Lemghafra, une tradition pérennisée

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Dans la matinée de mercredi dernier, 1er jour de l’Aïd el-Fitr, comme une authentique fourmilière dérangée, la population est sortie en masse aux quatre coins de la wilaya de Bouira, comme partout ailleurs en Kabylie, pour la rituelle visite des proches. Les arrêts de bus de M’Chedallah, Bechloul et Bouira étaient tous plein de monde, au grand bonheur des transporteurs. Les propriétaires des magasins d’alimentation générale étaient aussi très contents, car les gens, pour rendre visite à leurs proches, doivent s’approvisionner en boissons gazeuses, fruits, gâteaux,… Il est à souligner que la coutume veut que durant la fête de l’Aïd, chaque chef de famille doit aller rendre visite à sa fille, sa sœur ou sa tante mariées et vivant hors de la cellule familiale. Toutefois, autrefois, nos aïeux offraient quelques galettes, de l’huile et toutes autres récoltes de saison, mais maintenant c’est différent, ils n’offrent plus la même chose. Pour l’Aïd Tamechtouhth, la tradition veut que l’on offre un paquet de henné une savonnette, du parfum et un paquet de biscuits, ou des gâteaux maison. Mais ces offrandes varient selon les moyens financiers de chacun. C’est ainsi que, pour les bourses modestes, le couffin à offrir contient quelques pièces de pâtisserie, une ou deux bouteilles de jus ou de boissons gazeuses et des fruits. Pour les plus aisés, en plus de ces cadeaux énumérés, le couffin est accompagné de bijoux en or ou en argent et d’une somme d’argent. Cette visite des parents en ce jour de l’Aïd revêt un caractère sacré en Kabylie. Elle est d’une importance capitale pour les femmes mariées et vivant en dehors de la cellule familiale. Plus ces visites sont nombreuses, plus la femme prend de l’importance aux yeux de la famille d’accueil. Une femme qui ne reçoit pas de visite le jour de l’Aïd est considérée comme déshéritée et sans grande valeur sociale, d’où l’importance capitale qu’accordent ces femmes à «Tirza n Faska» ou « lemghafra », un dérivé du mot arabe «el meghfira» (le pardon) des parents. Donc cet engouement et cette frénésie collective autour des arrêts de bus sont expliqués, eut égard à la répercussion psychologique de ce rituel qu’aucun chef de famille ne peut rater au risque d’être classé comme négligeant de l’un de ses devoirs les plus sacrés, à tel point qu’en cas d’indisponibilité du chef de famille à cause d’un quelconque empêchement, c’est son fils ou son frère qui prend le relais pour accomplir cette coutume ancestrale. Ce qui contribue à maintenir fortement et solidement les liens familiaux en toutes circonstances à l’inverse des autres sociétés où chacun évolue dans son propre espace sans partage. Il est également à souligner que ce rituel de « lemghafra » concerne aussi les filles fiancées qui vivent encore sous le toit de leurs parents et auxquelles les beaux parents doivent obligatoirement rendre visite à chaque fête religieuse ou traditionnelle pour lui remettre un trousseau de vêtements, accompagné de denrées alimentaires, d’une somme d’argent et de bijoux pour les plus nantis.

Des traditions qui maintiennent la cohésion sociale en Kabylie

Le maintien ou la préservation de ce millénaire système dans la tribu et au sein de la grande famille, est l’une des spécificités de la communauté kabyle. Une tradition qui renforce sa légendaire solidarité agissante et son esprit de famille, du village et du aarch. Un autre exemple de la soudure communautaire en Kabylie est «tiwizi» qui voit tous les proches et voisins participer au revêtement de la toiture d’une maison. Jadis, les poutres étaient constituées de troncs de pin d’Alep que le constructeur coupait en forêt avant que les villageois ne s’y rendent pour l’aider à les transporter (sur leurs épaules) pour procéder à l’aménagement de la toiture. De nos jours, les dalles sont coulées par le même procédé de tiwizi, toujours en vogue au niveau des villages kabyles.

Oulaid Soualah

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