J'écris pour notre peuple avec une perspective fondamentale : son émancipation pleine et entière. Je veux lui apporter, avec mes modestes moyens et ma matière, des questions, des prétextes, des idées avec lesquels, tout en se divertissant, il trouvera matière et moyens de se ressourcer, de se valoriser pour se libérer et aller de l'avant ». Abdelkader Alloula In Memoriam
C’était un dramaturge novateur, créatif, moderniste, jouant sur différents genres dramaturgiques de « Commedia Dell’arte » au théâtre de la distanciation de Brech Gogol, Goldoni, Aziz Nesin et autres dramaturges. Lui c’est Abdelkader Alloula, l’homme de théâtre algérien des plus populaires dans tout le Maghreb et aussi à l’échelle universelle. Metteur en scène, né le 8 juillet 1939 à Ghazaouet, il a vécu et grandi à Oran. Victime d’un attentat dans sa ville prédilection où il dirigeait le théâtre régional, le 10 mars 1994, où l’attendait les chasseurs de lumière à la sortie de son domicile situé à l’ex-rue de Mostaganem, aujourd’hui rue Mohamed Boudiaf, alors qu’il se rendait au théâtre pour un débat sur la praxis théâtrale, il est mort, le 14 mars à l’hôpital du Val-de Grâce à Paris, à l’âge de 54 ans. Pour Abdelkader Alloula, la scène était un espace d’expérimentation, marquant ainsi l’histoire du quatrième art algérien d’une empreinte indélébile. Son mérite est d’avoir su adapter la langue parlée des Algériens, tout en lui donnant la puissance du jeu théâtral. En même temps, il a voulu moderniser les traditions des « goual » et de « la halqa ». L’expérience de la Halqa, cette tradition ancestrale très répandue dans les souks et sur les places publiques dans les campagnes de l’Algérie profonde, a débouché sur plusieurs œuvres théâtrales, notamment sa célèbre trilogie « Lagoual » (Les diseurs) (1980), « Ladjouad » (les généreux) (1985) et « Litham » (Le voile) (1989), pour lesquelles Alloula a revisité à sa manière, la Halqa et le meddah, tout en élaborant un langage inspiré de la langue populaire des Algériens, la langue vivante par excellence, lui donnant ainsi une dimension artistique. Les œuvres de Alloula marquent également une rupture avec le théâtre aristotélicien, où le spectateur reste passif. Il en a fait de ce spectateur un élément dynamique du spectacle. Toutes les composantes de la pièce comme le décor, la lumière, la musique, les chants jouent un rôle essentiel dans la compréhension de l’histoire et dans l’évolution de l’intrigue. Rien n’est mis en place par hasard. Dès son jeune âge, il s’est intéressé au théâtre. En 1956, il interrompt ses études secondaires à Oran, pour y faire du théâtre au sein de la troupe amateur « Echabab ». Il prend part à des stages de formation et décroche plusieurs rôles. En 1962, il est avec la troupe de l’Ensemble théâtral oranais (ETO) quand il monte « El asra », adaptée de l’œuvre de Plaute (« Les captifs »). Comédien au TNA dès sa création en 1963, il jouera dans plusieurs pièces, comme « Les enfants de la Casbah » (Abdelhalim Raïs, Mustapha Kateb), « Hassen Terro » (Rouiched, Mustapha Kateb), « Roses rouges pour moi » de Sean O’Casey (Allel El-Mouhib) et « La mégère apprivoisée » de Shakespeare mise en scène également par Allel El- Mouhib. En 1965, il est distribué dans « Les chiens » de Tom Brulin, montée par Hadj Omar. Sur le plan de la mise en scène, le répertoire du dramaturge comprend, entre autres, « El-Ghoula » en 1964, « Le sultan embarrassé » (1965, Tewfik El-Hakim), « Monnaie d’Or » (1967), « Numance » (1968, en arabe classique, adaptée par Himoud Brahimi et Mahoub Stambouli) et « Les bas fonds » de Gorki (1982, traduction de Mohamed Bougaci). Sa passion pour le quatrième art le mène également à écrire et à réaliser « Laalegue » (les sangsues) en 1969, « El-Khobza » (1970), le monologue « Homk Salim » (1972), adapté du « Journal d’un fou » de Gogol, « Hammam Rabi » (1975), « Hout yakoul hout » (1975, écriture collective avec Benmohamed, la trilogie « Lagoual » (1980)-« El-Ajouad » (1984)-« El-Lithem »(1989), « El-Teffeh » (1992), « Arlequin valet de deux maîtres » (1993), (adaptation libre de l’œuvre de Goldoni). D’autres parts, en 1990, il a adapté cinq nouvelles de l’écrivain turc Aziz Nesin, à savoir « Lila maa majnoun », « Essoltane oual guerbane », « El-wissam », « Chaab fak » et « El-wajib el watani » (réalisé pour l’ENTV par Bachir Berichi). Au cinéma, Alloula fut aussi l’auteur de deux scénarios de films, « Gorine » (1972) et « Jalti » (1980), réalisés par Mohamed Ifticène. Des rôles lui furent même confiés, notamment dans « Les chiens » (1969) et « Ettarfa » (1971) d’El-Hachemi Cherif, « Tlemcen » (1989) de Mohamed Bouanani, « Hassen Niya » (1988) de Ghouti Bendedouche, et « Djanan Bou Rezk » (1990) de Baba Aïssa Abdelkrim. Alloula a également participé aux commentaires des films « Bouziane El-Qalii » (1983) de Hadjadj Belkacem et « Combien je vous aime » (1985) du défunt Azzeddine Meddour. «J’écris et je travaille, disait l’auteur de «ladjouad» pour ceux qui travaillent et qui créent manuellement et intellectuellement dans ce pays, pour ceux qui, souvent de façon anonyme, construisent, édifient, inventent dans la perspective d’une société libre, démocratique et socialiste.» Sa femme, Raja Alloula, l’évoque en ces termes : «Sur le chemin de ma vie, j’ai croisé Alloula alors qu’il était déjà célèbre. Il était grand et solide comme un cèdre, c’était un géant au cœur fragile, tendre, à la larme palpitante au coin de l’œil, les poches vides mais la main toujours tendue pleine d’amour et de sollicitude ; ses mains étaient larges et fortes mais il pouvait nouer un cheveu avec l’autre. La vie avec lui était des ambiances pleines d’affectivité d’émotions, de surprises, d’amour. Tout était possible puisqu’il m’a fait vivre l’utopie d’un monde meilleur où l’homme serait supérieur à l’animal débarrassé à jamais de sa bestialité de sa violence, de sa haine envers les autres, envers la vie, envers l’humain (…) C’est l’être social que Alloula nous invite à visiter et non l’individu isolé dans son univers intérieur. Alloula nous interpelle sur tout ce qui concerne notre vie en société nos conditions d’existence, les rapports sociaux qui régissent nos relations, et il a porté une attention particulière au statut social de la femme et au rapport le plus élémentaire qui la lie à son alter ego : l’amour. L’amour, non pas en tant que manifestation d’un état psychologique ou physique, mais l’amour en tant que support d’idées, d’objectifs, de combat pour un mieux-être, l’amour en tant que facteur d’espoir et de transformation du réel.» Il fut la cible, choisie des nihilistes, qui ne conçoivent la vie que dans l’obscurité dans le dénie des droits les plus élémentaires, et dans la soumission de l’Homme à toutes les absurdités. Nous nous devons de rappeler, pas seulement à l’occasion de la commémoration de leur disparition, ces hommes et ces femmes phares qui, au péril de leur vie, ont éclairé les voies idoines de leur peuple.
S.A.H