«La vie repose sur la corne du bœuf», dispose un proverbe du terroir. Une manière, sans doute, d’encenser les bienfaits de ce bovidé, de louer ses mérites et de lui témoigner sa gratitude. Cette bête, à la fois sensible, docile et bosseuse est, encore de nos jours, un allié incontournable dans la région de Tamokra. Le travail de la terre est inconcevable sans s’attacher ses précieux services. En effet, composée essentiellement d’un relief tourmenté à la topographie accidentée, cette zone rurale ne se prête pas à l’usage des techniques modernes, basées sur la mécanisation des moyens de production. Par conséquent, les labours recourent exclusivement à la force des bœufs, la charrue et l’araire artisanaux. Une pratique séculaire qui se perpétue de génération en génération. C’est aussi un art, un savoir et un savoir-faire légués par les aïeux. «Dans le temps, pratiquement, chaque famille possédait sa paire de bœufs. Parfois, deux ou plusieurs familles s’arrangeaient pour en entretenir une en commun et dont elles se servaient à tour de rôle. De nos jours, les paires de bœufs se comptent sur les doigts d’une seule main», dira un paysan du village Tizi Aidel. Et de poursuivre : «Le destin des villageois était exclusivement lié au travail de la terre. Avec le temps, cela devient de moins en moins le cas». Entretenant une paire de bœufs, un paysan du village Boutouab confesse que le travail de la terre est source de satisfaction et de bonheur insoupçonnés. «C’est un plaisir inouï de sentir chaque jour l’odeur de la terre fraiche, d’opérer au beau milieu de la nature et d’avoir, en prime, la proximité de ces bêtes si dociles et ne rechignant pas à l’effort. C’est vrai que la terre est parfois ingrate, mais la philosophie du paysan est de travailler sans calcul, en se contentant de ce que cette mère nourricière veut bien lui donner», affirme-t-il. Néanmoins, avec le recul du travail de la terre découlant de la désagrégation de l’économie agropastorale, cet outil de travail tombe inéluctablement en disgrâce. «La paire de bœufs est devenue une denrée rare. Il faut, souvent, plusieurs semaines d’attente, pour espérer s’attacher ses services, tant elle est sollicitée de partout. On est submergés de demandes lesquelles émanent même des communes voisines. On tente de les satisfaire, mais on y arrive difficilement», confie l’un de ces damnés de la terre qui continue, contre vents et marées, à perpétuer un métier frappé de désaffection.
N Maouche

