Slimane Rahmani, l’ethnologue oublié

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Le centre culturel d’Aokas a organisé une belle rencontre, samedi dernier, à l’occasion de la sortie du livre d’Abderrahmane Amara et Nacer Medjdoub sur l’ethnologue Slimane Rahmani, aux éditions Afriwen.

Slimane Rahmani était ethnologue de la Kabylie avant tout le monde. Il a été l’un des précurseurs, avec Boulifa, des études sur l’identité kabyle. Il a soutenu sa thèse de doctorat en 1954 à Aix en Provence. En 1926 déjà il fut instituteur diplômé de langue berbère, chargé du cours de berbère à l’école normale de Bouzaréah. En 1940, il fut aussi diplômé en langue et littérature arabes, et a soutenu son doctorat en lettres françaises à l’âge de soixante ans. Durant toute sa vie, il n’a cessé d’étudier et d’écrire sur les berbères des Babors. En publiant une dizaine d’ouvres littéraires de grande portée sociologique, il a montré ses compétences en ethnologie, en étudiant la société qu’il connaissait le mieux, la sienne. «Coutumes des labours chez les béni Amrous», «Le mois de Mlai chez les Kabyles», «L’enfant chez les Kabyles jusqu’à la circoncision», «Le mariage chez les Kabyles de Cap Aokas», «Le divorce chez les Kabyles», furent entre autres des publications qu’il a réalisées dans les années trente. Il a certainement été celui qui a le plus étudié l’ethnologie kabyle d’Aokas et de sa région, sachant qu’à l’époque, la commune de Oued Marsa (c’était son nom), s’étendait très loin, jusqu’aux frontières avec Sétif. De plus, son fils Abdelkader a suivi ses pas en devenant le premier président de l’Académie Berbère. La conférence fut animée par les deux auteurs du livre et leur éditeur, Rachid Oulebsir. Abderrahmane Amara dira que Slimane Rahmani a été oublié et ignoré par les institutions officielles de l’Algérie. Il se souvient encore de l’enterrement de cet ethnologue hors pair, en 1964. C’est à ce moment-là qu’Abderrahmane prit conscience de la beauté et de la grandeur de la langue amazighe. Depuis, il ne cesse de militer pour son développement et la généralisation de son utilisation. Avec son co-auteur, ils ne cessent de courir pour déterrer les traditions, les pratiques ancestrales de la Kabylie et le langage qui va avec. «Slimane Rahmani a été enterré sous une chape de plomb. C’est Tahar Djaout et Mohia qui l’ont déterré en 1991». C’est avec émotion qu’Abderrahmane Amara se souvient de tous ces événements qui semblent l’avoir marqué à jamais. «Avec Nacer, dira-t-il, nous avons cherché les moindres informations pour essayer de faire quelque chose pour la mémoire de Slimane Rahmani. Nous sommes partis de rien, et nous avons dû faire des enquêtes journalistiques pour arriver à glaner les informations qui nous ont servi à élaborer ce livre». «Mais pour continuer ce travail de recherche, nous avons besoin de plus d’informations, notamment l’accès au texte de la thèse de doctorat en lettres françaises qu’il a soutenue à Aix en Provence, le 4 Juillet 1954», a poursuivi l’auteur. Nous faisons appel à toute personne, en Algérie ou ailleurs, qui pourrait nous le procurer, sous une forme ou une autre. Alors que la conférence continuait, Abderrahmane Amara a rappelé que Slimane Rahmani adorait écouter Slimane Azem, notamment sa célèbre chanson «Atas Isevregh». Car l’ethnologue a longtemps souffert de l’exil. C’est à ce moment que Nacer Medjdoub a pris son Banjo pour interpréter devant le public, venu nombreux, cette fameuse chanson. Après cela, ce fut autour de Rachid Oulebsir de prendre la parole. Il a raconté comment il est devenu éditeur, et quel chemin il a suivi. Après avoir publié plusieurs ouvrages en France, il a décidé de devenir lui-même éditeur en Algérie, pour aider les auteurs à publier leurs œuvres et les mettre à la disposition du public. Mais le métier est dur et le travail long et fastidieux. Selon la loi algérienne, l’investissement dans ce domaine est très désavantageux. L’auteur qui consacre du temps et des moyens pour faire sa recherche et produire un livre n’a droit qu’à 10% des gains sur la vente de son livre. Tandis que le libraire qui ne fournit aucun effort intellectuel à ce sujet et qui se contente juste de commercialiser ce produit, a droit à 30% du prix de ce livre. Il y a visiblement un déséquilibre quelque part. C’est pourquoi Rachid Oulebsir n’a pas d’ambition de se faire de l’argent dans ce domaine. Il se contente de faire œuvre de militantisme pour continuer à éditer. Autrement, il ferait comme nombre d’autres maisons d’éditions, en abandonnant ce métier. Rachid est donc prêt à éditer tout ouvrage qui parle du patrimoine, de l’histoire des traditions et de tous les domaines en relation avec la civilisation amazighe. Il s’attache particulièrement au développement de l’identité villageoise dans laquelle il trouve qu’il y a une richesse importante à découvrir et à faire connaître. Il demande donc à tout porteur de projet de publication d’un livre sur le domaine de se rapprocher de sa maison d’édition dénommée Afriwen pour monter ensemble le projet d’édition et le faire aboutir. «Pour la réalisation du livre sur Slimane Rahmani, ce sont les auteurs qui ont apporté le financement nécessaire, notamment en recourant à la technique de la souscription», a-t-il dit. Ce sera aussi la même approche avec les autres auteurs. Le travail se fera sur présentation d’un devis clair et détaillé pour que le projet soit mené à bout et dans la transparence la plus totale. Le livre de près de 170 pages aborde les différentes facettes du personnage. Textes et photos à l’appui, il relate la vie de l’ethnologue, puis présente son œuvre. Dans la troisième partie, des témoignages d’hommes de culture sur Slimane Rahmani ont été rapportés pour donner une dimension encore plus grande sur le souvenir que cet homme a laissé. Sans doute conviendrait-il de s’intéresser davantage à ce personnage hors du commun, et de lui donner la place qu’il mérite au panthéon des précurseurs de la pensée berbère contemporaine.

N. Si Yani

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