En dépit des critiques qui lui ont été adressées, Amawal, vieux de plus de trois décennies, reste l’ouvrage de référence en matière de néologie berbère : aujourd’hui, encore, la plupart de ceux qui écrivent ou interviennent sur des sujets de spécialité ou des domaines de référence modernes, y recourent.Amawal est incontestablement la première œuvre néologique berbère de grande envergure : Œuvre réalisée sous la direction d’un spécialiste de la langue, de surcroît écrivain reconnu, Mouloud Mammeri, elle réunit, pour la première fois un lexique touchant à plusieurs domaines avec l’intention clairement affirmée d’aménager la langue, de l’ouvrir aux domaines de la connaissance et de la vie modernes.L’ouvrage remonte au début des années 1970 mais il est encore d’actualité puisque, jusqu’à présent, il n’a pas été égalé : il sert encore de référence à la plupart de ceux qui écrivent ou interviennent en berbère sur des sujets de spécialité ou des domaines de référence modernes, écrivains, enseignants, journalistes, leur fournissant les vocables dont ils ont besoin. Cent fois critiqué, il est toujours d’actualité, et en l’absence d’un dictionnaire des néologismes, voire de propositions de néologismes qui fasse consensus, c’est Amawal qui est sollicité. Cependant, malgré tous les services qu’il a rendus et qu’il continue de rendre, l’ouvrage n’est pas exempt de critiques.Le glossaire est précédé d’une préface rédigée en kabyle et en français où les auteurs exposent leur objectif principal : fournir à la langue berbère, longtemps confinée dans l’oralité, les termes ‘’abstraits’’ ou ‘’de civilisation’’ qui lui manquent. ‘’La tendance de la langue, lit-on, a été jusqu’ici de combler ses lacunes par des emprunts. Le procédé était lui-même déterminé par l’état de subordination de fait dans lequel la langue berbère s’est trouvée à différentes époques de l’histoire… Ici, il a paru préférable de recourir à la dérivation soit de forme, soit de sens.’’Fort de ce constat, Amawal va s’orienter dans deux directions :-proposer des termes berbères pour remplacer des emprunts-proposer, par des dérivations de sens et de forme, des néologismes pour exprimer des notions modernes.C’est le public kabylophone qui est visé mais l’ouvrage s’adresse aussi aux locuteurs des autres dialectes, qui connaissent également des problèmes d’adaptation. Les termes berbères proposés pour remplacer ses emprunts arabes sont relativement peu nombreux. Il s’agit principalement des noms de nombre à partir de 3 et des noms d’action ou d’agent de verbes encore utilisés en kabyle.La plupart des termes proposés sont des néologismes formés soit à partir d’emprunts à d’autres dialectes berbères, soit à partir de racines berbères, attestées ou non en kabyle.Création à partir de racines attestées en kabyle.Sur près de 1740 relevés, 240 seulement dérivent de racines utilisées en kabyle, soit près de 13%. Ces 240 mots se répartissent en 119 racines, soit en moyenne deux dérivés par racine, ce qui montre une sous-exploitation des potentialités de la racine. A ces mots, il faut ajouter les mots formés à partir d’emprunts attestés en kabyle ; comme aterras ‘’fantassin’’, pris à l’arabe dialectal ou ajenyur ‘’ingénieur’’ pris au français.Il faut signaler aussi que parmi les mots proposés quelques uns ne sont pas des néologismes mais des termes usuels : s’ils sont proposés, c’est sans doute parce qu’ils sont concurrencés par des mots arabes, soit tombés dans l’oubli dans certains parlers kabyles. C’est le cas de azrug ‘’allée’’, ambur ‘’célibataire’’, inigi ‘’témoin’’, asuref ‘’pardon’’, acercur ‘’cascade’’ etc.La plupart des néologismes sont construits à partir de racines verbales. Si certaines racines fournissent plusieurs dérivés’’, la plupart n’en donnent que deux. Voici quelques exemples :-fren ‘’choisir, trier’’ : fren ‘’critiquer’’, fren ‘’élire’’, nnefren ‘’être exact’’, ufrin ‘’exact’’, tafrent ‘’élection’’, anefren ‘’exactitude’’, afran ‘’tri’’, tafrayt ‘’sélection’’, ufrin ‘’élu’’-ini ‘’dire’’, ameni ‘’parlement’’, iwennan ‘’dires’’, inaw ‘’discours’’, awmeni ‘’parlementaire’’-bedd ‘’être debout’’, asebdad ‘’statut’’, addud ‘’situation’’-udrus ‘’être assis’’ : tadersi ‘’minorité’’On relève plusieurs dérivés de sens. Le mot, de sens concret dans la langue usuelle, acquiert un sens second ou abstrait. Ainsi : arbib, qui signifie habituellement ‘’enfant d’un premier lit, enfant du conjoint’’ prend le sens ‘’adjectif’’, tameddurt ‘’vie, existence’’ devient ‘’biographie’’ etc.
Création à partir de racines non représentées en kabyleOn relève des mots d’origines diverses mais la majorité des racines non représentées en kabyle sont empruntées au touareg. Un certain nombre de mots sont repris dans leurs sens habituels. Les transformations concernent généralement la structure phonétique du mot ou la forme du pluriel, alignées sur celles du kabyle. Voici quelques exemples de termes repris :-anubi ‘’adolescent’’, tafekka ‘’corps’’, ini ‘’couleur “taflest ‘’foi’’, tilelli ‘’liberté’’, anzul ‘’sud’’ etc.Termes repris du chleuh :-dderfi ‘’émanciper, affranchir’’, slek ‘’conquérir’’, ameslak ‘’conquérant’’, aslak ‘’conquête’’, anaflas ‘’magistrat’’ etc.La dérivation sémantique fournit, à partir de racines essentiellement touarègues, la majorité des concepts modernes qui manquent tant au kabyle. En raison du nombre élevé des lacunes, les domaines embrassés sont nombreux : administration, économie, art, sciences, philosophie etc.Comme pour les racines attestées en kabyle, la méthode consiste à investir un terme concret de signifiés ‘’abstraits’’. Le rapport sémantique entre la base de dérivation et la notion moderne est parfois très tenu, mais d’une façon générale, un minimum de signification relie le dérivé à son étymon. Ainsi :-aselway ‘’président’’ (touareg : amalway ‘’conducteur d’une personne, d’un animal’’)-amghid ‘’prolétaire’’ (ameghid ‘’plébéien, vassal’’)-aghanib ‘’style littéraire’’ (aghanib ‘’toute plume servant à écrire avec de l’encre’’)
Même si Amawal a des prétentions pan berbères, le recours massif aux racines touarègues est difficile à justifier. Ce dialecte présente, en effet, un important stock lexical inconnu des dialectes du nord, dont fait partie le kabyle et qui, ne l’oublions pas, regroupent la majorité des berbérophones. L’introduction massive de mots d’origine totalement inconnue exige du lecteur un gigantesque effort de mémorisation. Or, le principe admis par les linguistes, en matière de néologie, est de recourir plutôt au trésor lexical de la langue que l’on soumet à des adaptations pour le rendre apte à exprimer des réalités nouvelles. ‘’Pour être efficace, écrit le linguiste américain R. Jakobson, l’acte de parole exige l’usage d’un code commun par ceux qui y participent.’’Le second reproche que l’on peut adresser à Amawal est le rejet systématique de l’emprunt étranger. Certes, s’il faut protéger la langue de l’invasion de termes étrangers qui risquent de la déstructurer, on ne peut chasser les termes qui y ont acquis droit de cité, depuis des siècles et qui, de ce fait, sont devenus des termes de la langue !
M.A. Haddadou