L'une des batailles les plus décisives qui décidera de l'Algérie de demain- par-delà les déchirements politiques d'aujourd'hui et la recherche de l'alternative économique, suite à la crise des revenus pétroliers- se déroule maintenant sous nos yeux.
Il s’agit de la bataille pour une école moderne et républicaine, telle que réclamée par la société depuis des années, et qui, en toute apparence, trouve un écho favorable auprès du département ministériel concerné. Que la question du recrutement des contractuels, aussi légitime qu’elle puisse être, ne fasse pas illusion, en nous présentant éternellement l’école comme un lieu de conflits sociaux. La problématique la plus importante est assurément celle au sujet de laquelle une partie de la presse arabophone déclare une guerre ouverte à la ministre de l’Éducation, Mme Nouria Benghebrit. Après avoir fouillé de façon abjecte dans ses origines familiales et dans l’épisode où elle a participé à la commission des réformes de l’Éducation- dite commission Benzaghou -, créée par le président de la République, cette presse et une partie de la classe politique acquises aux idées baâtistes crient à « l’atteinte des constantes nationales » et à l’ « occidentalisation » de l’école algérienne dès que la ministre a commencé à aborder les vraies réformes qui sont censées projeter l’école dans l’orbite du 21e siècle, dans un contexte mondial qui ne réserve aucune place pour les nations faibles. L’armada des accusations peut être résumée dans cette inénarrable « ambition » du président du MSP, Abderrazak Makri, où il déclare que les Algériens ne veulent ni de la langue française ni de Tamazight. Sans doute que le monsieur, largement relayé sur les réseaux sociaux, a le mérite de la franchise. Il dit tout haut- lui et certains titres de la presse arabophone- ce que d’autres expriment avec mille contorsions de style. Donc, la grande bataille est là. Celle qui va fonder l’économie, la société et la politique de demain. Un jour, les malaises politiques d’aujourd’hui et les échecs économiques charriés par la rente pétrolière nous paraîtraient comme un simple « accident » de l’histoire face à l’immense problématique de l’école. Il est vrai que, en analysant en profondeur, tout cela relève d’une même dynamique destructrice, celle qui, après l’indépendance, a mis le pays hors des rails de l’histoire. La rente pétrolière est devenue l’arme par laquelle tous les errements ont été rendus possibles. Ils ne se sont pas trompés ceux qui se sont investis idéologiquement dans l’école algérienne pour en faire une annexe de zaouia dans une période historique où l’argent du pétrole a suppléé à l’absence de la formation de la ressource humaine. L’école a été depuis la fin des années 1970, formatée sur le modèle d’une officine idéologique où l’on dispense tout sauf le savoir et l’esprit critique. Les résultats, on n’a pas à les chercher dans des bilans chiffrés. Il suffit de voir le niveau de l’Université- qui reçoit chaque année des contingents de bacheliers au niveau plus qu’incertain- pour être édifié de la chute aux enfers du niveau de l’enseignement général. On parle d’un taux de 70 % de redoublement en 1ère année d’université du fait que les étudiants n’ont pratiquement aucune base, à commencer par la langue, qui puisse leur permettre de suivre les cours et les travaux dirigés. Ayant versé dans une méthode d’apprentissage par psittacisme, excluant tout effort de réflexion personnelle et de curiosité de documentation, les élèves de lycées sont réduits à chercher à obtenir le baccalauréat par n’importe quel moyen, y compris par la fraude. Sur ce plan, l’école algérienne a défrayé la chronique, comme elle l’a fait aussi pour les cours de soutien donnés des granges ou des bicoques, nourrissant des rapaces de l’argent facile. On n’a créé de vide dans l’acte pédagogique dans l’école publique que pour le combler, via un vil esprit cupide, par des cours payants, assurés dans l’illégalité et dans des conditions déplorables. Ce sont les mêmes enseignants payés sur le budget de l’Etat qui se transforment en « prêcheurs » lucratifs dans des activités informelles dites d’appui ou de soutien. Par une telle entreprise où tous les acteurs (enseignants, élèves et parents d’élèves) voudraient tous trouver leur compte sans y parvenir totalement, les pouvoirs publics, et singulièrement les responsables de l’Education nationale et les pédagogues, sont interpellés à plusieurs niveaux. D’abord, par ce transfert des missions de l’école publique dans la sphère privée, opération qui s’effectue moyennant une transaction illégale non fiscalisée. Secundo, par le relâchement général qui obère les rythmes scolaires et le contenu pédagogique dans l’école publique. Enfin, par une organisation « trabendiste » des cours destinés, dit-on, à préparer les élèves aux examens, d’autres cours de soutien sont conçus pour améliorer le niveau en matière de langues étrangères en dehors de toute échéance d’examen. Néanmoins, ces cours sont appréhendés par les élèves et par leurs parents comme un background nécessaire non seulement pour accéder aux moyens modernes de communication, mais aussi pour affronter éventuellement les études supérieures dont une grande partie demeure assurée en langue française. Après que la politique éducative du pays eut malmené l’enseignement du français dans notre pays- pour des raisons idéologiques et politiciennes dictées par une soumission/connivence à une idéologie désuète-, le résultat des courses a été que des établissements scolaires dans certaines wilayas n’ont pas pu assurer l’enseignement de cette matière importante de façon régulière. La solution de facilité adoptée, il y a quelques années, a été d’exempter les élèves « victimes » de ce traitement des épreuves de français dans les examens. Après que, pendant près de deux ans, la ministre de l’Éducation eut réglé un grand nombre de problèmes socioprofessionnels, devenus un abcès de fixation, elle s’est courageusement jetée dans la bataille pédagogique par laquelle elle compte revoir les programmes, les rythmes, les coefficients et les méthodes d’évaluation. Les milieux conservateurs, dans la presse et les partis politiques, n’ont pas hésité alors de monter au front, se substituant au ministère, en cherchant à empiéter sur ses prérogatives. On lui reprocha d’avoir fait appel à des experts français pour apporter assistance aux Algériens dans les méthodes pédagogiques. Ces milieux ont présenté alors la langue française, non seulement comme une langue du colonialisme- voulant, eux, les « tard-venus », comme les appela Mostefa Lacheraf, donner des leçons de nationalisme aux Algériens- mais aussi comme langue inutile, « très retardataire ». Ils revendiquent de déclarer l’anglais comme première langue étrangère en Algérie. Bien entendu, ce n’est pas l’amour de la langue anglaise qui les fait porter sur ce choix. Ils tiennent à anesthésier les élèves algériens en leur évitant toute ouverture sur le monde, sachant que, en dehors de sa portée hautement technique et scientifique indéniable, l’anglais n’a pas de présence culturelle ou sociologique en Algérie. On trace ainsi l’impasse pour permettre un meilleur enfermement dans un monolinguisme arabe où la culture et l’esprit critique seront neutralisés à jamais. Les quelques soutiens dont a bénéficié Mme Benghebrit pour mener les réformes dites de deuxième génération doivent être renforcés, élargis et prolongés dans le temps. Outre quelques ministres qui se sont exprimés publiquement, une page facebook est créée à cet effet.
Amar Naït Messaoud