«Je suis heureux de revenir !»

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Dans cet entretien, Ali Idheflawen parle de tout. Sans concession, ni retenue. Il commente et dit ce qu’il pense et révèle la sortie prochaine d’un nouvel album du groupe.

La Dépêche de Kabylie : Dernièrement, une rumeur sur votre arrestation à l’aéroport a circulé dans les réseaux sociaux, qu’en est-il réellement ?

Ali Idheflawen : Oui effectivement, j’en ai entendu parler comme tout le monde, enfin je veux dire par la suite, car sur le coup je n’en ai rien su. Moi et Internet ça fait trois… (rire). Mais ce ne fut pas de la dimension avec laquelle on a gonflé l’affaire. Avec du recul, c’est juste une vérification qui a un peu pris du temps, c’est tout. Mais en fait, ce qui m’a agacé c’est que ces contrôles répétés, ce n’est pas la première fois que ça m’arrive. C’était la 3ème fois en un mois. Ceci dit, c’est parait-il un homonyme, un autre, qui porterait le même nom que moi, qui poserait problème et c’est pour cela qu’à chaque fois que je tends mon passeport à un «pafiste» à l’aéroport d’Alger, le gars d’en face tique ! Voilà donc, pour moi c’était juste un contrôle ordinaire d’après ce qu’on m’a expliqué. La police a fait son travail c’est tout. Heureusement d’ailleurs. Mais l’information a été vite rapportée par les réseaux sociaux, et c’est incontrôlable ce genre de trucs. Ca va tellement vite en plus.

à votre avis, comment l’information est-elle arrivée jusqu’aux réseaux sociaux justement quasi instantanément ?

Je pense que c’était une fille qui était à côté elle aussi retenue pour un contrôle. Elle m’a reconnu et m’a interpelé en me disant : «Dda Ali, on vous a aussi arrêté !», je lui ai répondu que pour moi c’était juste un contrôle ordinaire de passeport, elle m’a dit qu’elle est militante du MAK. A mon avis, c’est elle qui en a parlé sur facebook.

Vous étiez en partance pour Montréal, pour un gala en hommage à Ziani, ça ne vous a pas un peu traversé l’esprit que ça puisse être la raison de votre contrôle ?

Oui c’est vrai, à un moment donné l’idée m’a traversé l’esprit effectivement, comme c’est lui qu’on dit être le Premier ministre du GPK. Mais au fond, ça n’avait rien à voir avec tout ça. D’ailleurs, comme je vous l’ai expliqué on m’a laissé partir juste après vérification de mon identité et j’ai pris mon avion pour Montréal le plus normalement du monde. En arrivant à Montréal, ceux qui m’ont reçu ont eu le bon reflexe de prendre immédiatement une photo et de la mettre sur facebook en disant que j’étais arrivé sain et sauf. C’était bien, pour rassurer tout le monde.

Le groupe s’est-t-il réuni à Montréal ?

Oui, nous étions à trois, Hacène, Zahir et moi. D’ailleurs, Zahir a fait le voyage avec moi. Pour la petite histoire, il avait même refusé d’aller embarquer sans moi à l’aéroport d’Alger (rire).

Et comment s’est déroulé le Gala ?

Très bien, dans une belle et assez grande salle d’environ 450 personnes. Elle était pleine aux trois quarts environ. Il ne faut pas oublier que c’était fin août, donc les vacances, ce qui explique cela. Mais il y avait une belle ambiance.

Les billets n’étaient pas un peu chers ?

Il y en aura toujours sans doute qui diront que 30 dollars c’est un peu élevé comme prix, mais ce n’est pas une raison à mon avis. Bon, l’essentiel pour nous est que tout se soit bien passé. Le Gala a été bien réussi, il y avait beaucoup de personnes qui connaissaient Hacène Ziani, et qui sont intervenus. Il y avait beaucoup de chaleur réconfortante dans la salle. Car il faut savoir que Ziani revient de très loin. Il a été hospitalisé pour une méchante maladie, donc on a voulu que l’hommage lui soit rendu à lui en tant que parolier du groupe Idheflawen.

Les mauvaises langues pourraient dire plus…

Chacun est libre de dire ce qu’il veut, et je vois où l’insinuation pourrait nous mener. Mais ce qu’il faut retenir c’est que le groupe Idheflawen a été fondé en 1976, et à cette époque-là on n’avait jamais pensé que le MAK allait être créé. On était un trio, on l’est resté. Après, en dehors de la musique, chacun est libre de ses convictions, mais le groupe n’a strictement rien à voir ni avec le MAK créé en 2001, ni d’ailleurs avec le RCD en 1989, ni avec un autre parti.

C’est quoi votre position sur la question ?

Je pense que chacun a le droit de s’exprimer en toute liberté en Algérie ou ailleurs. Sur ce sujet, je partage totalement la position d’El Hamid (ndlr Hamid Cheriet plus connu sous le nom d’Idir). Hacène Ziani est dit Premier ministre du GPK, mais cela ne regarde que lui, ce sont ses convictions à lui. Même si je ne les partage pas, je ne pourrais me mêler de ses choix ou remettre en question 40 ans de carrière passés ensemble, pour un choix politique qu’il a fait.

Recentrons nous sur la chanson, où en est le groupe Idheflawen actuellement ?

C’est vrai qu’on ne se voit pas trop. Disons au mieux deux à trois fois par année. Mais le groupe n’a jamais été «déconstitué». C’est vrai qu’on est rarement au complet, mais les raisons sont évidentes. Ziani vit au Canada, Zahir est retraité il enseigne la musique à Alger. Il était cartographe au départ. Moi j’ai été dans le bâtiment avant de faire le choix de la guitare. Voilà un peu le résumé du parcours de chacun et de son cheminement.

Comment expliquer l’absence du groupe ? Ce n’est pas souvent en tous les cas qu’on entend parler d’Idheflawen…

Pourtant on bouge. Je pense que c’est un problème de communication. Avant le Canada, on avait fait Tizi-Ouzou. On a aussi participé à l’hommage à Laïmeche Ali. Le problème de l’information se pose toujours.

Comment jugez-vous la chanson kabyle actuellement avec l’émergence des tubes commerciaux ?

Le seul qui puisse juger c’est le public. Tant que ces chanteurs sont bien accueillis par le public, ils continueront à produire et à exister. Le jour où le public les rejettera ça sera la fin pour eux. Cela dit, quand on voit un chanteur de la trempe de Medjahed Hamid faire un Gala dans une salle presque vide à Tizi-Ouzou, il faut se poser des questions sur le niveau culturel de la population. Le problème est là et c’est profond. Mais sinon, je le redis, le seul juge reste le public. Et, logiquement aussi, un éditeur se fout de ce que tu produis en tant qu’artiste. Ce qui l’intéresse c’est son compte et c’est la rentabilité du chanteur. Que ce soit médiocre ou pas il s’en fout. Ce sont des commerçants avant tout. Le côté culturel et artistique leur importe peu. Ceci dit, je précise qu’ils ne sont pas tous pareils, il y a tout de même ceux qui travaillent pour l’art et la culture.

La dernière production d’Idheflawen remonte à quand ?

A 2002. Quatorze-ans déjà !

Et pourquoi rien depuis ?

Il n’y a aucune raison particulière à cela. Il y a des œuvres qui datent de 30 ans, que ce soit les nôtres ou celles d’autres artistes, elles sont toujours d’actualité. Nous préférons prendre notre temps et produire quelque chose de bien que de produire n’importe quoi. C’est une question d’inspiration aussi.

Est-ce qu’on peut dire toutefois qu’il y a des productions en vue pour le groupe ?

Tout à fait, nous sommes en train d’enregistrer, nous en sommes pratiquement à la fin même. Nous avons commencé il y a quatre ou cinq mois.

C’est là une réponse qui appelle bien d’autres questions…

Ce que je peux dire de plus c’est que les textes sont de Mohya, Ziani, et de Laïmèche Ali. Pour les compositions, elles sont majoritairement de moi, mais j’ai pris aussi d’ailleurs. Pour l’interprétation, il y aura un duo avec une voix féminine. Pour le moment on n’a pas encore décidé avec qui. Le plus important en tout cas c’est la voix, pas le nom. Dans deux mois au maximum, l’album sera normalement prêt à la diffusion chez les éditions Massinissa.

Vous avez arrêté la date de sortie ?

Pour la date on ne sait pas encore. Probablement, il sera prêt avant Yennayar. Le sortir à cette date, pourquoi pas. C’est le but recherché en tous les cas, on veut associer la sortie à une date symbolique, à un événement…

Peut-être des nouveautés au plan musical ? Des instruments en plus ?

On a essayé de garder le cachet original du groupe. On essaye d’améliorer sur le plan technique sans plus. Y’a pas mieux que l’acoustique, et j’avoue que je suis plutôt convaincu du travail accompli jusque-là.

Quels rapports entretenez-vous avec les autres artistes ?

J’essaie toujours de garder les bonnes relations sur le plan humain. Même si on est différents sur le plan du travail et des choix, le respect est là.

Mais sinon, celui que vous considérez comme proche ?

J’évoquais son nom tout à l’heure, Medjahed Hamid, à qui je tire mon chapeau pour tout ce qu’il a fait. C’est le seul avec qui j’ai des relations en même temps de travail, artistiques et humaines. Cela dit, les autres, sans citer de noms, ne sont pas mes ennemis (rire) et à l’occasion on se marre bien quand on se retrouve.

Vous êtes du genre très attaché aux racines, nostalgique, à l’ancienne comme on dit…

Vous savez, c’est courant qu’on ne se souvienne des gens que lorsqu’ils sont morts. C’est dommage d’ailleurs. Heureusement qu’actuellement on commence à rendre hommage aux gens de leur vivant. Mohya et Matoub on ne peut les comparer, chacun comment il est venu, chacun comment il a vécu et chacun comment il a été accueilli par le grand public, mais ils restent des sommités en matière de repères pour la Kabylie.

Réellement, c’est tout le monde qui parle de ces artistes, mais aucun travail concret de fond pour immortaliser leurs œuvres ne se fait, pour l’apprentissage des textes de Mohya par exemple…

Justement, en matière d’associations, on a la quantité mais pas la qualité. Les responsables d’associations ne sont pas formés malheureusement. Ce qui influe négativement sur le rendement de ces dernières.

La relation d’Ali Idheflawen et Matoub Lounès était comment ?

On avait beaucoup de respect l’un pour l’autre. Il appréciait ce que je faisais. Il était généreux, sympa, populaire. Il est mort je dirais presque bêtement, comme beaucoup d’autres d’ailleurs. Je pense qu’il ne faisait pas très attention à lui. On a encore besoin de lui, si seulement il était encore là mais malheureusement…

Avant de finir, c’est quoi les futures dates du groupe Idheflawen ?

Bah, pour le moment on s’occupe de l’album. On aimerait lui trouver un bon contexte de sortie. Ce sont dix 10 chansons en tout. On y trouve un titre de Mohya inédit. Il m’en avait remis quelques-uns de son vivant et je les ai bien gardés, vous ne les retrouverez nulle part. Par exemple, la fameuse chanson «Ghuri yiwen Oumdakul» composé en 1945, reprise par Ferhat, Idir, Takfarinas, Mohia a eu un jour l’idée de reprendre ce même poème en négation et je le chante dans ce nouvel album.

Allez, une autre petite indication ?

On a repris aussi le titre «Timura meden yak Yiweth ala nek snath iyidissahen». C’est une chanson sur l’immigration qui est un phénomène qui a toujours touché la Kabylie même si la forme a évolué de nos jours, puisque les gens aujourd’hui émigrent avec femmes et enfants. Et puis un autre titre, un hommage à Mohya, écrit justement par Ziani. Les deux étaient des amis à la fac à Alger, leur poésie se ressemble tellement. Aller, je vous rajoute un bonus. Il y a aussi un texte de Laïmèche Ali, comme je le disais tout à l’heure. C’est un dialogue entre une mère et son fils qui s’apprêtait à rejoindre le maquis. De belles paroles pleines d’émotion.

Et quel est le titre que vous souhaiteriez que l’on donne à cet entretien à sa parution ?

Elle est bien bonne celle-là ! Enfin, je vois bien un truc du genre «Je suis heureux de revenir !»… en plus c’est vrai ! (éclat de rire).

Entretien réalisé par Kamela Haddoum.

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