La douloureuse histoire des frères Harchaoui

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C’est le cinquantième quatrième anniversaire de la signature des accords d’Evian, signés le 19 mars 1962 par feu le colonel Krim Belkacem en Suisse face aux négociateurs français dont Louis Joxe, qui mirent fin à sept ans et demi de lutte armée et à 132 ans de colonisation. L’heure est à l’évocation. Au grand jamais, les cicatrices tant qu’elles sont encore profondes ne peuvent être fermées aussi facilement même si la France coloniale demanderait un jour la repentance au peuple algérien. Nombreux et nombreuses, encore, ceux et celles, qui gardent de mauvais souvenirs de ce qu’ils avaient enduré durant cette époque. Tortures physiques et morales les hantent jusqu’au jour d’aujourd’hui, après plus d’un demi-siècle d’indépendance. Deux sœurs encore meurtries d’avoir perdu leurs quatre frères durant la guerre de libération nationale, sont revenues longuement, jeudi dernier, lorsqu’elles étaient invitées à l’inauguration d’une plaque commémorative érigée aux noms des frères Harchaoui que porte ce collège à Draâ El-Mizan. Il s’agit des sœurs Hadjila et Djouher Harchaoui. C’est la plus âgée qui prit tout d’abord la parole pour revenir sur l’histoire de ses frères Ali, Ahcène, Mohamed et Hocine tombés au champ d’honneur respectivement en 1959, en 1960 et les deux autres en 1958. «Je me souviens comme si cela datait d’hier lorsque mon frère Hocine fut tué à Draâ El-Mizan. Il fut chargé d’assassiner un goumi. Il avait sur lui un revolver que les moudjahidine lui avaient remis. Mais, il n’eut pas le temps de tirer. Alors, il engagea un combat corps à corps avec lui. Mon frère tomba dans une fosse et un autre goumi tira sur lui. C’était en 1958», se rappellera Nna Hadjila en dépit de son âge avancé. Quant au deuxième, Ali, il est tombé au champ d’honneur à Ihadathène, tout près de Draâ Sachem alors qu’il avait sur lui du courrier à remettre aux djonouds. L’intervenante poursuivra, en nous disant que son troisième frère (Ahcène) décéda dans une bataille à Ameddah sur les hauteurs de Tizi-Gheniff. Nna Hadjila n’oubliera jamais le jour lorsque les militaires français avaient détruit entièrement leur habitation à Ihikmène du côté d’Ichoukrène. Notre maison était un refuge et un camp d’entraînement pour les djonouds. Ce n’était qu’après que deux moudjahidines qui s’étaient rendus à l’armée française que cette cache, pourtant sûre, fut bombardée. Et nous étions alors obligés de quitter le lieu pour habiter à Ichoukrène», conclura-t-elle. C’est Djouher, la deuxième sœur moins âgée que la précédente qui racontera avec force détails le parcours de Hocine. «Mon frère Hocine avait coupé une vigne à Tizi-Gheniff appartenant aux colons. Malheureusement, une de ses photos tomba dans la vigne. Une fois retrouvée, elle permit aux militaires de l’identifier et il passa trois ans à Berroughia. Quand il fut libéré les moudjahidine le contactèrent et l’enrôlèrent dans un groupe», lui emboîtera le pas la deuxième intervenante. «Un jour, Ali et Ahcène étaient sur la place du village. Ce jour-là le camp militaire d’Ichoukrène fut attaqué par les djounouds de l’ALN. Alors, les militaires réagirent en tirant des obus sur la place. Mes deux frères furent blessés et s’enfuirent», enchaînera-t-elle. Peu de temps après, poursuivra-t-elle, mon père alla voir le capitaine pour lui demander de lui donner la permission d’aller les chercher. Leur défunt père put enfin les retrouver. «Il les présenta au capitaine qui ordonna de les soigner. Mais, réellement, à l’infirmerie, rien n’y fit. Depuis ce jour, ils prirent le maquis où ils furent soignés et commencèrent leurs activités au sein de l’organisation», précisera-t-elle. Nna Djouher reviendra sur la mort de son frère Mohamed. «Il fut tué le même jour à Ichoukrène en compagnie de deux autres djonouds (Moh El Hadj Amar et Si Ali N’ Si Slimane). Les militaires les brûlèrent et les abandonnèrent dans un champ hors du village. Quand ma mère eut vent de la nouvelle, en dépit de la peur, elle eut beaucoup de courage et elle se rendit sur place. Elle découvrit alors le corps de mon frère entièrement calciné. Elle retourna son corps, le reconnut et prit un lambeau de sa veste. Quand elle pénétra à la maison, elle gémit en disant voilà ce qui est resté de Mohamed, et elle s’affala sur le sol perdant conscience. Elle tomba malade pendant quinze jours. Elle ne mangea rien», racontera-t-elle en larmes en se rappelant que Mohamed était tombé au champ d’honneur le 23 mai 1959. Cette deuxième intervenante ne put retenir, encore une fois, ses larmes. Cinquante-sept ans après, elle ne put oublier ce moment douloureux. Telle est l’histoire des frères Harchaoui qui, avec des milliers de djounouds, avaient donné du fil à retordre aux militaires de Bigeard et les autres. Ces deux sœurs reconnaîtront qu’en dépit de ces douleurs, elles sont tout de même aujourd’hui très contentes de vivre dans une Algérie indépendante. «Dieu merci, aujourd’hui, notre pays est libre. Il y a des écoles partout, des lycées, des universités, des hôpitaux, des routes… Pendant la guerre, dans toute la région de Draâ El-Mizan, il n’y avait qu’une seule école fréquentée par les enfants des colons et des caids. Gloire à nos martyrs et vive l’Algérie libre et indépendante», terminèrent ensemble ces témoignages poignants.

Amar Ouramdane

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