«L’ingratitude incite à écrire…»

Partager

Samedi dernier, à la librairie Gouraya de la plaine, Ali Bedrici, ancien wali de Béjaïa de 2008 à 2010, y a animé une séance de vente-dédicace de son dernier roman intitulé Cherifa ou le serment des hommes libres, paru récemment aux éditions La Casbah. Il en est à son 5ème roman.

La Dépêche de Kabylie : Comment le wali est-il passé à l’écriture ?

M. Ali Bedrici : Chaque personne exprime à sa manière ses idées, ses sentiments et ses émotions. Certains chantent, d’autres préfèrent écrire, peindre, danser, composer des poèmes… Même ceux qui n’expriment pas artistiquement leurs émotions peuvent le faire à travers des gestes, des actions et des comportements. Il existe des gens qui expriment très tôt ce qu’ils voient ou ressentent, alors que d’autres le font tardivement. Peu importe, l’essentiel est de s’exprimer; Il n’y a ni âge, ni circonstances particulières pour écrire. Il suffit de noter au fur et à mesure ce que l’on ressent et surtout les idées qui nous viennent à l’esprit dans la vie quotidienne. S’il est plus aisé d’écrire pour un retraité ou un écrivain de métier, les responsables en fonction peuvent s’organiser pour écrire. L’Histoire est riche de présidents, ministres, gouverneurs et d’autres qui ont écrit lors de l’exercice de leurs fonctions, même si ceux qui l’ont fait après leur départ à la retraite sont nettement plus nombreux. Pour ma part, j’écrivais quand j’étais en fonctions et mes premières publications remontent à 2010. Il suffit de s’organiser. Ainsi on peut écrire chaque jour une demi-heure à une heure, à partir de 6 heures du matin, ou durant la nuit, les week-ends et les vacances. Il est vrai que la fonction de wali est très contraignante et la fatigue et l’usure sont les pires ennemis de la création artistique et littéraire. Mais, on peut toujours trouver des « fenêtres de tir », des moments de répit où l’on se retrouve face à soi-même, et là on se lâche et on s’exprime.

La mutation se fait-elle alors naturellement ?

En tant que responsable travaillant sur le terrain et confronté aux problèmes quotidiens des gens (qui les expriment d’ailleurs souvent avec pression et tension), vous avez une perception très terre à terre des choses, des événements et des situations. Vous n’avez ni le temps, ni l’opportunité de prendre du recul par rapport aux événements. Et vous avez en plus le poids de l’obligation de réserve. Quand vous êtes libéré de toutes ces contraintes et que vous êtes par exemple un retraité, vous vous sentez plus léger, plus libre de vous exprimer. La disponibilité facilite l’écriture. De plus, un retraité prend du recul par rapport aux événements. Il se libère de la peur de déplaire à la hiérarchie en écrivant des choses déplaisantes. La seule limite reste l’obligation de réserve quant aux secrets d’Etat et le respect des règles de déontologie. Dans tout cela, une chose est sûre: il vaut mieux rester soi-même quelles que soient ses fonctions, car, quand vous les quittez, vous vous retrouvez seul face à votre destin.

C’est-à-dire ?

L’administration et les hommes qui la composent sont ingrats, ici comme ailleurs. Malheur à ceux qui n’y sont pas préparés psychologiquement. Ceux qui vous encensaient et vous couvraient d’éloges, vous juraient reconnaissance éternelle parce que vous les aurez aidés un jour, ceux qui vous manifestaient une « amitié » débordante, tous ceux-là vous fermeront leurs portes. Paradoxalement, cela peut vous renforcer et vous inciter à écrire sur la nature humaine qui ne cessera jamais d’étonner. Mais la morale de l’histoire reste qu’on doit toujours demeurer fidèle à ses convictions, ses principes, ses idées et à respecter ses propres sentiments et ses émotions. A partir de là l’écriture coule de source.

A Gana.

Partager