Imache Amar, comment l’évoquer sans un pincement au cœur, sans regret et sans penser que les moins de cinquante ans ne le connaissent pas par oubli, par ignorance de leur Histoire.
Par S. Aït Hamouda
Comment ne pas se rappeler ce grand personnage du nationalisme d’abord, nord-africain, puis algérien et qui a été d’une discrétion particulière. Imache Amar, né le 7 juillet 1895 dans le village d’Ait-Mesbah, en Kabylie, dans l’actuelle commune d’Ath-Douala dans une famille de petits agriculteurs sans héritage économique ou politique, mort le 7 février 1960, est l’un des pionniers du nationalisme algérien. «Le 7 décembre 1924, fut créé un syndicat dénommé le Congrès des Ouvriers Nord-Africains de la Région Parisienne, pour défendre les droits de ces derniers. En mars 1926, ce syndicat devient un parti politique : L’Etoile Nord-Africaine qui revendique l’indépendance de l’Afrique du Nord et prône la lutte pour le progrès social. Vers 1925, il commence donc à glisser dans un autre monde, même si ce monde est encore celui de l’émigration. C’est la grande immersion dans une autre modalité de la communauté faite d’acculturation, avec ce qu’elle suppose d’arrachement et de métamorphose. Le 4 juin 1926, il est embauché en qualité d’Ouvrier Spécialisé à la parfumerie Roger & Gallet à Paris, et ce, jusqu’à décembre 1934. De simple militant, à la création de l’Étoile Nord-Africaine en 1926, où il s’affirme par ses positions anticolonialistes et ses convictions de nationaliste qui revendique l’indépendance de l’Afrique en général et de l’Algérie en particulier, il devient le n° 2 incontesté de l’Étoile au début des années 1930. Il était un rassembleur et un orateur hors du commun. À la création du journal «El-Ouma» en octobre 1930, Amar Imache fut désigné en qualité de Gérant et Messali comme directeur politique. Lors de l’assemblée générale du 28 mai 1933, on procéda à l’élection d’un Comité Central composé de 30 personnes dont les principaux élus furent Messali, Imache, Radjef, Si Djilani, Moussaoui Rabah, Rebouh, Sefar et Banoune. Au comité directeur, on retrouve Messali comme président et directeur d’El Ouma, Imache comme secrétaire général et rédacteur en Chef du journal et Radjef comme Trésorier. En novembre 1934, l’Etoile est de nouveau dissoute et ses principaux dirigeants arrêtés. Amar Imache est condamné le 5 novembre 1934 à 6 mois de prison et 2000 francs d’amende. Libéré en mai 1935, il reprend sa place au sein de la direction de l’Étoile.
Quand il dénonçait le projet Blum-Violette…
En 1936, il dénonce le projet Blum-Violette, selon lequel : «pour libérer l’Algérie, il faut d’abord la rattacher à la France» et «pour être citoyen algérien, il faut d’abord être citoyen français assimilé». Il dénonce cette entreprise de division, visant cette fois à séparer le peuple algérien de son élite et soutient que : «Le premier gouvernement à forme républicaine et démocratique fut institué en Kabylie pendant qu’en France et ailleurs on ignorait ces mots» (l’Algérie au Carrefour). Il ne cesse de manifester dans sa démarche politique, son attachement à la culture berbère. Convaincu que ces institutions peuvent donner à l’Algérie indépendante, un caractère social et démocratique, il plaide longtemps pour la prise en compte des structures sociales, politiques et économiques berbères : âarch : (communautés villageoises) et tajmâat : (assemblée élue du village). Il lutte non seulement pour l’indépendance de l’Algérie et la sauvegarde de l’identité algérienne, mais aussi pour la libération de tous les peuples opprimés, particulièrement en Afrique. Lors de l’occupation de l’Ethiopie par l’Italie, Amar Imache mène une vigoureuse campagne contre cette occupation. «Tous les Africains, sans distinction de religion, doivent manifester contre le fascisme italien, tous les Africains doivent s’unir pour combattre l’impérialisme en Afrique» déclare-t-il le 22 août 1935 dans le journal El Ouma, reprenant ainsi le mot d’ordre de son ancêtre Massinissa : «L’Afrique aux africains». Ce fut un homme aux grandes convictions, aux défis les plus tenaces et à la combativité singulière. En février 1947, Amar Imache rédige une lettre d’adieu à ses compatriotes et rentre définitivement en Algérie. Cette lettre intitulée «Lettre d’Adieu aux Algériens Résidant en France» est un appel à l’union, à la fraternité, mais aussi une mise en garde contre la duperie et le culte de la personnalité (à l’intention de ceux qui adoraient Messali). Cette mise en garde a fait son chemin à l’intérieur du MTLD, puisque ces propos (culte de la personnalité, mégalomanie) seront largement repris par les oppositions à l’intérieur de ce Parti. En 1948, Amar Imache s’est marié tardivement dans son village natal. Il rejoint durant la même année l’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA) de Ferhat Abbas jusqu’en 1951. À la même période, pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, il occupe le poste de magasinier dans la Société d’Import-Export, le Comptoir Nord-Africain Amal à Alger. Son état de santé s’étant dégradé, son médecin traitant le déclare inapte au travail avec un taux de 100% d’incapacité permanente partielle. Il rentre dans son village natal, à la veille du déclenchement de la révolution armée où il continue néanmoins à prodiguer ses conseils aux responsables de l’ALN qui le sollicitaient.
Son retour au village à la veille du déclenchement de la révolution armée
«… Donc, si les temps des croisades sont révolus, si l’idée de justice et d’égalité anime vraiment les hommes, rien ne s’oppose à ce que l’Algérie soit libre et vive en harmonie avec le progrès et en fraternité avec tous ceux qui veulent lui tendre une main loyale et fraternelle. C’est pourquoi nous disons et dirons toujours aux Algériens que nous avons le droit de revendiquer nos droits en tant qu’Algériens, rien qu’en qualité d’Algériens, uniquement en nationalistes algériens. Revendiquer la citoyenneté française pour avoir un bulletin de vote est un leurre et un contre-sens, d’autant plus qu’il ne peut être accordé qu’à une minorité alors que nous sommes la majorité et nous disons aussi à la France que l’Angleterre a agi sagement et a réalisé une bonne affaire en faisant de l’Egypte son alliée. N’était-ce pas préférable que d’être adversaire? Qu’en pense le peuple français qui aime tant la liberté? Qu’en pensent les Français hostiles à l’assimilation? Qu’en pensent aussi nos oulémas? Est-il vraiment interdit, impossible d’être libres? Dans la négative et si on suivait certains raisonnements, aucune puissance ne peut être libre. La France était vaincue par l’Allemagne, elle s’est pourtant libérée depuis 71 tout en achevant ses conquêtes. L’Allemagne elle-même était vaincue en 1918, la voilà libre. De plus petites nations, telles l’Egypte, la Syrie et L’Irak se sont libérées. D’autres y travaillent dans le même but, pourquoi ferait-on exception pour l’Algérie? Est-il juste que l’un se flatte de son origine et qu’un autre en rougisse? Notre pays n’est-il pas attaché, tout comme les autres, à ses traditions, à son histoire? Notre pays n’est pas une île déserte à la merci du premier qui la trouve. Il appartient de droit à son peuple. Aucune force ne saurait prévaloir sur la raison et la justice. L’Algérie est notre héritage, elle nous vient des glorieux martyrs qui sont morts pour nous la conserver. Elle nous vient de tous ceux qui, à travers les âges se sont sacrifiés pour chasser de chez nous et Vandales et Romains. Et si au lieu de Okbi c’était Okba, quel langage tiendrait-il ? Ô ! vous dont la grandeur et le renom s’enfoncent chaque jour dans la légende ! Vous tous, chevaleresques guerriers d’antan, dont le sable du désert a recouvert les traces mais dont les ombres hantent encore l’«Ifriquia», que diriez-vous si vous étiez de ce monde ? Ah ! si au lieu de narrer une triste réalité, j’écrivais un roman ! Je laisserais mon imagination parcourir toutes les contrées que vous avez foulées. Je demanderais aux montagnes d’abaisser leurs cimes et aux dunes de se tasser. Et par delà les monts et les vallées, j’essaierais de distinguer les innombrables silhouettes des soldats de l’islam libre et la multitude de leurs caravanes. Peut-être le grand désert qui conserve si bien les vestiges du passé a-t-il aussi conservé le murmure de leur voix. Peut-être le crissement du sable toujours instable et toujours immuable parle-t-il encore de ceux qui ignoraient la servitude. Qui sait si les voûtes mystérieuses de l’Atlantide ne recèlent pas toujours les échos de leurs rires et de leurs appels ? Si les Algériens, dans un instant de suprême recueillement écoutaient, peut-être la mémoire de ceux qui ont tout lieu de désespérer de nous, ferait le miracle de nous inspirer et du fin fond de l’immense désert, une voix puissante nous crierait : Halte ! Où allez-vous peuple égaré ? Votre route était tracée depuis des siècles. Allons ! Demi-tour et face à l’Orient ! C’est de là qu’est venue la foi, c’est là qu’étaient lancés les premiers mots d’ordre pour la fraternité et l’égalité entre les races qu’elles soient blanche, jaune ou noire. C’est là que les puissants et les humbles ont le même titre, c’est là que vous aurez la paix et le salut.» Ces mots du cœur, des trippes et de ses tréfonds qu’Imache Ali a criés alors malade, alors fourbu, alors affaibli mais jamais soumis à la loi du colonialisme, ni à son idéologie, ni à sa politique sectaire et anti-algérienne.
S. A. H.

