«Nous sommes pour un Islam du juste milieu»

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Cadre supérieur à la retraite et ancien maire de la commune de Timizart, dans la daïra d’Ouaguenoun, Lounis Mehalla est actuellement vice-président de la coordination des zaouïas de la wilaya de Tizi-Ouzou. Il nous a accordé cet entretien au cours duquel il revient sur la place de la zaouïa en tant qu’institution religieuse promotrice de la vie sociale et représentative de la force propre aux volontés populaires.

La Dépêche de Kabylie : Dans quel contexte a été créée la coordination des zaouïas de la wilaya de Tizi-Ouzou, et quel est la raison étant à la base de la création de cette organisation?

Lounis Mehalla : La création de la coordination des zaouïas de la wilaya de Tizi-Ouzou a pour but d’œuvrer dans le sens de réunir et de réunifier les actions des zaouïas à l’échelle régionale. Il y a également une coordination nationale représentant l’ensemble des zaouïas du pays. À notre sens, les zaouïas sont des institutions ayant une grande histoire qu’il faut sauvegarder jalousement. Les zaouïas constituent la plate-forme de l’Etat-nation. Aussi, à l’échelle locale, la coordination des zaouïas forme un espace non négligeable de concertation entre les dix-huit zaouïas que compte la Kabylie.

L’on assiste, ces derniers temps, à la «re-modélisation» des notions religieuses auxquelles l’on infère des référents n’ayant aucun lien avec les pratiques religieuses ancestrales et authetiques… Y a-t-il une seule et unique religion musulmane où plutôt des religions musulmanes ?

Il y a de bonne initiatives de la part de la coordination des zaouïas de la wilaya de Tizi-Ouzou allant justement dans le sens de faire face à la propagation de ces nouvelles conceptions extrémistes de la religion musulmane. L’Islam est contre la diffusion d’autres pratiques extrémistes qui lui sont étrangères. Nous sommes pour un Islam du juste milieu, inspiré du Coran et de la souna ennabaouya ; nous sommes acquis à un Islam qui n’a pas de lien avec l’intégrisme quelle que soit sa forme. Il faut dire au passage que la Kabylie est épargnée du tourbillon. En ce qui concerne la pratique de la religion, nous vivons quant même dans une quiétude. Nous devons nous rendre compte que nous sommes à l’abri des remous. Et à notre avis, c’est une bonne chose, car même lorsque nous nous référons à l’Histoire, l’Afrique du Nord ne ressemble en aucun cas à l’Orient pour ce qui est du domaine de la foi. En Afrique du Nord, il n’y a jamais de groupuscules ésotériques ni de sectarisme en matière de religion. Il y a, en revanche, des minorités religieuses «douteuses» ailleurs, comme par exemple en Egypte, en Palestine, en Irak&hellip,; qu’il faut tout de même respecter. En tout cas, l’Islam est tolérant envers les minorités religieuses. Les musulmans n’ont jamais persécutés ni les juifs ni les minorités chrétiennes. Actuellement, il y a quelque dix millions de coptes vivant en Egypte dans la tranquillité la plus absolue.

S’agissant des questions relevant du domaine de l’Islam, on a l’habitude de se renvoyer à des oulémas orientaux en particulier. Est-ce que le pays accuse un déficit en matière d’érudits capables de répondre aux questionnements que se posent les musulmans algériens à propos de leur religion?

En Kabylie tout particulièrement, à partir de 1770, Mohamed Ben Abderrahmane El Djerdjeri El Guechtouli, originaire des At Smaïl, dans la commune de Boghni, élève du cheikh El Hafnaoui, ayant vécu un bon bout de temps en Egypte, a participé grandement à la propagation de l’Islam même en Inde. C’est une immense personnalité qu’on ignore malheureusement. Les khouanes (fidèles) l’évoquent occasionnellement dans leurs dhikrs (chants religieux). Après avoir joué un rôle considérable dans la propagation de l’Islam en Orient, notamment à Bagdad et en Egypte, il regagnait, à la demande de son maître, son pays natal, l’Algérie, et résidait à l’époque de la présence turque dans ce pays à Sidi M’Hamed (Belkour), à Alger. Et même si le pouvoir turc était si rigide, il avait beaucoup de respect et d’égard envers Mohamed ben Abderrahmane El Guechtouli. Il faut reconnaître que les érudits de même que les institutions religieuses étaient respectés durant la même époque. Le pouvoir turc en Algérie à cette époque-là était éphémère. Ce sont plutôt les français qui parlaient de «domination turque», alors que «la colonisation française de l’Algérie» ayant duré près d’un siècle et demi est qualifiée «d’arrivée» tout simplement. À ce propos, on doit plutôt parler de régence turque, d’une part, et de domination et colonisation française de l’Algérie, de l’autre.

À l’ère de l’institutionnalisation et de «l’officialisation» du berbère, selon vous, les zaouïas, ne devraient-elles pas s’ouvrir envers cette langue, et pourquoi pas envers même les autres langues pratiquées dans le paysage sociolinguistique de Algérie, pour vulgariser le texte coranique?

Il faut reconnaître que de manière générale, l’encadrement et l’apprentissage du Coran et son explication ont des carences. Il faudrait, en effet, penser à trouver de nouveaux mécanismes adaptables à l’époque actuelle pour ce qui concerne autant l’apprentissage que l’explication des préceptes du livre saint, le Coran. Faudrait-il se débarrasser, en outre, des préjugés sacralisant plus qu’il en faut les questions religieuses de manière générale. Il fut un temps, celui qui n’appartient pas à la famille des cheikhs, n’a pas le droit au chapitre en ce qui concerne les questions ayant trait à l’Islam. Il n’a pas le droit de s’y mêler, car cela est considéré comme bidâa. On expliquait aux gens les pratiques religieuses&hellip,; mais sans pour autant les laisser se poser trop de questions à ce propos.

Propos recueillis par Djemaa Timzouert

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