Professeur en physique, M. Moussa Zireg, également recteur de l’université Akli Mohand-Oulhadj de Bouira depuis août dernier, revient dans cet entretien sur la situation dont il a hérité et parle de ses objectifs. Il fera également part de sa vision pour solutionner les problèmes qui secouent son université depuis le début de l’année.
La Dépêche de Kabylie : Pour commencer, quel est l’état des lieux qui prévaut à l’université ?
Pr Moussa Zireg : Le constat fait dès mon arrivée à la tête de l’université Akli Mohand Oulhadj de Bouira c’est qu’il s’agit d’une jeune université, dont l’évolution s’est faite, un peu, rapidement et même exponentiellement. Au regard de l’effectif des étudiants, nous sommes dans la classe des universités moyennes, voire des grandes universités à l’échelle nationale. Mais le problème c’est que les moyens, surtout l’encadrement, n’ont pas suivi cette évolution. Avec un effectif de 24 000 étudiants et 700 enseignants, nous avons un taux d’encadrement d’un enseignant pour 36 étudiants. Nous sommes en réalité très loin de la moyenne nationale qui est d’un enseignant pour 22 étudiants. En termes de qualité d’encadrement, le déficit est encore plus frappant, avec seulement 15 professeurs d’université, c’est vraiment très peu. Donc, en somme, le paramètre le plus remarquable, c’est justement le manque d’enseignants et il est aggravé par le fait que l’université ne dispose pas vraiment d’enseignants expérimentés et d’anciens cadres. Généralement dans les grandes universités, les jeunes enseignants bénéficient de l’aide et l’accompagnement d’anciens professeurs. Il s’agit là d’un élément très important, car cela contribue sensiblement à la stabilisation académique et aide à instaurer des traditions universitaires, alors qu’à l’université de Bouira, le corps professoral est très jeune. Je dirais même qu’il est un peu inexpérimenté. Il s’agit pour nous de la principale préoccupation et nous venons tout juste de saisir notre tutelle, pour le renforcement de notre corps professoral. Malheureusement, et vu la situation économique difficile que traverse le pays, nous savons qu’il y aura peu de postes qui seront destinés à notre université. Nous essayerons de puiser dans les postes budgétaires actuellement vacants, nous comptons aussi sur les responsables du ministère de l’Enseignement supérieur qui nous ont promis de trouver des solutions d’urgence à ce problème. À noter que l’université de Bouira enregistre un manque aussi dans le personnel administratif et technique, alors que selon les normes académiques mondiales, le nombre du personnel administratif et technique doit dépasser celui des enseignants au sein d’une université, alors que ce n’est pas le cas chez nous malheureusement. Ce problème est aggravé aussi par le manque d’attractivité de l’université de Bouira. L’un des problèmes importants est l’absence de logements de fonction ici à Bouira, chose qui nous pénalise dans notre quête pour attirer des enseignants de qualité. Nous avons un projet pour la réalisation de 60 logements au profit des enseignants de l’université, qui piétine et dont les travaux de réalisation ne dépassent pas les 25%. Nous avons proposé au premier responsable de la wilaya d’accorder une attention plus particulièrement pour ce dossier, et ce, afin d’attirer le maximum d’enseignants à Bouira.
Beaucoup d’organisations estudiantines activent à l’université de Bouira et des conflits de représentativité éclatent régulièrement, comme cela a été le cas au début du mois dernier…
Dans ce cadre, l’université de Bouira ne fait pas l’exception, comparativement à d’autres universités du pays. Il s’agit d’organisations syndicales agréées par notre tutelle et par le ministère de l’Intérieur, aussi nous avons des collectifs autonomes d’étudiants. Personnellement, je me considère comme responsable de tous les étudiants de l’université de Bouira. À mon niveau, je ne fais pas de distinctions. J’ai toujours considéré nos étudiants comme mes enfants. Cependant, l’absence de moyens, d’équipements et d’encadrement de qualité crée généralement des situations de conflit. En écoutant les doléances des étudiants, il faut avouer que certaines de leurs revendications sont légitimes. Donc, on essaye d’accompagner ces énergies et de les focaliser pour l’intérêt de l’université et des étudiants. Ces derniers jours, l’université de Bouira a connu beaucoup d’agitations et des mouvements de protestations. C’est dû essentiellement à la nature de cette université, qui est ouverte à toutes les sensibilités et nos étudiants sont très différents, diversifiés et issus d’une génération très ambitieuse. Nous trouvons qu’il s’agit là d’un paramètre positif. Hélas, les moyens commencent à manquer, notamment avec cette situation de crise. Malheureusement, l’université de Bouira n’a pas bénéficié de moyens dont disposait le secteur durant ces dix dernières années. C’est vrai qu’on a bénéficié de la réalisation d’un nouveau pôle, mais malheureusement ce dernier est déjà saturé. Nous avons récemment reçu une délégation du ministère à qui nous avions exposé nos préoccupations et nos propositions.
Même les enseignants ont protesté en ce début de l’année et ont exposé leurs revendications. Quel était le résultat de la rencontre qui vous a regroupé avec eux ?
Effectivement, la section locale du Conseil national de l’enseignement supérieur (CNES) a organisé, au lendemain de la rentrée universitaire, un sit-in de protestation devant le siège du rectorat. J’ai reçu, durant le même jour, les représentants des enseignants qui m’ont soulevé un ensemble de revendications. Personnellement, je trouve que c’est légitime qu’ils exposent un certain nombre de manquements. Je considère aussi que les syndicats des enseignants sont dans leur rôle et que je les considère, d’ailleurs, comme partenaire important pour le développement de notre université.
Les deux campus de l’université de Bouira font face à un problème d’insécurité. Un problème qui a été signalé par les étudiants et les enseignants en même temps…
Il est vrai que c’est l’un des points de nos inquiétudes. À l’université de Bouira, nous sommes sur deux campus, l’ancien et le nouveau pôle, et chaque campus est doté d’au moins cinq entrées. Je rappelle que les agents de sécurité exerçants à l’université de Bouira ne sont pas formés par nos soins et donc ne sont pas vraiment qualifiés pour la mission de sécurité. Moi je considère ces agents plutôt comme des agents d’orientation et d’information plutôt que de sécurité. Dans notre plan de travail, nous avons prévu la signature d’une convention avec une société de gardiennage privée, comme c’est le cas pour un bon nombre d’universités à l’échelle nationale. Le cahier de charges sera prochainement prêt et l’opération se fera dès l’acquisition du nouveau budget. Après l’installation de la société de gardiennage, les agents de sécurité du campus seront réorientés et répartis sur les départements et les bâtisses.
Les étudiants ont aussi soulevé des problèmes de manque de transport et de dégradation du service de restauration à l’intérieur des deux campus…
Je travaille en étroite collaboration avec la direction des œuvres universitaires. C’est vrai que c’est une gestion autonome, mais comme étant le représentant du ministre de l’Enseignement supérieur dans la wilaya de Bouira, donc je considère le directeur des œuvres universitaires comme mon vice-recteur. Il faut savoir que le problème soulevé au niveau des œuvres universitaires est un problème de surcharge, comme c’est le cas pour le volet pédagogique. Aux cités universitaires, par exemple, nous avons été obligés de doubler le nombre d’étudiants pris en charge à l’intérieur des résidences universitaires. Rien n’empêche, nous faisons de notre mieux pour répondre favorablement à la demande des étudiants. Idem pour nos restaurants qui se trouvent actuellement débordés et leurs capacités dépassés. Concernant le manque de transport, la DOU de Bouira vient d’adopter un nouveau plan pour le renforcement de la flotte de bus de transport. La ligne ferroviaire pour le transport des étudiants entre Bouira et Lakhdaria sera prochainement mise en service.
Des étudiants et différentes organisations syndicales ont dénoncé ce qu’ils ont qualifié d’absence de communication de votre part. Est-ce vrai ?
En arrivant à l’université de Bouira, j’ai trouvé un mode de fonctionnement un peu étrange. Les gens n’assumaient pas leurs responsabilités. Des doléances banales des étudiants ne peuvaient pas être prises en charge au niveau des départements, des facultés ou du vice-rectorat. Résultat, tout le monde voulait voir le recteur. Au deuxième jour de mon installation, j’ai croisé plus de 300 étudiants devant l’entrée du rectorat, tous voulaient me voir pour des différents problèmes ! La grille hiérarchique doit être rétablie à l’université de Bouira et chaque responsable doit s’occuper de sa tâche à son échelle. C’est ce que j’ai essayé d’appliquer en réalité et ça a déjà commencé à donner des résultats sur le terrain. Je ne suis pas en train de fuir mes responsabilités. Au contraire, moi je les assume pleinement. Je contribue à l’installation d’un climat d’apaisement général au sein de notre université. Mon rôle est de veiller au bon fonctionnement de l’université et son développement. J’ai aussi instruit l’ensemble des doyens de nos facultés pour réactiver les comités pédagogiques à l’échelle de chaque département, car ça demeure le seul cadre où les préoccupations des étudiants peuvent être résolues.
L’année universitaire n’est toujours pas lancée dans plusieurs départements…
Il y a eu effectivement un important retard dans un certains nombres de départements, à l’image de celui de tamazight, de droit, de psychologie et des sciences économiques. Il s’agit là d’un retard accumulé de l’année dernière. Actuellement, je peux dire que l’ensemble des départements ont repris les cours, grâce notamment à l’engagement de nos enseignants pour l’accomplissement de l’ensemble des épreuves, des délibérations et de soutenances notamment.
Avez-vous prévu l’ouverture de nouveaux départements pour l’année prochaine ?
C’est un souhait pour moi, mais il faut se mettre à l’évidence. Comme je l’ai déjà dit, nous souffrons d’un manque important en matière d’enseignants. Cependant, nous étudions la diversification des spécialités et des orientations au niveau des facultés existences. En gros, c’est toute la carte des orientations qui va être révisée pour l’année prochaine et il se peut que des filières soient supprimées, notamment en cas d’absence de demande.
Un dernier mot pour conclure…
Je termine mon intervention en disant que mon premier objectif et de redynamiser les compétences à l’échelle de notre université et de répandre un climat de travail sain, au profit du corps professoral et nos étudiants. L’université de Bouira doit passer un cap vers l’excellence et une meilleure qualité des enseignements. Je m’adresse plus particulièrement à nos étudiants, en leur demandant de faire confiance aux responsables de l’établissement qui sauront comment agir et répondre à leurs préoccupations et je veillerai personnellement sur ce processus.
Entretien réalisé par Oussama Khitouche