Rétrospective pour une vision prospective

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La nouvelle constitution, adoptée dimanche dernier par les parlementaires, "a conféré une identité à l'économie nationale&quot,; selon le ministre de l'Industrie et des Mines, Abdessalem Bouchouareb.

C’est ce qu’il a déclaré lundi dernier à Dubaï, devant des hommes d’affaires algériens établis aux Émirats Arabes Unis. En explicitant sa pensée, il dira que  » l’économie de marché est désormais constitutionnalisée ». Il révélera alors qu’ « une nouvelle loi sur les investissements est actuellement au niveau de l’APN, en prévision de son vote dans quelques semaines, alors que la loi sur les PME sera soumise au gouvernement ». Le concept d’économie de marché est usité depuis maintenant plus d’un quart de siècle, depuis que la constitution de février 1989 a ouvert une brèche dans l’économie administrée, quasi exclusivement étatique. Cependant, par-delà le statut juridique des entreprises et de l’inflation du pouvoir de l’Etat dans le domaine économique, l’élément fondamental qui fait grincer la machine de la transition économique demeure essentiellement la structure rentière de l’économie. Le bilan d’une telle dérive requerrait des volumes de documents. Une partie de ce travail avait été réalisée en 2012 par la Conseil national économique et social (Cnes), avec les limites de ce que peut s’autoriser une institution publique en matière d’autonomie et de liberté de réflexion. En effet, à l’occasion du cinquantenaire de l’Indépendance, on avait tenté l’ambition de  »dresser un bilan critique des efforts de développement », depuis la fin du système colonial jusqu’à la longue transition qui se déroule dans un contexte mondial de globalisation et de crise « irradiante », en passant par les choix primesautiers d’un  »socialisme spécifique », le glissement imperceptible vers une économie de rente, les impasses successives auxquelles a eu à faire face l’économie et la société algériennes, et les différentes tentatives de réformes presque aussi confuses et inabouties les unes que les autres. Plus qu’un bilan chiffré qui s’attarderait sur les efforts d’alphabétisation, la construction de routes, le nombre d’étudiants à l’université ou l’élimination de certaines maladies épidémiques, le bilan en question est surtout celui des étapes traversées et des choix que les gouvernants ont eu à faire en matière de développement, selon les circonstances de chaque étape. Bien entendu, le déroulement d’une telle « épopée » ne peut faire l’économie de l’histoire de la vie institutionnelle du pays et du contexte politique dans lequel les institutions administratives et élues ont été conçues, et ce, depuis le programme de Tripoli de juin 1962, qui a consacré solennellement l’option socialiste, jusqu’à la « sacralisation » actuelle de l’économie de marché bien que cette dernière notion ait du mal à se frayer un chemin dans un contexte économique univoque, basé quasi exclusivement sur la rente pétrolière. Le forum du Cnes s’était donné pour objectif de « jeter un regard rétrospectif sur les efforts de la nation en matière développement économique et social depuis l’indépendance ».

Un parcours semé de démagogie et d’approximations

Depuis les décrets de 1963 sur l’autogestion des domaines agricoles hérités des fermes coloniales jusqu’à l’actuel schéma  »libéral » qui n’a pas encore pris sa forme définitive, en passant par les plans triennaux, quadriennaux, l’industrie industrialisante, les différentes nationalisations, les restructurations du début des années 1980- une forme dite de  »déboumédianisation »-, la crise des prix du pétrole en 1986, l’endettement extérieur excessif, l’explosion d’octobre 88 qui a suivi le recul de la rente, l’autonomie des entreprises, l’état de cessation de payement imminent, le rééchelonnement de la dette, la passage sous les fourches caudines du FMI avec son Plan d’ajustement structurel (PAS), l’embellie financière qui a coïncidé avec le président Bouteflika au pouvoir en 1999, sont autant de stations sur lesquelles le Cnes compte faire des  »pauses arrêts sur image », selon les termes de M. Babès. Évidemment, ces étapes de la marche de notre économie et de la société algérienne, ont été conduites par des hommes politiques, des gestionnaires et des institutions; des institutions censées  »survivre aux hommes et aux événements », selon la mythique formule de la déclaration du 19 juin 1965, reprise dans le préambule de la Charte nationale de 1976. Les difficultés et ahans actuels de notre pays à se frayer un chemin dans la modernité politique montrent, si besoin est, que cet idéal annoncé par le Conseil de la révolution n’est pas encore à notre portée.

Méforme des réformes

Le fait est que, depuis un quart de siècle, il n’y a de place, pour la littérature administrative et politique algérienne, que pour les réformes. Un concept qui, apparemment, est chargé de dire tout et son contraire. Il a été utilisé pour la première fois et de manière solennelle, par le président Chadli Bendjedid, dans le discours du 10 octobre 1988 suite aux événements qui ont ensanglanté le pays pendant une semaine, et pendant lesquels, pour la première fois depuis l’Indépendance, l’armée nationale populaire a eu à tirer sur le peuple. Le président avait promit, dans son discours, des « réformes profondes ». L’on sait qu’est-ce qu’il est advenu des promesses de l’ancien président : un pluralisme débridé une ouverture anarchique sur le marché et une montée des périls sur le plan sécuritaire suite au terrorisme intégriste. Le président Chadli, en accédant au pouvoir en 1979, héritera d’un climat d’euphorie socialiste, à telle enseigne qu’il fixa un slogan pour le congrès du FLN dont il était le secrétaire général : « Pour une vie meilleure ». Les jeunes Algériens qui commençaient à ressentir les fractures sociales nourries par le clientélisme et à voir s’assombrir leurs horizons donnèrent une suite plaisante à ce slogan: « Pour une vie meilleure, il faut aller ailleurs ». Une boutade qui allait présager, plus de vingt ans plus tard, le phénomène ‘’harraga’’. Pour avoir la paix sociale, dissuader toute forme d’opposition qui remettrait en cause le parti unique et se garantir des mandats successifs sans aucun contrôle, le pouvoir politique d’alors a créé une immense confusion entre la sphère politique et la sphère économique. L’Etat, non seulement encadre politiquement et administrativement le pays, mais aussi vend des chaussures chez Districh, des couvertures à la Cotitex, des téléviseurs à l’EDIED, des Mazda bâchées à la SNVI, des vélos, des poêles à mazout et des lentilles dans le Souk El Fellah. Cela a fini par créer des clientèles et des réseaux de corruption. Vu que toute initiative privée était brimée, sinon interdite, l’économie du pays évoluait dans la sphère de la pénurie. Le gouvernement ne pouvait y remédier que par le légendaire Plan anti-pénurie (PAP), lequel n’eut recours à aucun investissement productif ou autre idée géniale du même ordre. Il se contenta de faire face aux ruptures de stock par de nouvelles importations permises par la manne pétrolière. L’Etat recrutait à tour de bras dans les entreprises publiques et dans les structures administratives. Il n’était pas regardant sur la dépense. Trois personnes pour un mini-standard téléphonique utilisant deux interphones, huit gardiens pour une minuscule unité de production, 800 ouvriers pour des ateliers dont le seuil de rentabilité n’en supporte pas plus de 200, et d’autres dérives du même acabit. Naturellement, c’est en prenant conscience de la nature du régime politique et de son assise économique bâtie exclusivement sur la distribution de la rente, que l’on pourra saisir l’intention des autorités du pays de procéder à des réformes suite à l’impasse historique qui a grevé le processus de légitimation par la rente.

Frétillements pour un nouvel avenir ?

Moins d’un quart de siècle après l’Indépendance, la société montrait des signes de frétillement dans le sens d’une demande de démocratisation des institutions, de la libération des initiatives citoyennes, d’un mieux-être socioéconomique et d’une franche justice sociale. Ce dernier concept- comme celui de la démocratie que l’on flanquait de l’adjectif  »populaire »- était pourtant chanté sur tous les toits des institutions du pays et était inscrit dans tous les textes fondamentaux de la République. Mais, ne dit-on pas que les régimes les plus personnels ou tyranniques établissent les lois les plus enviées pour en faire une vitrine sans consistance réelle? Sur le plan de l’activité économique, les entreprises publiques commençaient, dès la fin des années quatre-vingts, à être asphyxiées par les découverts et les dettes bancaires, en plus des dettes sociales et fiscales. Cette crise fut amplifiée par la taille de ces entreprises auxquelles sont confiées les missions de production et de commercialisation à la fois. Un autre travers de la gestion économique, sociale et politique du pays, et qui continue à peser de tout son poids dans le  »sous-développement » qui prend dans ses tenailles l’État et les institutions, c’est bien la centralisation excessive de la gestion de l’Etat et de l’économie. Ce jacobinisme, voulu comme bouclier qui protège le sérail et qui renforce le contrôle de la société a atteint ses limites historiques par ses conséquences économiques, environnementales et culturelles qu’il a dressées comme un frein au développement du pays et de la société.

Défis historiques

Le Cnes, lui-même, a eu à en faire l’amer constat lorsque, en 2011, il a eu à se pencher sur le développement local par le moyen de grandes réunions régionales et d’assises nationales. Le verdict est sans appel: la centralisation étouffe l’initiative locale, inhibe les énergies et prend en otage l’État et la société. Les nouvelles orientations économiques, dans un contexte d’embellie financière (réserves de change de plus de 190 milliards de dollars), tardent à prendre des contours définitifs. La loi de finances complémentaires de 2009 est venue apporter toute une nouvelle  »école » par ce qui sera connu sous le nom de développement autocentré; un ensemble d’orientations issues de l’expérience de  »bazar » du début des années 2000. Le pays se reconstruit sur le plan des infrastructures et équipements publics, la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures se confirme chaque jour, la démographie- 40 millions d’habitants- commence à peser dans la balance, les grèves, émeutes et barricades sont devenues le seul moyen de  »dialogue » social, les importations se sont élevées à près de 60 milliards de dollars par an, et les exportations hors hydrocarbure stagnent à 2 milliards de dollars. Il se trouve, depuis le début 2013, que même les exportations en hydrocarbures ont baissé (en volume et par l’effet du recul des prix). Puis vint la crise des recettes pétrolières à partir de juillet 2014, laquelle continue à prendre en étau l’économie algérienne. Le terme de « diversification des activités et des investissements » court sur toutes les bouches des officiels; mais il tarde à prendre une forme concrète. C’est que l’héritage rentier et populiste est lourd à porter. Aujourd’hui, les défis qui se posent à l’État, aux institutions et à la société toute entière sont historiques.

Amar Nait Messaoud

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