Cfawat n temzi retrace mon cheminement artistique

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Il est considéré comme le meilleur chanteur sur scène actuellement. Dans cet entretien, Youcef Guerbas nous parle, à cœur ouvert, de son parcours artistique et des nombreux aléas qui ont parsemé sa vie.

La Dépêche de Kabylie : Peut-on avoir un petit aperçu sur vos débuts dans la chanson ?

Youcef Guerbas : Comme la majorité des chanteurs, j’ai appris à chanter sur le tas et non dans des conservatoires. Mes débuts étaient dans les champs avec des amis qui avaient déjà un parcours dans ce domaine. Ils étaient notre école et notre seule référence. Petit-à-petit, j’ai pu négocier le tournant le plus important de ma carrière artistique en organisant des soirées dans mon village natal, Tala Athmane, et dans les localités avoisinantes. J’étais encore un adolescent, j’avais à peine 16 ans. Même si les moyens de l’époque étaient ce qu’ils étaient, c’est-à-dire beaucoup moins importants qu’aujourd’hui, l’ambiance était toujours de la partie. Il y avait cette communion et cette interaction entre le public et le chanteur. Ces formidables moments ne pouvaient être que des adjuvants dans la suite de ma carrière artistique, en plus, bien sûr, des encouragements de mes amis et de mon entourage.

Pourquoi alors avez-vous tardé à enregistrer vos chansons ?

A l’époque, c’était vraiment difficile d’enregistrer pour quelqu’un comme moi. Un pauvre paysan sans ressource ne peut accéder à ce qu’on considérait, à l’époque, comme un ‘’luxe’’. J’aurais aimé le faire, c’était mon vœu le plus cher, c’est le souhait de tout chanteur, je pense. Mais bon. Mes compositions sont restées dans le tiroir jusqu’en 1994. J’ai enregistré ma première cassette à Alger «Lefraq yura», mais le produit n’a pas atteint l’objectif escompté faute de publicité dans les médias et vu la qualité médiocre de l’enregistrement. J’étais jeune, un bleu en quelques sortes dans ces rouages, je ne savais pas qu’il fallait faire la promotion de ma cassette. Mais cela n’a affecté ni ma volonté de continuer mon parcours artistique, ni mes projet futurs d’enregistrement. Ma confiance en moi y était pour beaucoup dans la suite de ma carrière. La preuve, j’ai enregistré mon deuxième album qui a eu du succès en 2000, avec la chanson phare qui a donné son titre à l’album «Mazal lehdiya-m ghur-i». Elle a été même reprise par d’autres, je ne m’attendais pas à un pareil succès. Et c’est à partir de là que j’ai commencé à me faire un nom. Je prenais de plus en plus d’envergure. Des villages avoisinants jusqu’à toutes les régions de la Kabylie, j’étais tout le temps sollicité pour des soirées et des concerts.

Je pense que vous avez atteint le summum avec l’album «Sani ara ruhegh», qui est un récit biographique. Une sorte de confession, peut-être ?

L’album «Sani ara ruhegh», que j’ai enregistré en 2006, m’a beaucoup aidé dans mon parcours artistique, et il m’a ouvert grand la porte sur d’autres horizons. Des horizons que j’ai pu explorer par la suite. Venir d’un coin perdu de la Kabylie et chanter en France et en Belgique, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est un parcours du combattant, une chance en quelque sorte. Pour en revenir au contenu de l’album, je dirai qu’il reflète mon vécu. Les thèmes abordés dans les chansons ont tous trait à ma vie. J’essaie de m’extérioriser à travers des mots simples accessibles au grand public et celui-ci s’y reconnait. La chanson a pour principale vocation la distraction, mais pour moi elle est avant tout un excellent moyen de thérapie. Elle m’a aidé et soutenu dans tous les moments difficiles de ma vie et ceux-ci furent nombreux. Je peux vous en raconter un exemple : J’ai été élevé loin de mes parents, donc je mesure mieux que quiconque l’importance de l’affection d’une famille. La cellule familiale est essentielle pour l’équilibre de tout être humain. Nous en avons tous besoin. Donc, un artiste qui a souffert de ces manques ne peut pas les ignorer dans ses chansons. Mais il m’arrive aussi de chanter les malheurs des autres. Pour en revenir à mon parcours, l’album «Ul-im d uzzal», sorti en 2007, est venu confirmer, si besoin est, ma réussite auprès du public.

Concernant votre nouvel album 2016, pourquoi ce titre Cfawat n temzi (Souvenirs d’enfance) ?

Il retrace mon cheminement dans le domaine du chant, depuis mes débuts jusqu’au jour d’aujourd’hui. D’ailleurs, j’y cite 14 titres de mes anciennes chansons. J’y aborde divers thèmes, même si l’amour domine.

On constate que dans votre style cohabitent l’ancien et le moderne. C’est un choix ou une exigence actuelle ?

Mon genre musical est un trait d’union entre l’ancienne musique et celle d’aujourd’hui. Je suis fan de la chanson ancienne, j’ai un grand respect pour les précurseurs de la chanson kabyle, je ne peux qu’être influencé par leur création, mais en même temps, j’essaie de me mettre à la page, comme on dit, et suivre l’évolution de la chanson kabyle, que ce soit sur le plan artistique ou technique. De nos jours, on a beaucoup plus de moyens techniques pour l’enregistrement, autant les utiliser à bon escient. Et c’est vrai que je mets un point d’honneur à mélanger jusqu’aux notes musicales.

On n’arrête pas de dénigrer, ici et là la chanson rythmée. Peut-on connaître votre point de vue ?

C’est un style qui mérite sa place dans la chanson kabyle. On a le droit de faire la fête, de s’adonner à la joie et au défoulement. Et puis, les chanteurs c’est comme ces oiseaux dans les champs, chacun comment qu’il chante. Ces chanteurs méritent tout notre respect, nous dansons au rythme de leurs chansons, et nous nous régalons avec ce genre de musique rythmée.

En tant que chanteurs, vous devez, vous aussi, rencontrer beaucoup d’obstacles pour l’enregistrement. C’est dû à quoi selon vous ?

Notre obstacle premier reste le piratage de nos produits. C’est vraiment décevant de voir que tout le répertoire d’un chanteur se vend à 50DA, une catastrophe au vu et au su de tout le monde, et les chanteurs ne font que constater les dégâts, ils ont les mains liées. Ensuite vient cette arnaque de quelques éditeurs et producteurs qui exploitent les malheureux artistes, d’où cette idée de création de pas mal de boîtes de productions par les chanteurs eux-mêmes, une échappatoire en quelque sorte d’autant plus que l’ONDA encourage ce genres d’idées et les subventionne.

Beaucoup se posent la question de savoir pourquoi le thème de l’amour domine dans vos chansons. Qu’est-ce que vous leur dites ?

L’amour c’est la vie, l’essence même de l’être humain. On ne peut pas vivre sans cet amour, sans l’amour d’une femme, que ce soit une mère, une sœur, une épouse ou tout autre membre de la famille bien sûr…

Pour ma part, je chante ce que je ressens. Je raconte ma vie réelle, sans détour… Et c’est pour cela que les gens se reconnaissent dans mes chansons. On dit que le chanteur baigne dans le bonheur, or, les apparences sont souvent trompeuses, comme dit l’adage.

A propos d’adage justement, on dit que «personne n’est prophète chez lui»… Néanmoins, vos fans affirment le contraire, vous êtes aimé et respecté par les gens, chez vous à Tala Athmane. C’est dû à quoi ?

C’est parce que je réponds toujours présent à leurs sollicitations. J’anime souvent, et avec grand plaisir, des galas gratuitement dans mon village, car je leur suis reconnaissant de m’avoir encouragé et applaudi à mes débuts. C’est eux qui ont acheté les premiers, ma première cassette pour m’aider à aller de l’avant. Alors, c’est la moindre des choses de leur être redevable. Je répondrai toujours présent à leur moindre sollicitation.

Un mot pour conclure…

Merci à vous et à tout le collectif du journal. Je vous avouerai que La Dépêche de Kabylie est mon journal préféré. Merci également aux fans qui n’ont jamais cessé de me soutenir et de m’encourager.

Entretien réalisé par Hocine Moula

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