«Il nous vendait de l’intelligence, il n’avait même pas un échantillon sur lui !». Coluche raillait ainsi l’université qu’il n’avait pas la chance de fréquenter, à travers le personnage d’un doyen de faculté qui «n’avait pas toutes ses facultés». C’est avec la thèse de doctorat de Nasserdine Aït Ouali qu’il y accéda en 2012, laquelle thèse sera transformée en livre, édité chez l’Odyssée sous le titre de «Coluche : Politique et comique». C’est le premier travail universitaire qui aborde l’œuvre de ce monument dans sa dimension multiforme. Cet ouvrage est composé de trois parties distinctes liées par une cohérence inspirée de l’unité de l’œuvre de Coluche qui n’est pas, finalement, qu’un amas de sketches disparates qui rit de tout. La première partie est un panorama des travaux de Coluche, auteur, acteur, comique et politique. Là l’étude concerne la complexité auctoriale de Coluche et la dimension politique de son discours et de son œuvre. Coluche auteur ? «J’écris pour moi et je le joue», disait-il. Mais cette modestie cache le génie d’un comique hors pair. La seconde partie est réservée aux rapports de Coluche avec les institutions de l’Etat : l’armée, la police, l’église et l’école. L’auteur y interroge les représentations que se faisait Coluche des institutions, des raisons de leur existence et de leur fonctionnement ; il analyse en parallèle l’expression artistique qui caractérise son discours. Par exemple, les gens d’armes ont «des chiens qui n’attaquent que les nègres, les Arabes et autres métèques», l’armée sert à mater d’éventuelles révoltes. Devant un panneau à proximité d’une école – «Ralentir, école»-, Coluche ne laisse pas passer l’occasion pour fustiger ses tenants : «Y croyaient quand même pas qu’on y allait en courant !». La troisième partie est consacrée à la politique du point de vue de Coluche et à l’exercice qu’il en a fait pour la désacraliser. Pour rappel, Coluche qualifie ainsi le métier de politicien : «Faire cinq ans de droit et tout le reste, c’est de travers». Selon lui, le souci majeur de tout responsable politique est de «mettre du pognon de côté». Contrairement à la sagesse populaire, il trouve qu’un «bien mal acquis ne profite qu’après !». Comme à l’accoutumée, ces hommes se portent secours mutuellement et se ressemblent : «Tous pour un, tous pourris !». Son œuvre reste d’actualité trente ans après sa disparition tragique. Nasserdine Aït Ouali nous montre dans son livre comment Coluche a marqué son époque caractérisée par un certain conservatisme qui régnait dans les espaces publics. Avec la fondation des Restos du cœur, à travers sa candidature à l’élection présidentielle de 1981 et par sa liberté de ton, il a grandement participé à l’évolution de la société française qu’il voulait plus solidaire. Destiné initialement à un public averti mais rendu accessible au grand public, ce livre est une prouesse réussie par son auteur qui semble préoccupé beaucoup plus par la présentation de l’art de Coluche que de montrer des capacités de chercheur nourrissant l’ambition de rentrer dans «la cours des grands». Coluche, tout atypique qu’il était, y est présenté simplement dans toute sa complexité. Vu son contenu, cet ouvrage va enrichir le débat sur Coluche et son art et ouvrira à son œuvre les portes de l’université qui a hésité à l’accueillir jusque-là. Coluche : politique et comique, éditions L’Odyssée, mai 2016. Prix: 600,00 DA.
Hocine Moula