Un conte, une langue à lire

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Passer de l’oral à l’écrit, s’agissant de tamazight, ou toute autre langue à tradition orale, n’est pas une transmutation aisée, compte tenu de l’absence d’une autorité linguistique à même d’imposer des garde-fous et ce, faisant, décourager tous ces auteurs improvisés et autres interférants extra linguistiques qui, confondant le plus souvent militantisme et axes syntaxo-paradigmatiques, parasitent le marché, si marché il y a du livre amazigh.Cependant, de temps à autre une agréable surprise est mise sur ce même marché au grand bonheur d’un « lectorat conventionnel », évalué à près de 100 000 lecteurs.Ces derniers, toujours à la recherche d’un support pédagogique ou une œuvre qui pour ainsi dire ne contredit pas ce qu’ils ont appris en classe, trouveront chez les libraires Aheggan n Wakli, une Tamachahutt (conte) de Ahmed Hamoum, un enseignant de tamazight au CEM Tazaghart-Achour de Takerboust.En plus de respecter les recommandations de l’inalco en matière d’orthographe, l’auteur a le mérite de ne pas charger son œuvre de néologismes. Cette attitude est propre à beaucoup de jeunes auteurs qui, ne se préoccupant que du vocabulaire, dénaturent le kabyle jusqu’à en faire une langue étrangère.Kabyle, langue étrangère ? Ce paradoxe est, hélas vérifiable. Pour s’en rendre compte, il n’y a qu’à lire à une vielle Kabyle l’une de ces œuvres chargées de néologismes. A la fin de la lecture, et même si la vieille femme reconnaît que des phénomènes lui sont familiers, elle ne pourra pas s’empêcher de vous dire : « ur fhimeg ara » (je n’ai rien compris).Cela dit, le néologisme est présent dans le conte d’Ahmed Hamoum. Mais, il l’est intelligemment. Il n’agresse pas la langue. Il est présent au compte goutte et y est inséré dans un contexte permettant la compréhension du mot.Cela ne veut pas dire que l’auteur de Aheggan n Wakli s’est désintéressé du lexique. En fait, l’intérêt qu’il accorde au « awal » (mot) est kabyle. Tout au long de son œuvre, Ahmed Hamoum ne perd pas de vue que le conte s’adresse au lecteur kabyle dont, aussi ou surtout, sa mère. Du coup, au lieu de prendre le raccourci du néologisme, il va déterrer des vocables de moins en moins en usage. Cette réactivation du mot kabyle n’est pas chose facile, puisque l’auteur doit en vérifier le signifiant et le signifié auprès de plusieurs utilisateurs de sorte que, pour ainsi dire, le mot soit compris, du moins « deviné » par le plus grand nombre de Kabyles;Ahmed Hamoum a réussi sa première production. Il est condamné à réussir encore plus celles à venir : tous ses élèves, les quelques 100 000, l’exigent.

T. Ould Amar

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