« La lecture se meurt »

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Natif du village de Tiaouinine, commune d’Ouaguenoun (Tizi-Ouzou), Youcef Nemmar est un médecin hanté par la lecture et l’écriture depuis sa tendre enfance. Il a exercé pendant une longue période en tant que correspondant au quotidien indépendant El Watan. Son premier livre «Extravagances», aujourd’hui à sa deuxième édition, a connu un accueil enthousiaste du public. Approché par nos soins, l’auteur a bien voulu nous accorder cet entretien.

La Dépêche de Kabylie : Comment est venu votre intérêt pour l’écriture?

Youcef Nemmar : C’est à l’âge de treize ou quatorze ans que j’ai découvert le monde de la littérature, l’âge où j’ai entamé la lecture des romans. Au collège déjà je dévorais quelques dizaines de bouquins annuellement, écrits dans les quatre langues : français, arabe, berbère et anglais. Parallèlement à ces lectures, j’ai commencé à esquisser mes tout premiers écrits. Cependant, c’est au lycée que j’ai élaboré des textes «achevés» : poèmes, nouvelles, traductions et articles de presses. Une fois à l’université j’ai délaissé le monde de la lecture et de l’écriture pour me consacrer à mes études de médecine. Toutefois, la soif de lire et le besoin d’écrire me hantaient toujours. C’est pourquoi j’ai opté pour rédiger des articles pour le compte du quotidien El Watan. Entre-temps, je me suis mis à prendre des notes et à noircir peu à peu mes calepins.

Quels sont les ouvrages que vous avez publiés?

Mon premier livre, intitulé «Extravagances», est un recueil de 600 pensées, publié à compte d’auteur en janvier 2012. Après l’épuisement du stock au bout de quelques mois, l’ouvrage a été réédité sous forme d’une nouvelle édition entièrement revue, corrigée et enrichie de quelque 250 nouvelles pensées. Mon tout dernier livre «Fantaisies», nouveau volume de 750 pensées, est sorti au début de l’année dernière.

Quels sont les thèmes que vous y avez développés?

Dans chaque livre, on développe 300 thèmes environ. Ce sont les grands thèmes de l’humanité tels que l’amour, la vie, le bonheur,…On y traite aussi les questions qui concernent les valeurs humaines universelles, les sentiments et les émotions. Y sont abordés également des thématiques en rapport avec la réussite, le bien-être et l’épanouissement personnel en général. Tous ces thèmes sont diversement traités dans ces recueils.

Pourquoi avez-vous intitulé votre premier recueil de pensées «Extravagances»?

Un lecteur attentif se rendra compte qu’il y a plein d’«extravagances» dans cet ouvrage.

D’autres livres en vue ?

À présent, je prépare un mini-dictionnaire de citations algériennes, en collaboration avec un ami, doctorant et correspondant de presse. C’est un travail ambitieux et de langue haleine qui exige le fouillement de plusieurs dizaines d’ouvrages et de fouiner les travaux de tous les auteurs représentant la pensée, la culture et la littérature algériennes dans toute sa richesse et sa diversité. À long terme, je compte publier des nouvelles.

Quels sont les problèmes que vous avez rencontrés au cours de votre parcours d’auteur?

En ce qui me concerne, les problèmes sont principalement d’ordre technique. Premièrement, les correcteurs sont quasiment inexistants et de surcroît très peu disponibles. Deuxièmement, il est exceptionnel de trouver un éditeur qui puisse faire paraître le livre dans les meilleurs délais. Troisièmement, la qualité d’impression est souvent très peu satisfaisante. De ce fait, la publication d’un ouvrage peut accuser un retard de plusieurs mois pour ne pas dire des années et sa qualité reste souvent loin de nos attentes. Quant aux problèmes de diffusion et de distribution, il n’est pas nécessaire de nous étaler : ils sont communs à tous les agents qui travaillent dans le secteur du livre.

Quel constat faites-vous de la lecture actuellement en général, et à l’université en particulier?

De nos jours, la lecture se meurt : on voit de moins en moins de lecteurs dans «la rue» comme à l’université. L’école d’un côté et les parents de l’autre ont renoncé à planter le goût de la lecture et l’amour du livre dans l’esprit de la nouvelle génération. Le livre est parfois indisponible faute de bibliothèques publiques et souvent inaccessibles, car il n’est pas toujours à la portée de toutes les bourses. Il est vrai que le développement des nouveaux moyens de communication audio-visuels a fortement concurrencé la lecture de livres et de la presse. Tous ces facteurs ont abouti au fléchissement de la lecture, notamment chez les jeunes, ce qui a engendré des conséquences désastreuses sur les plans culturel et intellectuel des citoyens.

Pourquoi adoptez-vous le français comme langue d’écriture?

Le choix du français comme langue d’écriture s’est imposé de lui-même pour plusieurs raisons. Le français est ma langue d’étude et de travail, et mes lectures se font le plus souvent dans cette langue ; ceci me facilite grandement la tâche d’écrire dans cette belle langue de littérature. En plus, il est plus aisé de développer dans la langue de Molière des idées choquant les convenances et allant à l’encontre de la pensée dominante. En effet, dans notre société il est moins ardu d’aborder des sujets tabou tels que la sexualité et la religion en français qu’en arabe ou en berbère. Par ailleurs, le nombre de lecteurs potentiels en langue française paraît paradoxalement plus important même s’il y a beaucoup plus de locuteurs qui maîtrisent les langues arabe et berbère.

Quelles sont vos sources d’inspiration?

L’inspiration me vient le plus souvent pendant la lecture ou la méditation d’un texte intéressant. Je lis des écrits et des ouvrages de tous genres, signés par des auteurs issus de divers horizons. À titre d’exemple, en ce qui concerne la fiction, je suis plutôt séduit par les nouvellistes. Je cite, entre autres, l’écrivain russe Anton Tchekhov et Guy de Maupassant, maître de la nouvelle française. Je me régale également des aphorismes et des maximes des moralistes tels que Luc de Vauvenargues et La Roche Foucauld. Je m’intéresse aussi aux œuvres de psychologie et du développement personnel. Là ma préférence va aux auteurs américains de la trempe de Napoléon Hill, John Gray et Dale Carnegie.

Un dernier mot…

Le niveau culturel et intellectuel de la population est en régression et les champs éditorial et artistique sont à l’agonie. De ce fait, l’école, les pouvoirs publics et la société civile sont appelés à jouer leurs rôles respectifs dans la valorisation et la promotion de la pratique de la lecture et de l’accès à la culture. On devra aussi assurer le soutien et l’encouragement de la production littéraire et philosophique, ainsi que la création artistique et scientifique.

Entretien réalisé par

Djemaa Timzouert

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