière de lutte contre le trafic de biens culturels, l’on constate que, pour la seule année 2006, ce corps de sécurité a récupéré sur les barrages routiers et lors de perquisitions, 7 111 pièces archéologiques. En 2007, la gendarmerie a récupéré 917 pièces ; en 2008, le chiffre monte à 1 489 pièces récupérées. Entre 2009 et 2010, les gendarmes ont mis la main sur 916 pièces. Ce sont là des opérations qui ont porté leurs fruits suite la collaboration avec les cellules de protection du patrimoine culturel matériel. Les pièces récupérées ont fait l’objet de 109 affaires de justice, et les sites sur lesquels elles ont été enlevées se répartissent sur l’ensemble du territoire national. Le pillage des biens culturels matériels a pu également révéler l’existence de 42 sites archéologiques non connus jusqu’à présent sur le territoire national. Les pilleurs sont devenus des  »archéologues » malgré eux. Il s’agit visiblement d’un créneau juteux qui a des tentacules dans les pays du Maghreb et en Europe. Malgré la lutte implacable des services de sécurité contre le trafic de biens culturels et les mesures de protection prises par le ministère de la Culture et par des organismes où sont domiciliées certaines pièces culturelles (musées), les trafiquants et les pilleurs sont très peu découragés. Le bilan de l’année 2012 fait ressortir la saisie, par les éléments de la gendarmerie nationale, de 495 pièces archéologiques, la découverte de 10 sites archéologiques (ruines, vieux cimetières) et l’arrestation de 43 personnes impliquées dans ces trafics. Au cours de l’année 2013, les services de sécurité ont pu récupérer plus de 500 pièces archéologiques et procéder à l’arrestation d’une vingtaine de délinquants.

Sécuriser et sensibiliser

Au niveau de la société la sonnette d’alarme a été tirée à plusieurs reprises par la presse nationale, les responsables de la culture et le monde associatif, pour faire barrage au bradage de la culture algérienne et de sa profondeur historique. Le phénomène du vol de pièces archéologiques et de musée a pris une ampleur inédite et inquiétante au cours des dix dernières années. Il ne se passe pas un mois sans que la presse ne fasse état de vol, pillage, vandalisme, concernant le patrimoine culturel et historique de notre pays. Les coupures de presses relatives à cette grave atteinte à notre patrimoine culturel et historique peuvent constituer une véritable anthologie d’un feuilleton constituant un véritable crime dont il importe de saisir la portée et la dimension. Statuettes, bustes, monnaies, vieux ustensiles, morceaux de mosaïques, les mains scélérates n’ont épargné aucune pièce de notre patrimoine. C’est là une entreprise de destruction- avec les autres formes plus pernicieuses d’accaparement de biens culturels par la maffia du foncier qui a pu construire sur des ruines romaines ou berbères- qui risque de contribuer à réduire davantage l’amour et la fierté des jeunes algériens pour leur pays. La sécurisation des sites culturels et historiques font partie du devoir national: devoir de mémoire et de sauvegarde de la personnalité et de l’histoire du pays. Outre les services de sécurité qui font ce qu’ils peuvent sur les barrages routiers ou aux frontières, il importe que les fouilles, les sites classés, les vestiges historiques, les musées et tous les lieux dépositaires de la mémoire algérienne, soient bien aménagés et sécurisés, tout en faisant des produits touristiques de premier plan, en ces temps de crise financière où l’Algérie cherche à diversifier au maximum ses recettes extérieures. Dans un domaine de si grande profondeur historique et d’immense portée culturelle pour l’ensemble de la nation, le travail de sensibilisation permanente-à tous les niveaux des structures et institutions du pays, et dans les différentes franges de la société- reste imparablement le meilleur moyen à même de contribuer à protéger et promouvoir ce bel et cher héritage d’une histoire trois fois millénaire.

Amar Naït Messaoud

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