Boudjemâa Agraw décortique « JSK negh »

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Ses longues années de chants et de combat ont fait de lui un artiste complet. Militant invétéré de la cause berbère, après plus de trente années de chanson, Boudjemaa agraw n’a rien perdu de son engagement.

D’après lui, « l’engagement est nécessaire et vital pour toute société avide de justice et d’émancipation, car il oriente, sensibilise et identifie les repères culturels et identitaires ». C’est avec beaucoup de simplicité et de générosité que Boudjemâa Agraw a accepté de nous parler de son dernier CD. Sorti au mois de novembre de l’année 2015, le dernier album de Boudjemâa, constitué de huit chansons et de deux instrumentaux, a eu un écho assez large malgré le fait qu’il n’ait bénéficié presque, d’aucune promotion au préalable. La polémique que la chanson «JSK Negh» a suscité sur le net est une preuve de son impact parmi le public. Avec beaucoup de patience, il a voulu décortiquer son dernier album pour dissiper toutes les zones d’ombre, et aussi, pour faire plaisir à ses fans en leur explicitant ses chansons.

1960 Ya Qbayli

Dans cette chanson, Boudjemâa a voulu relater la genèse de sa rencontre avec l’Histoire du peuple Amazigh et le combat identitaire. «À la fin des années cinquante et au début des années soixante, à notre installation à Alger, j’étais choqué de découvrir qu’il y avait, chez nous, une autre langue que je ne comprenais pas. Dans mon nouveau quartier, la communication était difficile entre moi et les autres jeunes de mon âge : ils ne comprenaient pas ce que je disais, et moi, je ne comprenais ce qu’ils me disaient, pour cela, nos conversations se terminaient souvent en rixes ! Au début, quand ils m’appelaient «Ya Qbayli», je réagissais mal. C’est à partir de là que j’ai commencé à me poser des questions : qui sont-ils ? Qui sommes-nous ? Pourquoi nous ne parlions pas la même langue ? Et dès lors, j’acceptais avec honneur ce surnom, car j’avais réalisé que ce n’était pas moi qui m’étais installé chez eux, mais plutôt le contraire», dit-il.

Qbel Charlie (avant Charlie)

En réaction à la vive émotion qu’a suscité l’attentat contre Charlie Hebdo, à travers le monde, cette chanson se veut, d’après Boudjemâa, un rappel au monde pour attirer son attention sur les événements vécus par les Algériens durant la guerre d’Algérie et surtout durant la décennie noire. «J’ai voulu rappeler aux gens que l’horreur que le monde a découverte à travers les événements de Charlie Hebdo n’était pas nouvelle et que c’était juste un épisode malheureux d’une grande série d’événements plus horribles et plus sanglants que notre pays a vécu, mais occultés par l’opinion internationale. Aussi, et surtout, pour ne pas oublier que le feu qui nous avait brûlés durant ces deux périodes, fut éteint par le sang des braves. Si aujourd’hui, nous jouissons de liberté et de paix, c’est grâce aux sacrifices de Si El Houas, Abane, Amirouche, … pendant la guerre de libération et de Matoub, Mekbel, Tigziri, et tant d’autres qui sont tombés sous des balles assassines durant la décennie noire. Ces héros qui ont fait don de leurs vies contre l’injustice et l’obscurantisme, nous devons les glorifier et leur exprimer de la gratitude et ne jamais les oublier en leur rendant hommage chaque jour de notre existence», dira notre interlocuteur.

JSK Negh

Pour cette chanson qui a aussi créé polémique, Boudjemâa a tenu à clarifier certains points pour éviter tout amalgame. Avant toutes choses, il a tenu à rappeler sa position sur ce sujet : «Je suis avec le comité de sauvegarde de la JSK !». D’après lui, la JSK n’est pas seulement un club de football, mais une vitrine de la Kabylie et le porte-drapeau du combat identitaire de toute la région. Dans cette chanson, il a tenu à glorifier la JSK en citant tous les plaisirs et les honneurs que ce club prestigieux a procurés aux millions de Kabyles et d’Imazighen en général. «C’était à l’occasion de la finale de 1977 contre le Nahd, au stade du 5 juillet, et c’était à partir des tribunes 11, 12 et 13 que des slogans amorçant et annonçant la contestation contre le déni identitaire dont nous étions victimes, ont commencé à fuser. Je me souviens que j’ai assisté à cette rencontre et que moi aussi, j’avais crié à tue-tête ma soif de justice et de reconnaissance», dira Boudjemâa. Selon lui, ce symbole est géré présentement comme un fonds de commerce, «aujourd’hui, la JSK est devenue un club ordinaire dénué de toute aura, une équipe qui joue le maintien ! Étant quelqu’un qui supporte avec le cœur, les résultats des dernières années me font mal». Il a aussi parlé de sa chanson sur le MOB, l’autre équipe chère à son cœur, «ces dernières saisons, le MOB représente au mieux ma ville, Bgayeth, et ma Kabylie en général». Pour le reste des chansons de l’album, ce sont des chansons à texte où il a privilégié les paroles, car ce sont, selon lui, des chansons qui poussent les gens à prendre conscience.

Situation actuelle de la chanson kabyle

Pour lui, la chanson kabyle a régressé sur tous les plans. «La chanson à texte, de nos jours, existe seulement chez trois ou quatre chanteurs. C’est la médiocrité qui prime. Le public s’intéresse et écoute plus les percussions que la mélodie et les textes, d’ailleurs, il n’y a plus de textes. Il (le public) suit malheureusement, ce qui l’éloigne de la culture et de l’éducation» estime-t-il. Concernant la chanson engagée, d’après Boudjemaâ elle se fait rare, ces derniers temps, malgré le fait qu’il subsiste toujours des batailles à mener et de nobles causes à défendre. Boudjemâa a expliqué les raisons de cette régression par le fait que les anciens se retirent peu à peu pour différentes raisons alors que la relève n’existe pas. Il impute à l’école algérienne la situation que vit actuellement l’Algérie en général, «l’école algérienne a brisé les jeunes, elle a failli dans sa mission !». Le chanteur a rappelé qu’à l’époque de sa jeunesse, ses amis et lui, lisaient, apprenaient et commentaient longuement les poèmes et les vies de poètes connus à travers le monde, ce qui ne se fait plus actuellement. Le respect, la culture et l’éducation sont des concepts qui ont presque disparus de nos jours, c’est pour cela que notre jeunesse vogue sans destination. En ce qui est de l’officialisation de Tamazight, et contrairement aux pessimistes, lui, juge que c’est un pas-de-géant que les Imazighen ont réalisé «ceux qui ont vécu la répression des années soixante dix doivent être aux anges avec cette officialisation, mais, pour ceux qui jugent cet acquis insuffisant, qu’ils se mettent au travail pour promouvoir cette langue et Dieu sait combien il reste à faire dans ce domaine». Selon lui, du 10 mars 1980, date de l’interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri à ce jour, les étapes franchies sont monumentales, mais beaucoup reste à faire et Tamazight a besoin de l’engagement de tous ses enfants.

Tournée en vue

Le 19 avril, Boudjemâa sera à Drâa El-Mizan sur invitation d’«Amgoud», une association qu’il remercie pour l’hommage qu’elle lui a déjà rendu : «c’était en présence de Djamel Menad et de Mouloud Iboud, et je profite de cette occasion pour les remercier et les saluer». Le 20 avril, il sera à Azazga et le 21 à Aïn-Beniane où l’idée de retrouver cette communauté l’enchante déjà. Le 29 avril, Boudjemâa sera l’hôte d’Ihasnawen pour un hommage que lui rendra une association locale : «Ce sera pour me remettre un prix en hommage de mon engagement sur le terrain, et d’ailleurs, je les remercie d’avance pour cette distinction et je salue tous les habitants de cette contrée».

Saïd M

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