D’Izerraguène aux sentiers de la Mecque

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Des intellectuels qui ont pensé l’Islam en dehors des schémas préétablis de la pensée passéiste et qui ont voulu moderniser les outils de la réflexion dans ce domaine sont considérés, jusqu’à présent, comme persona non grata ou des hérétiques par les sectes bien-pensantes des gardiens du temple.Rien qu’en Algérie, des personnalités de l’envergure de Mohamed Arkoun et Mustapha Lacheraf sont restées ignorées par la nouvelle génération de l’école algérienne engluée dans une médiocrité presque irréversible. Dans le domaine qui nous préoccupe, nous voulons revisiter une personnalité complètement passée sous silence dans les livres et les médias de son pays, l’Algérie : un écrivain caricaturiste et islamologue. Nous avons nommé ici Slimane Zeghidour, un fils de Jijel, ancien dessinateur dans la revue “M’quidech” et auteur de livres sur l’Islam.Curieux et atypique parcours que celui de Slimane Zeghidour ! Enfant berger sur les monts des Babors, bédéiste adolescent à Alger, pèlerin et pérégrin ensuite sur les voies les plus originales de l’Islam. Cet enfant d’El Ouldja, commune d’Erraguène sur les hauteurs de Ziama Mansouriah, reste attaché à sa terre natale qu’il évoque avec un amour et une nostalgie bouleversants.Né le 29 septembre 1953 à Erraguène, Slimane Zeghidour passa son enfance à El Ouldja, petit hameau relevant de cette commune dont il parle avec un brin de nostalgie et un grand attachement. Cette contrée, aujourd’hui terre anonyme perdue dans la masse imposante des Babors, était un petit paradis pour des gens simples qui voyaient les limites du monde circonscrites aux horizons bleus de cette zone à la limite de la kabylophonie. El Ouldja est située à 700 m d’altitude, au nord du chef-lieu de la commune d’Erraguène. C’est un hameau dépeuplé suite à son abandon par les autorités de la région. Occupant pourtant une position stratégique en amont de Oued Djendjen et à la périphérie d’un des plus grands barrages d’Algérie, El Ouldja et Erraguène ont été voués à l’oubli des hommes et de Dieu.Pourtant, la féerie des lieux, la luxuriance du couvert végétal et l’abondance de l’eau hèlent l’homme à s’y installer, à travailler, à contempler et à méditer. Du douar Beni Foughal à Serdj El Ghoul, du douar Zoundaï à Tamesguida, du mont Tababort (1936 m d’altitude) et ses cèdres à la forêt de Guerrouche, tout sent l’arôme et les fragrances de l’authenticité de la montagne natale.

Les heures vraies d’IzerraguèneDans une chronique parue dans ‘’Le Quotidien d’Algérie’’ (27 août 1992), Slimane Zeghidour évoque les lieux de son enfance en ces termes : « Avant tout, il faut appeler un chat un chat et le chef-lieu de ma commune natale Merdj Izerraguène, et non pas Errakène, comme le veut l’usage administratif d’une arabisation par l’absurde de cet onctueux nom. Merdj Izerraguène, ‘’Pré aux sentiers qui bifurquent’’ en arabo-berbère. Le nom Errakène fait plus penser au Zaïre ou au Pays Basque qu’à la Kabylie des Babors (…) C’est à perdre son latin, son arabe et son kabyle. Erraguène me convoque chaque année (…) C’est le berceau, le terroir, le reliquaire de la famille, l’album de l’enfance. Ce n’est pas tout. C’est aussi un concentré explosif de l’Algérie profonde, celle qui n’en finit pas d’écrire l’histoire de ce pays, même si elle n’a toujours pas droit au chapitre. Celle qui ne sait ni lire ni écrire mais qui n’a pas encore dit son dernier mot. L’Algérie du Djebel, un havre de paix que cette cuvette d’eau limpide où se reflète le plus luxuriant maquis qui soit. Ajonc, bruyère, lentisque, chêne vert, peuplier, sureau, frêne et cèdre millénaire donnent le ton : vert bouteille”.Le texte de Slimane Zeghidour continue en rappelant une vérité de la géographie physique que beaucoup de nos écoliers ignorent et que nos gestionnaires ne trouvent peut-être pas nécessaire de connaître : dans cette région, il pleut trois fois plus qu’à Paris ou à Brest, mais les foyers et les ménages ont toujours soif à côté d’un barrage constituant un lac artificiel stockant quelque 200 millions de mètres cubes d’eau limpide et cristalline venant de la montagne. »Du temps de la guerre, de mon enfance dans le camp de regroupement du Merdj que recouvre désormais le barrage, la ‘’Citi’’ avait tout d’un village alpin : héliport, cinéma, terrain de sport, piscine, supermarché, librairie, clinique et téléphone bien entendu. Un vrai petit coin de paradis. À ceci près que l’Algérien n’y était admis que comme écolier ou travailleur journalier. Mais, à l’Indépendance, la ‘’Citi’’, au lieu de devenir entièrement algérienne, cessa tout simplement d’être ».La Cité disparaissait chalet après chalet. Toutes les infrastructures ont fini par être anéanties. Slimane Zeghidour, révolté par tant de bêtise et d’aveuglement ayant accompagné l’Indépendance du pays, illustre par des photos accompagnant son témoignage l’état de la cité avant et après l’Indépendance. Ce sont de très belles bâtisses qui occupaient les sommets des collines et qui ont fini par ‘’s’évanouir dans la nature’’. « Ce pays est paradis raté. Sera-t-il un enfer accompli ? », s’inquiète l’auteur avant de déplorer : « L’abandon, l’exode, la lumière de la ville, le kamis relèguent déjà dans l’ombre la gandoura, le conte populaire, le foyer rural, l’attachement au terroir. Ne serait-ce que pour cela, je ne saurais rester indifférent à l’agonie d’El Ouldja ».

Dans les vignettes de M’quidechInstallé à Alger, Slimane Zeghidour arrête ses études au Certificat d’études. À partir de 1970, il travaille comme dessinateur de bandes dessinées et il fut l’un des pionniers de ce métier et de cet art en Algérie. Il se souvient de ces moments-là : « Dès 1970, alors que l’Algérie officielle ne jurait sur le papier et par la parole que par l’autogestion, nous avions une cotisation pour financer une route à El Ouldja-Izerraguène. Je me revois encore remettant mon petit salaire de dessinateur du journal ‘’M’quidech’’ à mon grand oncle Messaoud. Avec cet argent, il avait mis au travail la jeunesse désœuvrée de la mechta. Un an après, la première voiture arriva. Un fonctionnaire venait répertorier la terre à exproprier ‘’au profit de la révolution agraire’’. Comme inauguration officielle, on ne pouvait faire mieux. La ‘’route’’, aujourd’hui mal en point, que nous avions percée pour y ramener le progrès n’aura facilité en fait que l’exode de toute la jeunesse. Ziama, Jijel, Alger, Marseille et Paris pourraient en témoigner ». Slimane Zeghidour finira lui aussi par s’installer à Paris à partir de 1974. Il continuera son travail de dessinateur de BD. En 1979, les éditions de ‘’La Pensée sauvage’’ publient un album de Zeghidour sous le titre : ‘’Les Nouveaux immigrés’’.

Par les chemins sinueux de la religionLe parcours artistique et littéraire de Slimane Zeghidour l’amena à s’intéresser à la renaissance littéraire arabe du 19e siècle pour mettre en exergue le rôle des Chrétiens arabes dans le renouveau littéraire. Il publia alors aux éditions Kartala un volumineux ouvrage intitulé : ‘’La Poésie arabe entre l’Islam et l’Occident’’ (1982). Lors d’un voyage au Brésil, il fait la découverte de la littérature arabo-lusitanienne et en tira un ouvrage écrit en portugais : ‘’La Poésie arabe moderne et le Brésil’’ (Sao Paulo-1982). De fil en aiguille, Zeghidour, en fouinant dans le patrimoine arabe, aboutit à l’analyse de la matrice spirituelle et idéologique de l’imaginaire arabe, à savoir l’Islam et son livre sacré, le Coran. Continuant son parcours d’autodidacte, il ne s’était pas contenté d’étudier l’islam par les livres, mais il a tenu à se déplacer sur les lieux saints par où la religion et la culture musulmanes ont commencé à se propager. Il effectua deux voyages à la Mecque dont un en pleine période de hadj. Ces périples ont été à l’origine de deux livres que Slimane Zeghidour publia en 1989 et en 1990. Il s’agit d’une grande chronique ayant pour titre : ‘’La Vie quotidienne à la Mecque, de Mahomet à nos jours’’ (éditions Hachette-444 pages) et d’un essai intitulé : ‘’Le Voile et la bannière’’ (éditions Hachette-156 pages).L’analyse à laquelle se livre Slimane Zeghidour dans le domaine de l’islam et de sa pratique est loin du conformisme ambiant qui confine au prêche, à la harangue et à la paresse intellectuelle. Il passe en revue tous les problèmes soulevés dans la société pour les confronter à l’esprit et à la lettre de l’Islam avec un regard critique qui dérange tous les esprits habitués à la facilité et aux certitudes précairement rassurantes. À la suite de la publication de ces deux livres, l’auteur a essayé d’expliquer son travail aux journaux et lecteurs algériens. Dans ‘’Horizons’’ du 20 septembre 1990, il dira : « Ce que j’ai voulu faire avant tout, c’est un état des lieux, y compris des lieux communs, de la tradition musulmane dans le sens large, autrement dit, les écritures, la tradition littéraire, mais aussi les faits divers, les croyances, les proverbes (…), les pratiques sexuelles en islam, dans les pays de l’Islam. Je me suis efforcé de le faire objectivement, et surtout en donnant le maximum de faits vérifiés avec précision (…) faire l’apologie de l’islamisme paraît puéril et intellectuellement stérile (…) Je crois que ce qui m’anime, c’est la passion de comprendre. J’ai eu la chance de voyager beaucoup à travers le monde et dans les pays musulmans. Et j’ai la chance de lire l’arabe dans le texte ».Zeghidour explique que le Coran ne peut pas se passer de la Sunna (hadiths et traditions du prophète), tandis que la Sunna peut se passer du Coran. Pour bien comprendre ce dernier texte, il faut s’aider des hadiths qui explicitent les raisons et le contexte de la révélation des versets coraniques. Or, ces hadiths n’ont commencé à être recensés qu’un siècle après la mort du Prophète sur la base d’une recension orale qui passera à l’étape de l’écrit. Ayant longuement traité de la vision de l’Islam par rapport à la femme et au sujet du sexe en général, Zeghidour donne des exemples de hadiths qui, pris au pied de la lettre, choqueraient même certains phallocrates. Exemple : « Malheur aux peuples qui confient leurs affaires aux femmes ! », ou encore : “Le diable susurre à l’oreille de la femme : tu es la moitié de mon armée ».Zeghidour affirme que « le lien matrimonial en islam est un lieu où l’amour n’existe pas » ; parce que, explique-t-il, « l’amour suppose deux participants, exclusivement, et le maintien de ce couple dans son entité de couple conjugal. Or, l’islam, en tolérant la polygamie, ignore d’emblée la notion de couple. Le mariage en islam n’est pas un sacrement, c’est un contrat comme le décrit le traité d’un droit malékite littéralement : ‘’C’est le contrat par lequel on acquiert l’organe générateur d’une femme dans le but d’en jouir’’. Il m’arrive de lire des choses puériles du genre : l’islam est tolérant. Mais où est-ce qu’ils ont vu ça ? Je ne dénigre pas l’islam, j’essaye d’être cohérent. J’ai lutté contre moi-même pour être cohérent, j’ai traversé toutes les errances, les souffrances pour être cohérent quoi qu’il en coûte.C’est vrai, islam et démocratie, ça ne rime pas. Par contre, pour un islamiste, l’application de la chariâa avec toutes ses limitations, réalise une société démocratique. Selon eux, en islam, les seuls droits dont on parle, ce sont les droits de Dieu (houqouq Llah). En islam, il ne s’agit pas de savoir si les droits de l’individu sont violés, mais les droits de Dieu ; il n’y a pas de notion de droits de l’Homme, c’est un fait qu’il faut admettre une fois pour toutes. Mais, ce qui est pathétique, ce sont les gens qui, du temps de Boumediene, disaient “L’islam est socialiste”. Maintenant, tu as les démocrates qui te disent : “Mais l’islam est pour le travail de la femme, pour sa liberté”. Mais d’où tirent-ils cela (…) Pour moi, la femme, c’est une métaphore, mais elle me semble juste : c’est le ventre mou de l’Oumma ».Slimane Zeghidour vit actuellement à Villejuif (France), travaille comme journaliste dans des publications catholiques et il est membre du Conseil national français du sida.

Amar Naït Messaoud

Principales œuvres de Slimane Zeghidour-Les Nouveaux émigrés- Album de dessins, Éditions ‘’La Pensées sauvage’’-1979-La poésie arabe moderne et le Brésil- en portugais (Sao Paulo-1982)-La Vie quotidienne à la Mecque, de Mahomet à nos jours (Hachette-1989)-Le Voile et la bannière (Hachette-1990)

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