Les méthodes de ventes traditionnelles dans les marchés de Kabylie

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Les méthodes de ventes traditionnelles en Kabylie n’ont rien à envier aux méthodes nouvelles dites modernes. Celles-ci sont dominées par la suspicion, les jeux du seul intérêt et où l’humanisme est totalement écrasé par l’appât cruel du gain. Dans les transactions traditionnelles de Kabylie qui ont lieu les jours de marchés et particulièrement au niveau des marchés à bestiaux, le sérieux, la considération et la confiance sont des maîtres mots. Lors d’un bref passage dans un marché populeux, on est vite happés par la maîtrise d’un verbe de rigueur car c’est par là que tout commence et tout finit. Des joutes oratoires accompagnent les engagements qui ont lieu presque toujours sous la forme de vente aux plus offrants, mais qui repose sur des argumentaires précis. Les Asemsar, comme on les appelle, simples, prudents et attentifs, sont discrètement soit du côté du vendeur ou de celui de l’acheteur. Ils sont difficilement décelables. Ce sont eux qui régulent les transactions commerciales. Ils jouent ainsi le rôle de commissaires priseurs informels et de modérateurs volontaires raisonnant l’un et l’autre, l’un ou l’autre des deux parties : le vendeur comme l’acheteur. Les arguments se placent au niveau de la qualité des bêtes à vendre. Toutes les parties de l’animal sont vantées dans leurs moindres détails et avec beaucoup de savoir-faire dans la description de l’anatomie du bétail. Si l’on traduisait la langue utilisée (ici la langue amazighe de Kabylie) dans une autre langue aguerrie aux sciences économiques et commerciales modernes, on relèvera une sensible similitude dans les procédés utilisés, les concepts avancés et les thèses de soutènements des arguments mais sans les vertus de confiance et d’humanisme qui s’imposent comme préalables à la fonction de l’Asemsar. L’acheteur ne pèse pas et ne soupèse rien. Le coup d’œil est le seul «outil» d’appréciation. Une fois l’accord trouvé et partagé l’acheteur ne remet au vendeur que de maigres arrhes. Cette avance suffit pour permettre à l’acheteur de prendre immédiatement possession de son produit. Cela se passe même si le vendeur et l’acheteur ne se connaissent pas. Il suffit seulement d’un garant d’un côté ou de l’autre et la transaction se réalise. Un rendez-vous est pris pour le marché prochain. Dans cet intervalle temps là les bêtes achetées sont mises aux épreuves et vérifiées au plan santé anomalies éventuelles non apparues lors de la transaction, puis, le complément financier se réalise. Le socle de toute la transaction repose sur le verbe professionnel des Isemsaren qui usent d’une parole exceptionnelle dont ils sont seuls à posséder le secret. En ces occasions, des mots spécifiques sont annoncés dans des formules magiques n’existant nulle part dans les lexiques scolaires. C’est aussi là que les intervenants sur la scène linguistique devraient aller faire de bonnes récoltes lexicales. Il existe également de nombreuses autres occasions d’activités à exploiter au bénéfice de la langue amazighe de Kabylie.

Abdennour Abdesselam ([email protected])

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