Le martyr inconnu de Tighilt-Oukerrouche

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De nombreux martyrs, tombés au champ d’honneur durant la guerre de libération en sacrifiant leur vie pour libérer le pays de la domination coloniale, restent à ce jour de grands inconnus au sein même de leurs familles. En effet, la plupart d’entre eux étaient partis à la fleur de l’âge, très loin de chez eux, pour rejoindre les maquis et sans avertir, le plus souvent, leurs proches pour ne plus donner aucun signe de vie. Ainsi, le village de Tighilt-Oukerrouche, situé sur un mamelon élevé qui faisait face aux deux sinistres camps militaires, dont l’un était occupé par une section d’une compagnie de l’artillerie basée à Tizi-Gheniff et l’autre, à Tighilt-Bougueni, l’actuel chef-lieu de commune de M’Kira où était installée la sinistre section administrative spécialisée (SAS), était connu par sa prison d’extermination. D’ailleurs, d’anciennes villageois et villageoises se souviennent encore de ce jeune combattant, tiré comme un gibier à partir de la caserne.

«Toutes les femmes s’étaient chargées, durant la révolution, de liaison, et surtout de faire le guet en surveillant tous les déplacements des militaires et d’en avertir les maquisards aussitôt possible. Alors pour donner l’alerte, il y avait à chaque fois, un mot de passe à utiliser entre les guetteurs pour avertir ceux d’en face pour ne pas éveiller les soupçons des militaires qui étaient proches, comme «Attention, tes moutons s’enfuient ! Et les vis-à-vis comprennent vite qu’il y a un danger», nous confie une vieille interlocutrice qui revient dans son témoignage sur la mort de ce jeune moudjahid qui devait être un étranger à la Kabylie et ne devait pas comprendre la langue, car nos cris devaient l’alerter. «En effet, c’était en une journée d’été un après-midi, que nous vîmes apparaitre du virage, situé en face de notre village, un militaire portant un chapeau de brousse et un sac à dos, il était seul. Donc, nous avions compris que c’était un moudjahid qui s’était aventuré et ne connaissait pas le chemin habituel car, ce n’était pas possible pour qu’un combattant de la zone, connaissant parfaitement toutes les casernes, puisse faire cette erreur de se jeter directement dans la gueule du loup à quelques dizaines de mètres de la SAS, et un jet de pierre de la caserne de l’artillerie. Dès qu’il avait commencé à descendre la pente, nous avions constaté qu’il s’agissait bien de quelqu’un qui avait perdu son chemin et qui risquait sa vie à coup sûr, car la sentinelle de la caserne avait une belle vue sur lui. C’est donc à forts cris de faire attention aux moutons qui étaient menacés par un chacal que les femmes s’égosillaient, mais peine perdue, le jeune moudjahid, comme sourd, continuait de descendre vers l’oued pour tenter de remonter jusqu’à notre village, où il sera encore davantage menacé car il sera repéré par la vigile de l’armée française, aussitôt, après avoir quitté le lit de l’oued. En effet, quelques minutes après, nous entendîmes des coups de feu. Le jeune maquisard venait d’être abattu. Nous ne pouvions aller récupérer son corps qui était resté là. On avait entendu qu’il s’était enflé et que les bêtes sauvages s’étaient occupées de lui le lendemain. Quelques jours plus tard, notre village fut évacué mais depuis ce jour, la silhouette de ce jeune homme à l’allure athlétique n’avait pas disparu de la mémoire de toutes les femmes qui avaient tenté de la sauver», termine son témoignage notre interlocutrice, alors que des larmes coulaient sur ses joues.

Essaid Mouas

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