La place à laquelle est ravalée la valeur du pétrole sur les marchés mondiaux-soit moins de 30 dollars le baril depuis quelques jours- pose de lourdes interrogations sur l’économie algérienne en général et sur l’élaboration du budget de l’Etat en particulier. Lorsque la loi de finances 2016 était au stade de l’avant-projet au niveau du gouvernement, le baril se négociait à 55 dollars. La loi de finances a fixé un prix de 37 dollars le baril comme base de calcul des recettes de l’Etat. Étant insuffisantes, ces dernières ont été renflouées par les augmentations de taxes ayant touché une multitude de produits de large consommation, à commencer par les produits énergétiques (carburants, électricité). Ce calcul fait, les gestionnaires de l’économie nationale et même des experts à l’échelle du monde, n’ont pas prévu une telle dégringolade des prix du pétrole, au point qu’il descendent à 29 dollars. Autrement dit, les prévisions de recettes du budget de l’Etat sont faussées dès le premier mois de l’exécution du budget. Et ce n’est pas sans raison que des rumeurs courent actuellement sur la possibilité de l’élaboration d’une loi de finances complémentaire dans les prochaines semaines ou prochains mois. En tout cas, s’il n’y a pas un bond « miraculeux » des prix, qui porterait le baril a au moins 40 dollars, le déséquilibre budgétaire deviendrait insoutenable. Il tournerait, selon certaines prévisions, autour de 60 milliards de dollars. Avec les difficultés évidentes à contenir les importations au cours de l’année 2014- malgré le recul du montant de la facture de certains produits-, l’Algérie a terminé l’année avec des importations qui avoisinent les 50 milliards de dollars. Les exportations, elles, ont connu une coupe drastique, passant de 60 milliards de dollars en 2014 à 32 milliards en 2015. Les analystes de la scène économique nationale parlent d’une fonte imminente du Fonds de régulation des recettes, comme ils prévoient la réduction de la durée de vie accordée aux réserves de change, dont ont dit et répète qu’elles couvriront presque trois ans d’importations. En présentant le bilan de la conjoncture économique du pays au début du mois de janvier, le gouverneur de la Banque d’Algérie a tiré la sonnette d’alarme sur les comptes de la nation. La fragilité de l’économie algérienne- bien qu’elle soit établie de façon structurelle depuis longtemps, en s’abreuvant à la rente pétrolière- s’est laissé découvrir de façon abrupte dès les premiers couacs du marché pétrolier en juillet 2014. Comme à chaque épisode de même nature- à l’image de ce qui s’est passée en 2008, lorsque l’or noir connut des moments difficiles après le sommet atteint en août de la même année (130 dollars/baril)-, le gouvernement prend le temps d’ « observer » et même de nourrir le secret espoir que cela ne soit qu’un passage rapide, et que les cours rebondissent. Or, dans de pareilles situations, le temps c’est de l’argent. Dans le cas de la présente conjoncture, l’on peut même faire l’économie de ce terme puisque « conjoncture » s’applique pour des situations particulières et courtes. Or, les prix du pétrole se sont inscrits dans la durée. En juillet prochain, cela fera deux ans de chute continue, faisant passer le baril de 120 à…29 dollars. Avec la levée des sanctions internationales sur l’Iran, suite à l’accord sur le nucléaire, ce pays entrera bientôt avec ses 2 millions de barils par jours. La Chine continue à faire une « cure d’amaigrissement » suite à un ralentissement de la croissance de son PIB; ce qui se traduit par une réduction de la consommation en énergie. À ces facteurs, se greffent la mise sur le marché du pétrole de schiste américain et l’intransigeance saoudienne à garder ses parts de marchés, quitte à voir les prix descendre encore plus bas. Cette agrégation de facteurs fait que des prévisionnistes ne voient de redressement véritable du cours du baril qu’à l’horizon 2019. Même s’il rebondit, le baril ne dépasserait pas 60 dollars en 2017. Avec un tel tableau peu reluisant, l’aisance financière qu’a connue l’Algérie pendant une décennie- et qui lui a permis de lancer de grands projets d’investissements publics et d’accumuler des réserves de changes- peut être considérée comme de l’ « histoire ancienne ». Autrement dit, l’Algérie doit regarder aujourd’hui dans le pare-brise et non dans le rétroviseur. Malheureusement, la période d’aisance financière n’a pas pu préparer l’étape de transformation qui attend notre pays. L’investissement dans l’économie de production, dans ses différents créneaux, a été le parent pauvre des politiques publiques. L’Algérie a oublié ce que la culture de l’entreprise veut dire. Au lieu que les recrutements se fassent dans le secteur économique, l’on s’est rabattu sur la solution de facilité consistant à « peupler » davantage la Fonction publique, pour se rendre, des années après- comme l’avoua en décembre dernier le ministre du Travail- que celle-ci, la Fonction publique, présente une pléthore de personnel d’un million de fonctionnaires. Dans une étape aussi décisive, où se confondent les urgences et les priorités, ce serait un challenge de haute intelligence de donner, dans l’immédiat, de la visibilité aux perspectives sociales et économiques du pays. Imparablement, une « révolution » dans les mentalités et dans les pratiques s’impose à tous les acteurs. En tout cas, il serait irresponsable et dangereux de se perdre dans des calculs politiciens dans une conjoncture qui réclame audace, lucidité et sens de la prospective.
Amar Naït Messaoud