Un grand roi pour des assises universitaires

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Jugurtha loin des images d’Epinal, loin du mythe et loin des contes pour enfants et légendes pour adultes, c’est qui ? C’est un roi numide, assurément, un héros national, sans doute, mais il n’en demeure pas moins que c’est un homme.

On l’a fait parler de lui ainsi : «Lorsqu’ils m’ont jeté dans le cachot du Tullianum à travers l’étroite ouverture circulaire, les Romains croyaient qu’il m’avaient éliminé. Quant à moi, lorsque je suis tombé du fond de la cellule glaciale, c’était une seconde naissance, à l’image des enfants de chez nous qui sont enfantés par leurs mères debout. Au cri de l’enfant qui naît, le mien, je l’ai crié tout au long de ces années de combat et largement aux jeunes de chez nous. Il a traversé les collines et les plaines et nul ne peut l’arrêter» Et Rimbaud dans un long poème le décrit ainsi, dans la tourmente de la guerre «Rome, cet antre impur, ramassis de brigands,/ Échappée dès l’abord de ses murs qu’elle bouscule, Rome la scélérate, entre ses tentacules / Étouffait ses voisins et, à la fin, sur tout / Étendait son empire ! Bien souvent, sous le joug / On pliait. Quelquefois, les peuples révoltés / Rivalisaient d’ardeur et, pour la liberté / Versaient leur sang. En vain ! Rome, que rien n’arrête, / Savait exterminer ceux qui lui tenaient tête !…» On le célèbrera aujourd’hui dans un colloque international qui lui est consacré à Annaba en deux jours. Des spécialistes venant des universités d’Espagne, d’Italie, des Etats-Unis d’Amérique, d’Allemagne, de France et de Tunisie devront évoquer et débattre lors du colloque des aspects de la relation qu’entretenait Jugurtha avec Rome.

Huit mois de préparation

Des universitaires d’Alger, d’Annaba, de Guelma, de Constantine, de Sétif, de M’sila et de Tiaret participeront également à ce colloque. Le colloque « Jugurtha affronte Rome » abordera six axes, entre autres, l’ouvrage « La Guerre de Jugurtha » de l’historien Salluste, « Jugurtha comme référence dans la résistance et la préservation de l’identité » et « Jugurtha dans la littérature mondiale ». Les travaux du colloque seront consacrés également à l’économie et la guerre pendant le règne de Jugurtha. Par ailleurs le SG du HCA a souligné que le programme de ce colloque international qui a nécessité huit mois (c’est un long travail) de préparation sera l’occasion de présenter, pour la première fois, des publications traduites en tamazight avec la participation de sept maisons d’édition. Deux jours, est-ce suffisant pour cerner dans le moindre détail la personnalité de cet illustre roi ? «La figure de Jugurtha rappelle à tout Africain la lutte d’un chef numide contre la pénétration romaine à la fin du IIe siècle avant l’ère chrétienne. Mais qu’est-ce que l’Afrique pour Rome, à cette période ? S’il est assez facile de parler de Rome à la fin du IIe siècle avant Jésus-Christ, il est beaucoup plus compliqué en revanche, de fournir des renseignements sur l’Afrique où pourtant Rome avait eu des visées expansionnistes dès le début de cette guerre de cent ans de l’Antiquité plus connue sous le nom des «trois Guerres puniques». Entre la date de 146 avant Jésus-Christ qui marque la fin de Carthage et les différents épisodes de la guerre dite de Jugurtha, entre 111 et 105 avant Jésus-Christ, s’ouvre une nouvelle phase de l’histoire de l’Afrique où la figure dominante, succédant au célèbre Massinissa, est sans conteste celle de Jugurtha. Pourtant, et comme pour une grande partie de l’histoire de cette période, les données manquent et si ce n’était l’œuvre de l’historien latin Salluste, connue sous le nom de «Guerre de Jugurtha», nous n’aurions que très peu de choses à en dire. Les sources de notre connaissance du personnage sont en effet très limitées. L’œuvre maîtresse dans laquelle tous les historiens puisent des renseignements sur Jugurtha reste donc le Bellum Jugurthinum. À côté de cet ouvrage ne subsistent que quelques fragments, notamment dans Diodore de Sicile ou dans l’Histoire romaine de Tite-Live, dans laquelle les événements ayant trait à la guerre de Jugurtha se trouvent réduits à de simples et brèves mentions. Salluste a écrit la «Guerre de Jugurtha» vers les années 42-40 avant Jésus Christ, alors qu’il était âgé de quarante-six ans environ et qu’il s’était retiré de la vie politique après son dernier poste de proconsul dans la toute dernière province que Rome venait d’annexer : l’Africa Nova. Les limites du nouveau territoire, dont la capitale était soit Zama, soit Cirta Nova Sicca (Le Kef), demeuraient imprécises au sud. Du côté est, la limite suivait la frontière de l’Africa Vetus, le fossé de Scipion ou Fossa Regia, depuis l’Oued-el-Kebir, près de Tabarka, jusqu’à l’entrée de la petite Syrte, à côté de la ville de Thaenae (Henchir Thyna près de Sfax) Du côté occidental, la nouvelle province était bordée par un territoire donné à Sittius, un lieutenant de César. Il semble que la limite entre l’Africa Nova et le territoire de Sittius partait d’un point situé sur la côte entre Hippo Regius (Annaba) et Rusicade (Skikda), passait à l’ouest de Calama (Guelma) et se poursuivait vers le sud-ouest. Salluste a donc eu à exercer une responsabilité sur ce territoire pendant plus d’un an et demi. Lorsqu’il en parle, à propos de la guerre de Jugurtha, on peut supposer qu’il a une certaine familiarité avec le pays, même si ça et là on note quelques erreurs. Cependant un certain nombre de questions se posent à propos du sujet qu’il a choisi de traiter alors que près de soixante-dix ans s’étaient écoulés depuis la fin de la guerre et qu’il n’a pu, par conséquent, utiliser des témoignages oraux.

Salluste a écrit…

L’auteur a-t-il étudié consciencieusement son sujet, a-t-il su et voulu dire la vérité ? Pour répondre, il faudrait savoir où Salluste a puisé ses sources et dans quel esprit il a mis en œuvre les renseignements qu’il avait recueillis. En ce qui concerne les sources utilisées, Salluste rapporte lui-même qu’il s’était fait traduire les livres du roi numide Hiempsal écrits en punique. Pour les sources grecques ou latines de Salluste, nous n’avons aucune indication. On suppose seulement qu’il a pu s’inspirer de certains annalistes, tels Sempronius Asellio, d’historiens latins, comme Cornelius Sisenna, ou encore d’historiens grecs, tel le célèbre Posidonius d’Apamée. Le problème, on le voit, est assez complexe quand il s’agit d’étudier un personnage aussi important à son époque que fut Jugurtha, avec pratiquement une seule et unique source. Il est alors permis de se demander quel degré de confiance l’on peut accorder au récit de Salluste sur les événements au cours desquels s’est illustré Jugurtha (…)» (In «Jugurtha, un roi berbère et sa guerre contre Rome». par Mounir Bouchenaki, sous la direction de Charles André Julien et Magali Morsy, Catherine Coquery-Vidrovitch, Yves Person, Éditions J.A, Paris, 1977.) A son départ de Rome, après que le sénat eut rompu le traité d’alliance qui les liait, l’hiver 110 avant l’ère chrétienne, Jugurtha s’exclama à plusieurs reprises pour dire : « Urbem venalem et mature perituram si emptorem invenerit ! »O ville à vendre ! Elle disparaîtra bientôt, si elle trouve un acheteur ! » Cette phrase restée célèbre a été remémorée par Salluste dans son livre : La guerre de Jugurtha et rapportée par l’historien Tite-live. Elle traduit à elle seule toute la force, la puissance et la détermination de ce farouche guerrier, petit-fils et successeur du non moins célèbre Massinissa, fils de Gaya, roi des Massyles , premier Aguellid de la Numidie unifiée. En tous les cas, l’essentiel est là dans ce premier colloque universitaire, où l’on va parler, conférer scientifiquement sur Jugurtha et tirer à la fin des conclusions qui seront certainement bénéfiques pour les générations présentes et à venir.

Sadek A. H.

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