La commémoration du 8 mai 1945 est un rendez-vous mémoriel, une halte historique pour l’Algérie, dès lors que le mois de mai, à partir du 1e jour, portait en son sein les prémices de Novembre. Il annonçait la rupture définitive avec le joug colonial. Avec la répression barbare des manifestations du 1e et du 8 mai 1945, les liens baptismaux de la Révolution furent tissés, et plusieurs Algériens prirent les maquis de la dignité. La wilaya 3 (Kabylie) du FLN dont faisaient partie les actuelles wilayas de Tizi-Ouzou, Sétif, Béjaïa, Bordj Bou Arreridj et une partie de la wilaya de Msila, s’opposera efficacement à l’armée française. Les maquisards Krim Belkacem, Ouamrane et tant d’autres étaient présents dès 1945. Cette wilaya a offert le plus grand nombre de Cadres et de Moudjahidine à la lutte d’indépendance et détenait le plus grand nombre d’armes nécessaires à la guerre. Les opérations militaires françaises étaient d’autant plus dures qu’il fallait couper les villages des maquis. Les zones interdites se sont étendues à une grande partie de la zone montagneuse. Anne Rey-Goldzeiguer retraçait alors, minutieusement, «l’escalade de la peur et de la haine» dans «la première semaine de mai» (p. 246). À l’occasion du 1er mai, le PPA organisa des manifestations séparées de celles des syndicats, manifestations dans lesquelles devait apparaître le drapeau algérien, mais qui devaient rester pacifiques. Des affrontements se produisirent pourtant, notamment à Alger et à Oran. De nouvelles manifestations furent prévues pour le 8 mai, à l’occasion de la capitulation allemande, afin «de rappeler aux Alliés, encore présents, les revendications algériennes» (p. 286). Malgré les tentatives de certains éléments du PPA, elles devaient, elles aussi, rester pacifiques et les responsables des AML et du PPA cherchèrent «la plupart du temps à calmer les choses» (p. 286), «voire à collaborer avec les autorités» (p. 290). Les manifestations eurent lieu massivement dans toute l’Algérie, mais sans aboutir aux violences qui se déchaînèrent dans les régions de Sétif et de Guelma. Après avoir étudié les aspects complexes de la spécificité du quadrilatère constantinois, afin de mieux comprendre comment les manifestations purent y dégénérer, l’auteur retrace, du double point de vue des Algériens et des Européens, non seulement la journée du 8 mai, mais le mouvement insurrectionnel qui se développa les jours suivants et dont elle souligne l’ampleur, ainsi que la répression impitoyable qui s’ensuivit, menée «sans états d’âme» (p. 233) par l’armée, mais aussi par les Européens qui formèrent des milices prêtes à tous les excès. Double répression à laquelle succéda une répression policière et judiciaire qui s’étendit à toute l’Algérie. Autrement dit, quelles conclusions pourrions-nous tirer de ces événements, quelques jours après les massacres du 8 mai 1945, durant lesquels le régime colonial s’adonna à une démonstration de cruauté et d’extrême sauvagerie à l’encontre de manifestants algériens réclamant l’indépendance de leur pays, massacrant 45 000 parmi eux, à Sétif, Guelma, Kherrata, Béjaïa et d’autres agglomérations du Constantinois. Mais ce que cette date du 8 mai, 70 ans après, avait de particulier, c’était la présence du secrétaire d’État français chargé des anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, qui s’était rendu dimanche 19 avril 2015, avec Tayeb Zitouni, son homologue algérien, à Sétif pour déposer une gerbe de fleurs et se recueillir devant le mausolée de Saal Bouzid, première victime algérienne des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata et de tant d’autres villes, villages et douars d’Algérie. Jean-Marc Todeschini souhaitait rappeler «qu’il a tenu à débuter son voyage mémoriel en Algérie par Sétif, en cette année du 70e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, au nom de l’amitié franco-algérienne». Le secrétaire d’Etat à indiqué en outre, que «ce geste est la traduction des propos tenus par le président de la République devant le parlement algérien en décembre 2012». Mais dans l’hexagone, ces propos, éminemment symboliques du reste, n’ont pas été appréciés à leur juste valeur par les nostalgiques de l’Algérie française. Le secrétaire général de l’UMP, Laurent Wauquiez, a sévèrement critiqué la visite, déclarant sur RTL-LCI-Le Figaro que «la France a besoin de faire son travail de mémoire, mais sincèrement, aujourd’hui, je trouve, qu’on a trop basculé dans un seul sens, il n’y a plus de fierté de notre histoire». Pour Wauquiez, la France est «le seul pays à passer son temps à s’excuser de son histoire», et déplore une «repentance à sens unique». Si la France devait faire «son travail de mémoire», elle serait appelée, eu égard à l’histoire, de rappeler les «enfumades» les «emmurades» commises par les Bugeau, Saint Arnault et Pélissier contre des tribus entières d’autochtones. Le deuxième dans cette liste, loin d’être exhaustive, de génocidaires patentés, n’écrivait-il pas dans l’une de ses lettres à (ses) amis de France : «Quand j’ai le cafard, je coupe des têtes, pas des têtes d’artichauts mais des têtes d’Arabes». Le Parti Socialiste. «Des porteurs de valises à la dictature du FLN, les socialistes français répondent honteusement et toujours présents !». Nonobstant l’arrogance des uns et la nostalgie des autres, vis-à-vis de l’histoire de la colonisation de L’Algérie par la France et des maux qu’elle a induits durant 132 années, nul ne peut éternellement se dérober à l’exigence de repentance des Algériennes et des Algériens. Rappelons-nous Sétif et Kateb Yacine qui, à l’âge de seize ans, a fait la connaissance des geôles françaises. C’est ce qui a permis à Kateb Yacine d’entrer de plain-pied dans la dissidence ouverte contre le colonialisme et son système raciste, sectaire et immonde. Soixante et onze ans après, que retiennent les algériennes et algériens de cette date emblématique ? Des stigmates certes mais aussi des souvenirs de bleus à l’âme.
Sadek A.H