La commémoration de la nationalisation des hydrocarbures, le 24 février 1971, coïncide cette année avec une chute historique des cours qui, sans doute, signera le début de la fin de la rente dans notre pays. Il est vrai que des responsables continuent à nourrir le secret espoir que les cours retrouvent leur santé de juin 2014, à plus de 110 dollars. Possibilité exclue par la plupart des prévisionnistes à une échéance raisonnable. La dépendance de l’économie algérienne vis-à-vis des hydrocarbures a indubitablement joué un mauvais tour au pays faisant de lui une terre de consommation de produits importés avec l’argent du pétrole, sans aucune préparation à un éventuel sevrage. Ce dernier advient au milieu de l’année 2014, avec une chute continue des prix du baril jusqu’aux 34 dollars d’aujourd’hui. Lorsque, le 24 février, l’Algérie festoyait d’avoir nationalisé le premier produit de son sous-sol, il n’a jamais été décidé que le pétrole allait remplacer toutes les activités économiques de notre pays. C’est en s’imbriquant à un système politique autocratique et au parti unique, qui avaient besoin d’un outil clientéliste pour asseoir leur pouvoir, que le pétrole et le gaz ont fini par prendre la dimension surfaite et exclusive qui deviendra la leur. Cette énergie fossile, depuis qu’elle est devenue la source hégémonique de revenus pour le pays, a fini pas poser plus de questions qu’elle n’a apporté de réponses au processus de développement du pays. D’abondantes analyses et une littérature assez conséquente ont accompagné l’industrie et le commerce du pétrole, et cela bien avant que les crises cycliques liées à la pénurie et au prix de cette première énergie du monde n’éclatent au grand jour. Manifestant sa présence partout dans notre vie quotidienne, cette énergie fossile alimente aussi bien les chroniques économiques des journaux que la recherche en géostratégie globale, du fait qu’elle constitue depuis un peu plus d’un demi-siècle un enjeu majeur dans les relations internationales. Pour les pays producteurs de pétrole, la dépendance est établie particulièrement après les années 1970. Il est maintenant connu que la mono-exportation a joué de mauvais tours pour les nations qui ont géré leur ressource comme une rente éternelle. L’exemple de l’Algérie est peut-être le mieux indiqué pour illustrer cette situation. Ayant abandonné sa première vocation qui était l’agriculture, notre pays est vite tombé dans la facilité de l’importation des produits alimentaires et des biens d’équipement. Pis, nos gouvernants ont soutenu les prix des produits importés jusqu’à vendre à perte. Cette politique démagogique a coûté cher au pays et a compromis ses chances de relancer les autres secteurs de l’économie. Dans ce sens, la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures est presque totale. Il s’en est suivi une fragilisation générale de l’économie dont le cœur bat au rythme du prix du pétrole sur les places mondiales. L’Algérie fait partie de ces quelques rares pays pour lesquels le graphe de l’évolution du prix du baril représente, selon le cas, un signe d’ « opulence », de faste et de dépense publique, ou bien, inversement, un signe de tension, de lendemains incertains et même d’émeutes. La vérité la plus prosaïque de notre économie est là sans fard. Aucune mécanique institutionnelle ne saurait nous détourner de cette dommageable fatalité qui obère depuis des décennies notre destin économique, social et même politique. Sur les 30 points que le Mouvement populaire algérien a présentés aux électeurs pendant la campagne pour les législatives de mai 2012, le point n°12 dit textuellement : «L’un des plus grands défis de l’Algérie pour les cinq années à venir consistera à préparer les conditions à mettre en œuvre pour un processus maîtrisé de passage de l’économie pétrolière, qui s’appuie sur la rente, à une économie de production, qui puise son essence dans l’effort et l’intelligence. Il ne s’agit pas […] de veiller à léguer leur part de pétrole aux générations futures. Il s’agit d’utiliser les revenus du pétrole à la préparation de l’ère de l’après-pétrole». Cette nécessité d’aller vers une diversification de notre économie est, paradoxalement, reconnue par plusieurs parties et acteurs de la vie politique et économique du pays, à commencer par le Premier ministre et le président de la République. Le sentiment d’impuissance qui afflige l’action de l’État pour aller dans ce sens est principalement nourri par le passif de rente et de clientélisme que les recettes de l’or noir ont installé dans tous les rouages de l’État et de la société. Pire, les velléités de changement sont rapidement neutralisées par la mentalité d’assistanat, entraînant laisser-aller, gabegie et absence de réflexion. C’est à un véritable Léviathan, qui a consumé les énergies et pulvérisé toute sorte d’intelligence, que nous avons affaire. Toutes les réflexions et appréhensions qui ont suivi les épisodes passées de la chute des prix du pétrole- comme, par exemple, en 2008- ont été diligemment oubliées et savamment enterrées quelques mois plus tard, c’est-à-dire lorsque le baril recommence son mouvement d’ascension. En juillet 2014, lorsqu’un nouveau cycle de chute des prix s’enclencha, aucune leçon palpable, qui aurait été retenue de l’épisode précédent, n’était disponible. C’est pourquoi les décisions de gel de certains projets d’infrastructures et les mesures d’austérité budgétaire portées par la loi de finances 2016 sont vues et vécues comme une inacceptable « cure d’amaigrissement ». La recherche effrénée de nouvelles alternatives économiques prendra le temps qu’il faudra; c’est-à-dire le temps de refonder le climat d’investissement et de requalifier l’entreprise algérienne. Mais c’est une urgence absolue. Le sevrage par rapport au pétrole, s’il se confirme par la durabilité des prix bas qui sont actuellement pratiqués sur les marchés mondiaux, devrait être intelligemment géré pour qu’il ne constitue pas une rupture abrupte dans l’ordre économique et social. Pour toutes ces raisons, et même s’il renvoie à une fierté légitime, mise à l’épreuve neuf ans après l’Indépendance du pays, le 24 février est loin de pouvoir porter le même message pour le futur immédiat de l’économie nationale.
Amar Naït Messaoud