Cinquante ans après sa mort, Mohamed Iguerbouchen, ce génie méconnu, continue de hanter les membres de l’association qui porte son nom et qui compte vaille que vaille sortir de l’oubli celui qui aura marqué de son empreinte la musique algérienne. Depuis sa création, en 1992, cette association a pu mettre en exergue l’œuvre colossal de ce maestro à travers des expositions, des conférences animées par des musicologues, des personnalités du monde artistique, à l’instar de M. Rachid Mokhtari et de M. A. Bendamache. Des hommages lui ont été rendus par l’INSM à l’Opéra d’Alger, par le HCA et par la Direction de la culture de Tizi-Ouzou, notamment, à l’occasion du centenaire de sa naissance, en 2007, événement auquel, qu’il soit dit au passage, M. Ould Ali El Hadi, alors directeur de la Culture, a grandement contribué. Cette association a pu, grâce aussi à la collaboration de la Maison de la culture de Tizi-Ouzou et à l’APC d’Aghribs, lancer le Prix Iguerbouchen qui a vu de jeunes talents issus des ateliers de musique existants à travers le territoire national exécuter des œuvres qui ont émerveillé l’assistance. L’œuvre et le parcours prestigieux de ce prodige est, souhaitons-le, quasiment connus de tous et presque maîtrisés par les jeunes de l’association, grâce à M. Med Ferhati, membre fondateur, qui a pu approcher ses neveux à Alger, pour sauver d’un désastre certain les partitions et autres archives personnelles qui commençaient à jaunir dans une cave dans sa villa de Bouzaréah. L’association garde jalousement ce trésor mais elle gagnerait assurément beaucoup à soumettre les photocopies des partitions aux directeurs d’orchestres qui pourraient ou voudraient bien travailler dessus. Mais un brouillamini de prétextes font tergiverser ceux qui ont eu à prendre les rênes de cette association qui eût pu ou dû se targuer d’avoir sorti de l’obscurité l’œuvre grandiose d’Iguerbouchen. Car, qu’il soit dit tout bonnement, hormis un disque 33 tours que le ministère de la Culture mit, à l’époque, dans les bacs et une œuvre, la «Rapsodie concertante ou Rapsodie kabyle» – utilisée à satiété comme indicatif d’émissions radiophoniques par des animateurs de la chaîne 2- et quelques secondes filmées que diffusent rarement l’ENTV, il ne reste rien de l’immense héritage de ce créateur de génie qui aura consacré sa courte existence -il s’est éteint à 59 ans- à faire connaître la richesse de la musique algérienne. Med Iguerbouchen, au répertoire riche de quelque 600 œuvres déposées à la SACEM, aura, à travers plusieurs émissions à radio Alger et en plus des cours de musique qu’il dispensait à plus de 200 élèves, parmi lesquels un certain Chérif Kortbi, que Dieu ait son âme, contribué à sauvegarder notre riche patrimoine. Ce polyglotte qui parlait 18 langues et qui fut l’ami d’Albert Camus, était aussi un talentueux nouvelliste. Les journaux de l’époque coloniale le sollicitaient souvent pour des contributions littéraires. Les contes et les récits qu’il leur soumettait magnifiaient l’Orient et la culture algérienne. La maison natale d’Iguerbouchen est en ruine, seule une plaque en marbre, installée par les membres de l’association, tente de rappeler que Tighilt, un hameau du village Aït Ouchen, a vu naître le seul musicien du monde arabe à avoir étudié et écrit la musique, tel que le définit un journal, «Messagerie d’ Algérie» en 1961. Des tentatives de classification de sa maison comme patrimoine historique ont été menées par l’association et la Direction de la culture. En 2012, l’annonce officielle en a été faite. Cependant, ce projet n’a pu se concrétiser à cause des membres de sa famille qui n’ont pas daigné se présenter à la wilaya de Tizi-Ouzou pour signer les engagements que nécessite la procédure. Même le fils d’Iguerbouchen, retrouvé grâce à Internet, a été sollicité mais en vain. Le visiteur ou l’estivant qui se hasarderait à emprunter la route qui mène d’Aghribs vers Azeffoun via Aït Ouchen, pourra, à hauteur du barrage militaire, jeter un regard sur le bas-relief que les élèves de l’école des Beaux-arts d’Azazga ont gracieusement réalisé à l’occasion du centenaire de la naissance d’Iguerbouchen. Un ouvrage à réminiscences pour raviver les mémoires. L’Algérie peut s’enorgueillir de compter parmi ses enfants cet auteur-compositeur qui a touché à tous les genres musicaux et qui a écrit des partitions sur tous les airs qui foisonnent sous nos cieux. Du chant du rossignole à l’appel à la prière en passant par l’hymne national, partition écrite à la demande de l’ambassade US lors de la visite du Président Ben Bella au pays de l’Oncle Sam, rien n’aura échappé à la fougue de ce sociétaire définitif de la Société des auteurs et compositeurs de musique. Cependant, le mélomane en quête d’une œuvre de cette icône de la musique algérienne peut languir de ne point trouver un CD à même de lui faire découvrir le génie d’Iguerbouchen. Si la 3ème rapsodie mauresque, qu’il présenta en 1937 en Angleterre, a enflammé le public londonien, le public algérien n’en connaît que le titre. «Une nuit à Grenade», «Danse devant le roi» «Rapsodie Kabylia» et «Arabic rapsodie» et autres musiques de films, dont Pépé le Moko de julien Duvivier, restent des œuvres dont seuls les journaux parlent. L’oreille n’en a jamais été sollicitée. Heureusement, la musique algérienne, et tout particulièrement la musique kabyle, recèle en son sein un autre maestro qui a, bien plus tard, vers les années cinquante, versé dans la grande musique pour léguer à la chanson kabyle des œuvres écoutées dans le monde entier. Il s’agit de Chérif Kheddam. Cet ouvrier des usines automobiles françaises, au sortir de l’école coranique de sa contrée natale, mit son temps libre et une partie de sa «quinzaine» à apprendre à écrire la musique, à améliorer sa voix -aux côtés, tenez-vous bien, de la diva Maria Callas- et à étudier l’harmonie. De grands noms ont eu à diriger des orchestres pour nous léguer l’œuvre de Dda Cherif, à l’instar de Frank Pourcel, d’Amine Kouider, etc. La chanson «Alemri», qu’il enregistra au studio 112 de l’ORTF, à l’occasion de son inauguration, avec plus d’une centaine de musiciens, témoigne des ambitions de l’enfant natif de Boumessaoud. Plus de 300 chansons sont à l’actif de celui qui aura été le père spirituel des «Maquisards de la chansons». D’autres œuvres, réalisées dans de très bonnes conditions avec un orchestre ayant réuni les meilleurs élèves des conservatoires de Paris, sortiront dans un futur proche et au moment opportun et qui réconcilieront les mélomanes. Sa musique est là ses chansons sont là au grand bonheur de ses nombreux admirateurs, tant au niveau national qu’international.
Deux géants de la musique algérienne, au destin extraordinaire et au parcours prestigieux. Pour l’un, l’œuvre est quasiment inexistante, et pour l’autre, elle est là pour témoigner du génie algérien.
Ali Boudjelil