Quelle place pour tamazight et la formation à la citoyenneté ?

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L’Algérie compte officiellement 14 % d’analphabètes, soit près de 6 millions de personnes. C’est là un chiffre qui, même s’il invite à l’optimisme par rapport à la situation des années 60 et 70 du siècle dernier, et même en 2008- où l’on comptait 22 % d’analphabètes-, ne manque pas, cependant, d’interroger sur le contenu de l’entreprise d’alphabétisation qui a pu faire obtenir cette prouesse. Autrement dit, la qualité et le niveau d’alphabétisation permettent-ils aux citoyens qui en ont bénéficié de s’insérer facilement dans la vie sociale d’aujourd’hui, avec sa fulgurante avancée sur le plan de l’omniprésence de l’écrit (lettres, graphismes, codes,…) et de son évolution rapide sur support numérique? Assurément, l’analphabète des années 1960 n’est presque pas comparable à celui du début de 21e siècle, même si le fond du problème demeure le même. De même, l’on serait mal fondé à ne considérer comme analphabète que celui qui n’a pas été scolarisé. Les enfants déscolarisés dès l’école primaire, ou même au collège, seraient-ils à ce point formés qu’ils n’auraient pas besoin d’alphabétisation? Lorsqu’on considère le niveau pédagogique actuel de l’école algérienne, on prend la mesure des efforts qui devraient être fournis pour « mettre à niveau » les enfants qui ont quitté assez tôt l’école, non pour leur donner des qualifications professionnelles, mais uniquement pour leur permettre de se « débrouiller » dans leur vie domestique de chaque jour. Sur un autre plan, les cours d’alphabétisation assurés par les organismes publics ou parapublics- à l’image de l’association « Iqraâ » dirigée par Mme Aïcha Barki- étaient, jusqu’à l’année dernière, dispensés exclusivement en arabe littéraire. Une large frange de la population, celle amazighophone, était à la marge. Elle ne pouvait pas accéder à l’enseignement dans sa langue maternelle. Le 17 octobre 2015, les classes d’alphabétisation en langue amazighe ont été officialisées lors d’une réunion que l’association « Iqraâ » avait tenue avec le Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA), dans le cadre de la formation des formateurs dans le domaine de l’alphabétisation en tamazight. « L’enseignement et la promotion du tamazight créeront certainement une fusion entre tous les Algériens, car c’est un facteur d’unité et de cohésion sociale », avait déclaré à cette occasion Si El Hachemi Assad, secrétaire général au HCA. Avec l’officialisation de tamazight, consacrée par l’avant-projet de la révision constitutionnelle, la mission d’alphabétisation dans cette langue est censée bénéficier de plus d’attention de la part des pouvoirs publics: mobilisation de moyens logistiques financiers et humains. Des voix se sont élevées pour s’interroger sur l’ostracisme qui frappe la langue française dans les cours d’alphabétisation, alors que le français est présent dans l’environnement quotidien des Algériens, à travers l’administration, le secteur économique, les médias, etc. Factures de téléphone et d’électricité notices médicales, carnet de santé des enfants et un bon nombre d’autres documents de la vie courante sont rédigés dans cette langue. Cela en plus de la possibilité qui devrait être donnée aux parents d’élèves de suivre la scolarité de leurs enfants. Indéniablement, l’association Iqraâ a accumulé une longue expérience sur le terrain. Les cours d’alphabétisation ont drainé des dizaines de milliers de personnes, adultes analphabètes, surtout des femmes, à travers tout le territoire national. L’extension de cette entreprise pour qu’elle touche également des régions où l’on parle tamazight revêt un caractère stratégique pour donner corps aux objectifs assignés à cette mission, à savoir soustraire de jeune adultes, hommes et femmes, des bas-fonds de l’ignorance. Immanquablement, l’alphabétisation a un double impact dans la vie des gens: impact pratique- qui leur permet de s’insérer dans la vie quotidienne, domestique et même professionnelle, et impact psychologique qui redonne confiance en soi à travers une socialisation plus réussie. À travers un réseau établi presque à l’échelle de tout le territoire national, l’association Iqraâ a « contribué à alphabétiser 1.681.000 personnes, dont 1.543.906 femmes », en leur donnant accès à la lecture et à l’écriture, selon les propos de sa présidente. Sur le plan de l’intégration professionnelle, et dans le cadre du programme intitulé  » Alphabétisation, Formation et Intégration des femmes » (Afif), elle révèle que pas moins de 23 000 jeunes femmes, âgées entre 18 et 35 ans, ont été « formées et autonomisées »; ce qui, en pratique, correspond au renforcement des apprentissages de base, notamment la lecture, l’écriture, le calcul et la qualification professionnelle pour la réalisation d’activités génératrices de revenus. Par la suite, les femmes qui ont bénéficié de ce genre d’actions ont pu « devenir plus indépendantes en bénéficiant de différents dispositifs d’aide à l’insertion professionnelle ou à la création d’activités à travers l’agence nationale de gestion de microcrédit (Ansej) », a expliqué Aïcha Barki. Outre l’insertion des adultes dans la vie moderne, dominée par une complexification de l’environnement graphique, sémiologique et numérique, l’alphabétisation des jeunes adultes participe également au processus de formation à la citoyenneté et à la démocratie participative.

Amar Naït Messaoud

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