À quand la fin du pillage de la mémoire collective ?

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Le patrimoine culturel algérien- sites historiques, sites naturels, musées,…- continue à pâtir de plusieurs aléas où se multiplient dégradations, vols, pillages, occupation des lieux de vestiges par des constructions illicites, et même exportation illégale de pièces archéologiques, sculptures et tableaux de peinture. L’actualité rapportée quotidiennement par les médias dans ce domaine, établie sur la base des rapports des services de sécurité ou sur un travail d’enquête sur le terrain, donne souvent froid dans le dos. La mafia du gain facile, inculte, n’ayant aucune notion de la dimension culturelle de l’homme, trouve dans les faiblesses et les défaillances de l’administration et des pouvoirs publics une aubaine, une occasion en or pour faire des « affaires » sur le dos de la mémoire collective et des moyens d’expression de l’âme algérienne. Les ksours du Touat, Gourara et de la Saoura s’effritent et subissent, sans secours, la patine des siècles. Les sites des villes antiques de Tipasa et Cherchell sont, chaque jour, menacés par le béton. Les gravures rupestres du Tassili n’Ajjer sont souvent griffonnées et abîmées par des mains criminelles. Certaines pièces de petites dimensions sont pillées par des touristes, ou faux touristes, algériens et étrangers, pour être vendues dans les pays voisins ou en Europe. Quel réceptacle des biens culturels qui soit mieux protégé qu’un musée? Eh bien, on a trouvé le moyen d’y dérober des bustes, des silex et d’autres pièces et leur faire passer la frontière. En 1996, le buste en marbre de l’Empereur romain Marc Aurèle, a été volé du musée de Skikda. Il n’a été récupéré à partir des États-Unis!, qu’en 2008. Quant au masque de la Gorgone, pesant 320 kilogrammes, il a été dérobé sur le site d’Hippone à Annaba, la même année que la disparition du buste de Marc Aurèle. Le masque de la Gorgone a été retrouvé en 2011 dans la maison de Sakhr El Materi, gendre de l’ancien président Tunisien déchu, Zine El Abidine Benali. La restitution de cette pièce antique, qui garnissait merveilleusement le site d’Hippone, est intervenue en 2014, après des procédures légales et administratives menées par le ministère de la Culture, en collaboration avec la direction générale de la sûreté nationale (DGSN), le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Justice. Toujours en 2014, l’esquisse de la toile intitulée La Béquée (1848-1860) du peintre français Jean François Millet, ornant le musée Zabana d’Oran depuis 1950 et représentant une femme nourrissant ses trois enfants, a été restituée à l’Algérie par la France,… vingt-neuf ans après avoir été dérobée par des inconnus. L’œuvre a été proposée déjà en 2002 à Paris pour une vente aux enchères. L’ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi, déclarera à l’occasion de la restitution de cette précieuse toile: « Je suis très heureuse que l’Algérie ait pu récupérer cette œuvre, parce que c’est le bien du peuple algérien. Il convient de savoir que le ministère de la Culture a réalisé un immense travail en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et Interpol Algérie. À cet effet, nous avons constitué des équipes mixtes (avec la DGSN, la gendarmerie, les Douanes…) pour préserver les biens culturels matériels et immatériels de notre pays », en ajoutant, au sujet de la toile de Millet: « La Béquée est un tableau d’une valeur patrimoniale inestimable. Cette œuvre rejoindra le musée des Beaux-arts ».

Un patrimoine dispersé aux quatre coins du monde

Le patrimoine culturel algérien, particulièrement sa partie « meuble » (pièces archéologiques antiques ou médiévales, bustes, peintures rupestres,…) a fait ainsi l’objet de vol et de contrebande, particulièrement pendant les années d’insécurité. Mais, il se trouve aussi que, même au cours des dix dernières années, des milliers de pièces culturelles de différentes dimensions ont été dérobées et ont fait l’objet de tentatives de fuite vers l’étranger où elles seraient bradées comme n’importe quel objet de recel. Rien que pour l’année 2013, le nombre de pièces archéologiques et culturelles récupérées est de 1 229, selon les chiffres établis par la direction générale de la sûreté nationale (DGSN). De son côté la gendarmerie nationale a établi un bilan, en mai 2014, de la lutte contre le vol et le transport illicite de pièces culturelles. Entre 2000 et 2014, il a été recensé la récupération de 12.000 pièces sur l’ensemble du territoire national. L’action des services de sécurité entrant dans le cadre de la lutte contre le trafic des biens archéologiques et la préservation du patrimoine culturel, s’appuie souvent sur la collaboration avec l’Organisation internationale de la police (Interpol). Ce qui s’est traduit par quelques résultats positifs. Cependant, les pertes devenues définitives constituent un maillon précieux, irremplaçable, retranchée à la grande et exaltante chaîne de l’histoire culturelle du pays. Si, pour de rares pièces, comme celles qui sont citées plus haut, on a cette grande consolation de les avoir récupérées, le bilan des autres pièces perdues à jamais- de faibles ou moyennes dimensions permettant leur transport et leur évacuation rapide vers l’étranger- est autrement plus lourd et plus inquiétant. La mémoire et l’âme algériennes, déjà malmenées dans les programmes scolaires, dans la médiatisation et la vulgarisation par les médias, sont ainsi dispersées et bradées aux quatre coins de la planète sans qu’il y ait un moyen de les retrouver et de les rapatrier.

Une « savante » autodestruction

Outre le vol et le pillage, le patrimoine culturel matériel, particulièrement les parties bâties, fait l’objet de destruction in situ, sur les lieux même de son ancrage historique, et cela suite à l’action de la mafia du foncier, qui ne tient aucun compte des « scrupules » culturels pour tapisser de béton des lieux de mémoire et y ériger des villas cossues, et suite aussi à certaines actions irréfléchies de l’administration qui, pour bâtir des logements sociaux ou des équipements publics, foule aux pieds des lieux de mémoire et de culture, comme cela est régulièrement rapporté dans la presse à travers plusieurs points du territoire national. Cela, sans trop insister sur le sort des sites historiques ou naturels touchés par les décharges sauvages qui parsèment les quatre coins du pays et les eaux usées qui tracent leur filet glauque sur les plages, au bas de belles collines verdoyantes et à proximité de certaines ruines antiques ou médiévales. Faudrait-il se poser des questions sur la faiblesse, voire l’absence, de flux de touristes pour lesquels les pouvoirs publics ne savent préparer que « tant de lits », en prétendant encourager l’investissement dans le secteur de l’hôtellerie. Un bel et énigmatique renversement de l’équation. Les touristes ne viendront pas en Algérie spécialement pour dormir. La raison première et suprême de leur déplacement, à savoir cette matière première constituée de sites naturels et de biens historiques et culturels, est en train de mourir à petit feu. Et on viendra, dans deux semaines, à partir du 18 avril, « chanter » le mois du patrimoine, en organisant une foultitude de manifestations et de spectacles qui ne peuvent, en rien, sauver ce patrimoine qui connaît aujourd’hui ses pires moments. Si la citadelle de Palmyre en Syrie, les grandes sculptures en haut-relief de Bouddha à Bâmiyân, en Afghanistan, et les mausolées de Tombouctou au Mali, ont été détruits par les mains criminelles des intégristes, qu’ils soient de Daech, Aqmi ou Talibans, le patrimoine culturel matériel algérien est en train de subir la décrépitude, le vol, le pillage, l’abandon et le bétonnage qui sont l’œuvre de ses propres enfants. Peut-on être plus savant en matière d’autodestruction et d’effacement de la mémoire collective au point de faire de la jeunesse algérienne de pauvre hères sans ancrage identitaire et un contingent de harragas en puissance?

Amar Naït Messaoud

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