Les 22 semaines qui auront marqué l’Algérie

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Mohamed Boudiaf demeure sans nul doute le chef de l’État au mandat le plus court de l’histoire de l’Algérie et même du Maghreb. Un Président qui pourtant n’avait pas été élu par le peuple mais qui aura été le plus populaire de son époque, dans un contexte particulier aux conjonctures économiques et politiques des moins favorables. Au cours de sa mandature de 05 mois et 13 jours, feu Boudiaf aura été pour ainsi dire sur tous les fronts. Voulant à tout prix rassembler le peuple algérien autour d’un idéal nationaliste, Mohamed Boudiaf s’apercevra vite que la corruption régnante à différents niveaux ne pouvait en aucun cas «rassembler». Persuadé que tout projet de société devait émaner des citoyens, Boudiaf considérera alors que « l’Algérie a besoin d’un projet qui n’existe ni au FLN ni au FIS. Ce projet existe dans le peuple algérien ». Il avait également découvert qu’un quart des électeurs algériens avait « voté FIS pour sanctionner le FLN ». « Ces deux forces forment une alliance contre nature pour le pouvoir et non l’intérêt supérieur de l’Algérie », déclarera-t-il. Au cours des 22 semaines de son mandat, il s’était donné pour objectif de s’informer afin d’établir un diagnostic susceptible de lui permettre de comprendre les causes de la crise que traversait alors le pays et de les éliminer. Le tout en dégageant une perspective d’avenir porteuse d’un projet mobilisateur des forces vives de la nation. Par ailleurs et n’étant pas tout à fait déconnecté de la réalité il diligentera en France une enquête sur les biens mal acquis de hauts dignitaires algériens. C’est ce que confirmera son fils Nacer ainsi que son compagnon d’arme, le moudjahid Tayeb Taalibi, au lendemain de son assassinat. Mohamed Boudiaf après s’être entretenu avec de nombreux hommes politiques et plusieurs personnalités de la société fera part de sa conclusion : «Le devoir de vérité m’oblige à vous dire que j’ai découvert que notre crise avait une ampleur considérable, car elle touche notre société dans ses profondeurs, dans son identité ses valeurs, ses institutions, son fonctionnement. Je reste convaincu que notre pays a besoin d’un changement radical. Le changement attendu de tous devra toucher tous les aspects de notre vie économique, sociale et culturelle». Pendant ce temps, l’élite algérienne et les différents partis politiques se ‘’tâtaient’’ pour savoir qui pourrait éventuellement figurer ‘’dans les petits papiers’’ de ce nouveau Président qui découvrait son pays après plusieurs années d’exil et qui demeurait convaincu que l’Algérie disposait des ressources humaines suffisantes pour redresser la barre. Venu pour ‘’assainir’’ comme il aimait à le dire, le Président Boudiaf s’était exprimé à la nation en demandant de l’aide à ses concitoyens : «Je vous demande de m’aider en dénonçant ceux qui sont hors la loi», tout en sachant qu’il devrait faire le ménage jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. Mohamed Boudiaf, alias Tayeb El Watani, affichera toujours la même intransigeance à l’égard des islamistes politiques, refusant tout dialogue avec l’ex FIS de Abbassi Madani en demeurant attaché à son rêve d’un État fort. Il déclarera la guerre à la corruption promettant de jeter la lumière sur toutes les affaires de détournement de fonds quelles que soient les personnes impliquées. Il promettra aussi de relancer le processus démocratique le plus rapidement possible quelle qu’en soit l’issue. D’ailleurs, en voulant placer certains hommes de confiance dans son entourage proche, Boudiaf s’attirera les foudres de hauts responsables du MDN ne voyant pas d’un bon œil les aménagements effectués au sein de certains postes sensibles. Plusieurs contre-ordres seront, par ailleurs, donnés par le MDN. C’est dans ce contexte qu’un nouveau gouvernement devait être annoncé avant la rentrée sociale de 1992. À ce propos, les chuchotements allaient bon train en désignant certains hommes politiques de l’opposition comme pressentis pour occuper des postes clés dans les différents ministères. Boudiaf n’aura pas eu le temps nécessaire de s’organiser dans ce sens, ni de réaliser son rêve, celui de rassembler les algériens autour d’un même idéal. Un idéal qui sera brisé le 29 juin 1992 à Annaba, sous une rafale d’un Beretta de calibre 09 mm. L’auteur de cet assassinat, le sous lieutenant Boumaarafi du groupe d’intervention spécial, sera arrêté après son forfait et refusera de dénoncer les commanditaires de cet acte. L’acte isolé comme avancé par la commission d’enquête sur cet assassinat, n’aura convaincu personne et 24 ans après, l’ombre de Tayeb El Watani règne toujours sur plusieurs dossiers sensibles. Celui qui se sera distingué en devenant le coordinateur du groupe des 22 ayant déclenché la guerre de libération nationale aura bien mis en échec toutes les tentatives de l’armée coloniale mais succombera sous les balles assassines de «ces lâches illuminés».

Repose en paix Mass Boudiaf !

Bachouche Idir

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