Il y a un an, le poète s’est éteint !

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Une voix parle encore pour nous, une voix d’outre-tombe. Chaude, bien timbrée, elle rappelle aux souvenirs émus, éblouis que l’homme qui l’avait n’est plus. Voilà en effet, un an que Messaour Boulanouar s’est éteint. Mais sa voix parle encore. Jeune encore, belle et bien frappée, elle parlait déjà de l’homme. C’est le sujet central de l’œuvre messaourienne. L’homme souffrant, l’homme privé de liberté, l’homme luttant, cependant, on l’a compris, c’est lui. Emprisonné, torturé, mais jamais découragé, jamais abattu devant les pires atrocités du système colonial, malade des séquelles qu’il a conservées toute sa vie de son séjour en prison, il s’est peu à peu élevé au-dessus de lui-même pour forger un langage à la mesure de l’épopée qu’il vivait intérieurement et qui va se traduire dans différents recueils de poème. Pour le jeune adepte qui l’a connu vers les années 80, Messaour reste un poète de la trempe d’un Eluard, d’un Apollinaire par la force des mots et de l’image. Dans sa riche bibliothèque où il nous recevait en tant qu’ami plus qu’en tant qu’élève attentif à son enseignement, nous subissions le charme de cette voix si belle, si douce, si chantante. Il nous lisait Pablo Neruda dont il se sentait très proche. Et c’était merveilleux d’entendre cette voix qui venait d’ailleurs (Neruda n’était déjà plus), et qui trouvait pour revivre et se soutenir un support vocal digne d’elle. Elle aussi d’outre-tombe : Neruda parlait alors pour nous par le truchement de Messaour. Et tel était le talent du poète algérien que le poète chilien n’aurait pas voulu d’un autre héraut pour porter son message, son chant. Mais la tournée de Messaour, comme toutes les destinées des grands poètes, était d’évoluer. Si le vers libre l’accompagnera toute sa vie, il n’en va pas de même de son esthétique. Peu à peu, le poète de Sour El Ghozlane se détachera insensiblement de Guillaume Apollinaire et même de Pablo Neruda pour se rapprocher de Beaudelaire dont la poétique sans être libre comme la sienne cherchait à exprimer tout ce que la laideur du monde pouvait avoir à la fois de révulsif et d’attirant. C’est ce qu’exprimera avec une puissance peu commune dans «La meilleure force» en qui se trouve résumé tout le malheur de l’homme asservi, humilié, méprisé, haï, battu. Ceux de ses adversaires que le poète dérangeait par sa franchise et la justesse de reproches et de ses dénonciations à la Neruda, ceux à qui son talent et son génie faisaient de l’ombre devraient s’être dit que cette voix qui venait les troubler dans leur quiétude, les interpeller au milieu de leur vie heureuse s’est définitivement tue et ils doivent avoir ressenti le soulagement qu’éprouvent tous ceux qui en ont pas mal sur la conscience. Boulanouar est parti, parti avec lui le témoin gênant qui leur rappelait de si tristes souvenirs. Ce n’est pas le cas, heureusement. Cette voix continue à se faire entendre. Elle témoigne des horreurs de la guerre, des vices, des maladies et de la misère. Les damnés de la Terre, au milieu de leur désespoir, ont trouvé miraculeusement dans cette voix un réconfort, un soutien. Elle leur annonce la fin de leur esclavage, l’avènement de temps heureux. En celui qui la porte un compagnon d’infortune, un frère. A l’ancien élève de ce grand maître, à l’ami, cette voix qui s’est éteint évoque les jours heureux o&ugrave,; assis en face du grand poète, nous recevions religieusement son enseignement. Qu’il lise ses propres poèmes (ce qu’il faisait rarement, empêché par sa grande modestie) ou celle des autres (et là le plaisir est toujours évident alors que se déploie tous les attraits de cette voix enchanteresse, notre admiration était totale. Avant-hier, nous avions rencontré sa fille Fatima qui regagnait son bureau. Cette ingénieure qui semble avoir recueilli tout l’héritage paternel, nous a fait écouter, pour quelques secondes, la voix inoubliable de son père. Il récitait un poème appris dans son enfance, un poème où l’auteur disait ne rien posséder en dehors du silence et le battement de l’aile d’un corbeau qui passait à ce moment-là au-dessus de sa tête. Beaucoup plus tard, faisant appel à sa mémoire, le poète l’avait reproduit. Entrainé par la beauté du chant autant que fascinait par la voix qui le récitait, nous avions fait un bref plongeon dans le passé. L’homme tel qu’il m’a toujours semblé, majestueux dans son port de tête, noble dans ses manières, il lisait pour nous seuls un poème de Neruda ou de d’Apollinaire : Sous le pont Mirabeau, Coule la Seine… A quoi dans notre tête le poète Boulanouar rétorquait : Le vent se lève et l’homme parle. Pour nous, pour tous les hommes libres, la voix qui incarne ce génie du vers libre continue à chanter et nous ravir par la beauté de ses chants et de son timbre. Sour El Ghozlane a, certes, perdu un de ses fils, les des plus illustre, mais il reste cette voix magnifique qui le lui rappelle à tout moment, en toute circonstance.

Aziz Bey

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