«Cet acquis nous le devons à nos aînés»

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La Dépêche de Kabylie : Comment voyez-vous la consécration de tamazight langue officielle ?

Berdous Nadia : Cela n’a pas été une surprise pour moi. L’officialisation de tamazight est l’aboutissement d’un combat transgénérationnel. Cet acquis nous le devons à nos aîné(e)s et aux générations de militants qui ont suivi. Politiquement, il n’y avait pas d’autres choix que de consacrer, tôt ou tard, tamazight langue nationale. Ensuite, sur le plan pratique, cela aurait été une débilité que tamazight ne devienne pas officielle, après l’ouverture des départements de langue et culture amazighes, son introduction à l’école, sa consécration comme langue nationale en 2002, sa présence dans les médias, notamment ceux réservés jusque-là exclusivement à la langue arabe. Et plus important, la création (littéraire, cinéma, théâtre, chanson…) qui a, ses dernières années, été importante et qui a surtout donné une meilleure visibilité à tamazight, la variante kabyle essentiellement. Sur ce plan, je regrette que le plus gros que les autres variantes de tamazight n’ont pas suivi l’élan de la création.

Des voix, Djabellah et Ferrad Med Arezki, se sont déjà élevées pour conditionner la concrétisation de l’officialisation de tamazight par l’imposition de la graphie arabe. Que pensez-vous ?

Les inepties du premier ne m’étonnent pas, on est habitué à son déversement de haine contre tamazight et, en gros, toutes les aspirations démocratiques. D’ailleurs, j’ai lu quelque part qu’il avait qualifié cette nouvelle mouture de constitution laïque. Quant à M. Ferrad, franchement je ne lui reconnais aucune compétence et technicité en la matière. Je ne lui ai lu aucune publication scientifique sur la question. Il me semble qu’il est historien, c’est du moins comme cela qu’on le présente. Ce qui est bizarre avec tous ces extras qui s’invitent par effraction dans le scientifique, est qu’ils n’ont jamais produit du tamazight avec la graphie arabe. Là je pense à l’aménagement de la graphie arabe. Alors, pour plus d’efficacité je les invite à se mettre au travail, à aménager la graphie arabe, d’autant plus qu’à ma connaissance, quelques enseignants de tamazight qu’on «oblige» à transcrire en caractère arabe, la variante chaouie peine à y arriver. Il faut s’attendre à ce que d’autres autos-proclamés spécialistes de tamazight s’invitent au débat. En fait, l’avènement d’une académie promise pour la langue amazighe fait rêver beaucoup de gens et fait dire n’importe quoi à n’importe qui. Il se trouvera même des gens prêts à renier leurs parcours, se renier, faire dans le discours populiste et espérer ainsi siéger dans la future académie.

La graphie latine est donc irréversible ?

Théoriquement toutes les graphies peuvent servir tamazight. Seulement, le travail d’aménagent pour la graphie latine a été enclenché depuis près d’un siècle (avec les travaux de Boulifa, Bensdira, Mammeri, Chaker, Achab…). En plus, tout un travail de réflexion sur cet aménagement a jalonné cette production : au moins quatre grandes rencontres d’envergure internationale ont été organisées, en Algérie et à l’étranger, pour réfléchir à l’aménagement de la graphie latine, avec la participation des spécialistes de tamazight Marocains et Algériens et autre spécialistes des questions de l’aménagement des langues. Les autres graphies (arabe et tifinagh), relativement présentent sur le terrain, ne connaissent pas et n’ont pas connu ce processus d’aménagement. On ne peut pas faire marche arrière pour faire plaisir à toutes ces personnes mues par des considérations idéologiques. C’est à ces partisans de la graphie arabe et tifinagh d’essayer de rattraper le train qui, heureusement, ne les a pas attendus.

Optimiste quand même ?

Savourons déjà ce moment en ayant une pensée à tous les militants de la cause depuis la crise de 49, sans qui tamazight ne serait pas là où elle est aujourd’hui. Quant aux inclinaisons que va connaître tamazight dans le futur, elles dépendront de cette institution (académie) promise par la Constitution. Elle dépendra surtout du profil de la personne que sera appelée à la diriger. N’insultons pas l’avenir et attendons. De toutes les façons, il n’y aura jamais de marche arrière et le combat continue.

Propos recueillis par S.O.A

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