Hommage et poignants témoignages

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«Notre sang se glaça, nous n’osions croire que l’irréparable était commis. Nous nous attendions à ce qu’ils viennent nous chercher à notre tour, chacun de nous pensait que nous vivions nos dernières minutes Certains, instinctivement, se mirent à prier. Cette angoisse dura quelques minutes puis, à notre étonnement, tout devint très calme, un silence de mort s’abattit sur les lieux !».

Ce témoignage poignant est celui d’un autre inspecteur d’Oran présent à la réunion des inspecteurs des Centres sociaux d’éducation à Château Royal El Biar, le 15 mars 1962 et qui n’était pas dans la liste noire qui comprenait trois Français et trois Algériens : Max Marchand, Marcel Basset, Robert Aymart, Ali Hamoutène, Mouloud Féraoun et Salah Ould Aoudia. Ce témoignage est parvenu, 30 ans après l’assassinat odieux des six inspecteurs, aux familles Féraoun et Hamoutène. Le 54ème anniversaire de l’assassinat des six inspecteurs, à trois jours du cessez-le-feu, est commémoré dans l’après-midi du jeudi 17 mars dans la salle de théâtre de la Maison de la culture Mouloud Mammeri, assez pleine de citoyens et où une grande émotion était perceptible. Dans son allocution d’ouverture, la directrice de la culture, la gorge serrée, dira : «Il s’agit là d’un devoir de mémoire en hommage à des hommes qui ont travaillé et œuvré pour un objectif noble et qui ont mené un combat contre l’ignorance qui constituait une autre arme du colonialisme contre le peuple algérien». La conférence est animée par Mohamed, fils d’Ali Hamoutène, et Ali Feraoun, fils de Mouloud Féraoun. Leurs bourreaux ne leur avaient donné aucune chance de savourer et de partager la joie d’une Algérie libre et indépendante. Ils furent assassinés trois jours avant le cessez-le-feu. Prenant le premier la parole, Mohamed Hamoutène, aujourd’hui médecin, relate le triste évènement que la salle suivait silencieusement car les faits étaient très bouleversants. «Un attentat qui visait six inspecteurs des CSE qui combattaient le sous-développement, la misère contre le colonialisme français», dira-t-il. Mohamed Hamoutène rappellera la contribution exemplaire de Germaine Tillon, ethnologue résistante et déportée durant la 2ème guerre mondiale. Elle avait connu les Aurès 10 ans plus tôt. Elle revint en Algérie en 1955. Elle était horrifiée et scandalisée par l’état de délabrement des populations sur les plans économique, social et culturel. Elle rencontre Marie René Chené dans un bidonville de Bel Air (Air) et c’est à partir de ce quartier qu’a été né le premier centre social. Sa détermination parvint à arracher un cadre juridique et officiel à ces CSE (décret du 27 octobre 1955) qui officialisa leur création, ce qui n’avait pas plu aux ennemis de l’Indépendance de l’Algérie. Le conférencier aborda les quelques objectifs de ces CSE : donner une éducation de base aux enfants et adolescents qui n’ont pas trouvé de place à l’école. Ils étaient deux millions en 1955 à être exclus de tout savoir, à leurs parents sans emplois, point de départ des cours d’alphabétisation, mise en service d’un plan d’assistance médicosocial polyvalent, un enseignement technique et professionnel entre autres. L’autre volet est le fonctionnement des CSE mais aussi les nombreuses difficultés. «Ils suscitaient une profonde méfiance de l’armée française qui soupçonnait des connivences avec les cellules FLN et qui créa les SAS pour encadrer les populations politiquement, tenta de les isoler de l’emprise du FLN… et passa aux menaces : arrestations et tortures des membres des CSE, limogeage du Directeur du journal l’Echo d’Alger (10 juillet 1959) qui annonçait la découverte d’un réseau FLN dans les CSE. Haine, persécution, insécurité arrestations, tortures se succèdent. Le 15 mars 1962, le lieutenant Degueltre et ses compagnons exécutent l’instruction n° 29 du général putschiste Salan, chef de l’OAS… Toute personnalité intellectuelle musulmane soupçonnée de sympathie avec le FLN, devra être abattue». Le succès que commençaient à avoir les CSE ne plaisait guère à l’armée française, dont l’OAS rejetait les accords d’Evian. Le coup est préparé ! Alors, dans la cour des CSE, tout est mis en place pour le crime. Le commando fit irruption dans la salle de réunion. C’est l’angoisse ! «Ceux qui sont appelés se présentent avec leur carte d’identité», raconte-t-il encore. Ils étaient six (6) à être assassinés d’une manière abjecte et plongea les CSE dans l’horreur indescriptible. Le 2ème conférencier, Ali Feraoun, met l’accent sur les véritables objectifs de cette mission de haine qui se déferlait contre les six inspecteurs. Quant à l’œuvre de Mouloud Féraoun, il dira : «Tous les livres et manuscrits sont numérisés par Médjadj et un centre de documentation Mouloud Feraoun est envisagé». Il revient sur l’assassinat de son père : 12 balles dans le corps de Mouloud Feraoun et Ahmed Hamoutène, le fils aîné d’Ali, avait trouvé son père dans une mare de sang. Il tomba évanoui. 110 balles ont été tirées sur eux ! «C’était horrible !!! Ils étaient choisis par l’OAS qui ne voulait pas qu’ils prennent en main l’éducation après l’indépendance», dira-t-il et d’ajouter : «Les CSE sont devenus par la suite des Foyers d’animation de jeunesse FAJ puis Maisons de jeunes. Il fallait brûler la bibliothèque nationale, éliminer les intellectuels et étouffer cet embryon dans l’œuf !». Les débats furent passionnants. Un citoyen proposa la baptisation du nouveau lycée de Béni Douala du nom de Mouloud Feraoun. Un autre insista sur la création d’une association et fondation Ali Hamoutène. Une dame apporta son témoignage sur l’un des assassins, un certain Anglade, qui était maire d’une municipalité au sud de la France. Il serait décédé il y a deux mois environ. La date du 15 mars est proposée comme étant une journée de l’Enseignant. Le bilan de la fondation Mouloud Feraoun a été apprécié. Une autre proposition est celle de l’adaptation du livre de lecture de Mouloud Feraoun «L’ami fidèle». Le prix Mouloud Feraoun est au stade de réflexion. «Le fils du pauvre» est en traduction en Japonais. Il sera édité en 2016. Quatre livres de Mouloud Feraoun sont déjà traduits en tamazight, tels sont les éléments apportés par Ali Feraoun.

Arous Touil

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