Vu et vécu jadis comme activité économique et expression culturelle et identitaire, l'artisanat est en train de chercher ses nouveaux repères qui puissent l'extraire d'une certaine vision folklorique, laquelle ne confère de plus-value ni à la culture ni à l'économie.
La 8eédition du Salon national de l’artisanat, qui se tient du 18 au 22 mai au jardin Colonel Mohand-Oulhadj de Tizi-Ouzou, comme les autres manifestations du même genre organisées auparavant, remet encore sur la table cette équation, de façon encore plus abrupte dans le contexte actuel fait d’une crise financière térébrante. Les gestionnaires de l’économie nationale tablent sur l’exploitation de tous les gisements possibles- y compris celui de l’artisanat et des produits du terroir- pour créer de l’emploi, des richesses et de la fiscalité. De leur côté les défenseurs et promoteurs de la culture et de l’identité nationale, tiennent légitimement à ce que ce volet d’activité investi depuis toujours par un grand nombre de professionnels et d’amateurs, continue à faire rayonner l’âme, la culture, l’identité et l’histoire du pays et de toutes ses régions. Il n’y a aucune contradiction dans la conception culturelle et la vocation économique et commerciale que l’on imprime à l’artisanat et aux produits du terroir. Le problème est tout à fait ailleurs. Il est dans cette déconsidération qui a frappé l’un et l’autre aspects, qui les a balayés d’un large mouvement au cours des trois dernières décennies pour plusieurs raisons, mais qui peuvent être résumées dans cette grave dérive d’une économie de rente qui, dans son inégale arrogance, a réussi à se passer et de la culture et de l’économie productive. L’embellie financière, qui a fait vivre l’Algérie dans une illusion de prospérité pendant une quinzaine d’années, a rejeté sur les bords de la marginalité les artisans bijoutiers, les adroites couturières et tisseuses de tapis, les géniaux vanniers, les ingénieux potiers et potières et tout ce qui faisait le bonheur de l’économie domestique, expression de la personnalité algérienne. En contrepartie, on a eu droit à des joujoux venant de la lointaine Chine et d’autres pays animés par l’audace commerciale. Joujoux, de fabrication industrielle, qu’on nous fait prendre pour des produits d’artisanat. Les Algériens qui visitent des pays comme le Maroc, la Tunisie, la Turquie, tiennent à prendre de bons souvenirs de produits locaux, qui marquent fortement l’identité de leurs fabricants. Les produits algériens, que l’on sollicite aujourd’hui pour contribuer à créer de la richesse en dehors des hydrocarbures et à accompagner l’activité touristique, ont été longtemps laissés à la marge, voire parfois abandonnés. Outre la persistance d’un grave déficit culturel qui fait persister chez nous le complexe de l’étranger, la fausse prospérité due aux exportations des hydrocarbures a prolongé sustenté et aggravé ce sentiment. Les appels des vrais artisans-, ciseleurs de cuivre ou d’argent, manieurs de sparte ou d’alfa, malaxeurs de glaise pour sculpter des jarres ou des assiettes, burineurs de bois et ébénistes,…- sont longtemps restés sans réponse. Les métiers périclitent, les ouvrier-artistes vieillissent, la relève fait défaut, l’informel sévit dans tous les secteurs, jusqu’à se réveiller sur presque un désert culturel et commercial. Tous les salons et assises organisés depuis le milieu des années 2000 n’ont pas pu faire émerger ces métiers de l’ « underground » culturel. On peine à leur conférer une légitimité commerciale. Les structures administratives se sont multipliées, mais c’est surtout pour organiser les salons, les expositions, qui finissent par se ressembler et à prendre des airs de folklore inutile. La crise économique qui affecte l’Algérie depuis deux ans est vue par certains comme pouvant susciter un déclic dans tous les secteurs, de façon à valoriser la production nationale et à consacrer les marqueurs de l’identité nationale. Ce n’est pas une entreprise au-dessus de nos moyens, à condition qu’une vraie volonté politique soit au rendez-vous pour aplanir les problèmes et les faux problèmes dans lesquels se débattent depuis des décennies les artisans et les promoteurs des produits du terroir (matière première, fiscalité commercialisation, aide à l’installation d’ateliers décents,…).
Amar Nait Messaoud
