"Imunen", ou le cri d’une révolte des années 1980 !

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La chanson kabyle amorça, dans le début des années 1970, un nouvel itinéraire en adoptant un style moderne avec l'introduction de nouveaux instruments de musique, tels que la guitare électrique, le synthé, la batterie, le saxo,… pour donner plus de rythmique et entrer de plain-pied dans la musique moderne.

Une pléiade d’artistes, en solo ou en groupes, a vu le jour durant cette période charnière de la chanson kabyle. Ainsi, les Idir, Imazighen Imula, Mennad, Djamel Allam, Brahim Izri, les groupes Abranis, Syphax, Yugurten, Ideflawen, Imesdurar, Igudar et bien d’autres ont vu le jour, malgré le manque de moyens à cette époque-là. Ce fut la renaissance de la chanson kabyle, avec des artistes de talent qui l’ont portée haut dans le firmament de la chanson universelle. Néanmoins, avec cette nouvelle génération, pétrie de qualité et d’un professionnalisme hors du commun, la chanson kabyle changea son fusil d’épaule, puisque le pays était en pleine indépendance. Il ne s’agissait plus, pendant ces temps-là de dénoncer le colonialisme français, mais de s’élever contre d’autres injustices qui se sont apparues après l’indépendance. Le pouvoir de l’époque limitait le champ des libertés, en allant jusqu’à interdire la pratique même de l’identité amazighe, à travers la chasse aux militants qui activaient pour l’épanouissement de la langue amazighe. C’est ce qui a poussé bon nombre d’artistes kabyles à prendre, à bras-le-corps, la défense de la revendication berbère, légitime au demeurant, en l’exprimant, souvent, avec véhémence dans leurs chansons, comme c’est le cas pour Imazighen Imula et Matoub Lounès. Et c’est là que naquit la chanson revendicative portée par plusieurs chanteurs engagés. Et c’est, également, durant cette période charnière que beaucoup de disques vinyles ont été produits par des dizaines d’artistes, entre solo et groupes. Cependant, la décantation n’a pas tardé à se faire d’elle-même, puisque beaucoup de chanteurs ont été contraints, pour de multiples raisons, à « quitter » le monde de la chanson. Pourtant, ils ont produit des albums exceptionnels, à l’image du chanteur Mennad et des groupes Imesdurar, Igudar, Syphax et bien d’autres, qui ont cessé de produire, alors qu’ils avaient atteint le summum de l’art! Et parmi encore ces artistes qui ont raccroché leur guitare, il y a le mythique groupe « Imunen ». Eh oui, cet excellent groupe n’a produit qu’un seul album, et quel album? Un alliage de musique moderne et de textes revendicatifs, « enduits »…au vinaigre. Cette troupe a été créée en 1981 par un groupe de jeunes talentueux et ambitieux, lesquels avaient la fougue et l’impétuosité juvéniles, nées des événements charniers du printemps d’avril 1980.

Inasliyen, un mythique groupe

L’un des fondateurs de ce groupe n’était autre que le frère cadet du célèbre vocaliste du mythique groupe Inasliyen, Mourad Hammouche, (originaire d’El Kseur, dans la wilaya de Béjaïa). Le groupe « Imunen », qui veut dire littéralement les « indépendants », s’est frayé un chemin parmi les grands en un laps de temps très court. En 1989, « Imunen », sous la houlette du vocaliste et instrumentiste Amirouche Hammouche, produisit le premier et le dernier album du groupe. Dans cet opus de 6 chansons revendicatives, « Imunen » retraçait, un petit peu, la situation qui prévalait dans le pays au lendemain des douloureux événements du 5 octobre 1988. Dans la chanson émouvante « An eddu », le chanteur du groupe nous met dans le climat des luttes pour les droits de l’homme, l’identité et la dignité des citoyens. « An eddu an qabel lmut » (nous marchons, nous affronterons la mort!), ne cessait de seriner le vocaliste dans cette chanson. Dans « Tiɣṛit nečča » (nous avons été violenté) « Imunen » retraçait la situation peu reluisante dans laquelle vivait la jeunesse, et le désespoir qui la happait. Le délaissement et la marginalisation étaient aussi le sort réservé aux jeunes. L’album comporte également d’autres chansons, à l’instar de « Atan walit-tt », « Ayhouh, ayhouh », »Kunta kinté ». Dans cette dernière chanson, « Imunen » dénonce l’esclavagisme et l’oppression, en « empruntant » ce personnage de Kunta kinté sorti du célèbre roman « Racines » d’Alex Haley, lequel en disait long sur les misères qu’a vécues le peuple, et particulièrement les militants de la démocratie, de la culture berbère et des droits de l’homme à l’époque de la chape de plomb.

Kunta kinté le présent a eu raison du passé.

Kunta kinté tu es maître de ton avenir !

Sois le flambeau de la liberté…

Désormais, la chaîne est brisée.

Nous vaincrons l’oppression et l’exploitation.

Tous ensemble, nous les éliminerons !

« Imunen » n’a pas omis dans cet album exceptionnel de rendre un vibrant hommage à l’Aguellid Massinissa, en lui promettant de lui rester fidèle quoi qu’il arrive, et de continuer dans sa ligne tracée il y a des siècles. Voilà un petit peu l’aperçu de ce groupe issu de l’autre groupe, Inasliyen en l’occurrence. Même si nous connaissons peu sur « Imunen », il n’en demeure pas moins que l’unique album qu’il avait sorti en 1989 était un concentré de musique raffinée et très bien travaillée, couplée de textes « révolutionnaires », qui en disaient long sur l’esprit de lutte et le sacrifice qui animaient la jeunesse kabyle des années 1980 en particulier.

Syphax Y.

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