Ces notes qui sèment les graines de l’échec

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La plupart des enseignants que je côtoie quotidiennement se plaignent des apprenants qui ne portent aucun intérêt à leur scolarité.

Je les entends souvent dire que les apprenants ne veulent pas apprendre et n’ont plus peur des sanctions. Les vieilles tactiques de la peur telles que mettre un zéro, renvoyer l’élève, le punir… ne fonctionnent plus, et affirment qu’ils sont désarmés et ne peuvent plus faire face à des comportements qu’ils n’arrivent pas à expliquer. Dans ce cas, l’éducation doit-elle s’avouer vaincue et que l’école n’a plus sa raison d’être ? Pour que les élèves apprennent et réussissent, ils doivent d’abord sentir notre amitié et l’intérêt que nous leur portons. Nous devons leur faire comprendre que l’enseignant est là pour les aider à apprendre et à réussir et non pas à les faire échouer. L’apprenant ne doit pas se sentir rejeté parce qu’il n’arrive pas à avoir de bonnes notes. Évaluer n’est pas noter et enseigner et ne doit pas se baser uniquement sur l’évaluation. C’est plutôt démontrer aux apprenants qu’ils peuvent apprendre. Il s’agit aussi de cultiver l’estime de soi. L’apprenant doit se sentir valorisé et doit être aussi acteur de son apprentissage. Par conséquent, nous devons amener nos apprenants à penser et non pas à mémoriser, car penser est une activité fructueuse et mémoriser quelque chose qui n’a pas de sens pour l’apprenant cultive une attitude de désengagement et sème les graines de l’échec pour reprendre Brian Mulherin. Cet échec est dû en partie au stress des apprenants suite à la pression des parents. À titre d’exemple, lors des compositions, tout le monde est au courant : les élèves, les parents, les voisins et même le concierge est appelé à revoir les horaires de la sonnerie. Les chefs d’établissements sont à l’affût, rien ne doit être laissé au hasard. C’est la mobilisation totale. Ils rassemblent leurs troupes, établissent le calendrier des compositions et mettent en garde les enseignants quant aux éventuels retards et/ou absences. Il est temps pour les élèves qui viennent, pour certains, avec des crânes bourrés de connaissances indigestes et pour d’autres avec des feuilles soigneusement cachées pour mettre à profit leurs «savoir-faire» quand on peut échapper à la vigilance du surveillant de tout mettre sur une feuille de composition. Durant cette semaine, les parents les plus avertis déclarent «l’état d’urgence» dans leurs foyers. Les enfants sont soumis à des pratiques draconiennes. Point de télévision, point d’internet et encore moins de sorties en dehors des heures de compositions. On baisse le volume de la télévision, on évite de parler à haute voix, on n’envoie plus l’enfant chez l’épicier… Chuuuut, c’est la semaine des compositions ! Les membres de la famille, à tour de rôle, tiennent l’enfant à l’œil. Il leur arrive parfois de les séparer quand ils sont plusieurs. Les enfants trichent même pendant les révisions, se disent-ils. Par conséquent, les enfants sont soumis à une pression terrible et leurs parents ne réalisent pas qu’ils sont à l’origine de cette pression. C’est pour cela que les enfants, qui pour satisfaire ses parents, qui pour échapper à une bonne raclée et/ou injures, utilisent tous les moyens pour s’en sortir. Les enseignants, quant à eux, heureux, le temps d’une semaine de se débarrasser de leurs blouses qui leur collaient au corps pendant tout le trimestre et de leurs fiches qui pour certains les perturbaient même dans leurs sommeil, sont là et veillent au grain. Par ailleurs, c’est plus par tradition scolaire que par souci pédagogique que certains exhibent fièrement à la fin de chaque épreuve les petits feuillets qu’ils ont pu dénicher chez les «copieurs» en ayant le sentiment d’un travail accompli. Cependant, le jour où on comprendra que les connaissances que nous évaluons s’évaporent après chaque épreuve, on réalisera que notre système d’évaluation est voué à l’échec. La semaine est terminée, les élèves sont soulagés, les parents retiennent leur souffle en attendant les résultats. Les enseignants, pour leur part, corrigent, mettent les notes sur les bulletins et vivement les vacances. Certains pensent même que la concurrence stimule les apprenants à aller de l’avant et à améliorer leurs résultats scolaires. Et on n’a pas trouvé mieux que de recourir au concours inter-établissements. Décidément, on ne veut pas en finir avec ces vieilles pratiques qui influent négativement sur le comportement de nos apprenants. Les responsables du secteur de l’éducation, à travers les médias et les correspondances adressées aux différents lycées et collèges, se réjouissent du retour de cette activité, qui, à leurs yeux, est un moyen pour pousser les lycéens et les collégiens à travailler davantage. Ils considèrent que l’objectif principal de cette activité est de créer la concurrence et la compétition entre les lycéens et les collégiens des établissements en compétition. Les initiateurs de cette «foire pédagogique» se réjouissent de cette redécouverte. Cependant, mesurent-ils les dégâts que peut engendrer cette pratique, que je considère personnellement d’anti-pédagogique ? Savent-ils que la compétition engendre la concurrence et les compétiteurs rentrent en rivalité avec leurs camarades qu’ils considèrent, le temps de cette confrontation, comme ennemis ? Sont-ils conscients que quand on cultive la concurrence et l’esprit de compétition chez nos apprenants, on ne récolte que la haine et l’égoïsme ? Par cette pratique, je vous laisse le soin de déduire ce qu’on inculque à nos apprenants par notre «génie» d’éducateur. Au lieu d’apprendre à nos enfants la coopération, l’entraide et le respect mutuel dont ils vont se servir dans la vie de tous les jours, on les met en confrontation avec leurs camarades, avec tout ce qui en découle de cette rivalité. En dépit de ce que je viens de souligner, sur quel critère se fait le choix des apprenants qui auront à représenter leurs établissements respectifs ? A-t-on pris en considération la frustration des autres qui se considèrent eux aussi aptes à bien représenter leurs camarades étant donné que le nombre de compétiteurs est limité ? On oublie qu’on fait cinq ou six apprenants heureux (tout dépend du nombre de sélectionnés) et des dizaines de malheureux qui s’estiment lésés. D’autre part, comment se fait le choix du meilleur lycée ou collège ? Est-il sensé de proclamer tel ou tel établissement meilleur que l’autre à base de deux heures de compétition ? C’est comme une bonne équipe de foot qui fait un bon match et qui perd aux tirs au but. Les résultats sont faussés dès le début de ce processus, du moment que le seul critère sur lequel on s’est basé est la note. Alors que l’évaluation est un «processus visant à apprécier objectivement tous les aspects reliés aux apprentissages : le rendement et les caractéristiques des sujets, les programmes d’études, l’enseignement, l’évaluation, la gestion de l’enseignement et de l’apprentissage, le personnel, les établissements en vue d’assurer le meilleur système éducatif possible» (dictionnaire actuel de l’éducation de Renald Legendre). Les représentations traditionnelles sur l’évaluation scolaire convergent généralement pour associer et confondre la notion de la notation et celle de l’évaluation. Alors qu’évaluer n’est pas noter. Il ne s’agit plus de mesurer mais d’analyser, de diagnostiquer, de se centrer sur les apprentissages afin de mieux aider l’apprenant à les réaliser. Pour cela, l’évaluation doit devenir réflexive. L’apprenant ne sera plus comme objet mais comme sujet, participant au processus. L’évaluation doit être au cœur de l’activité de l’enseignant et sert pour la régulation des apprentissages. De ce fait, l’erreur devient une réalité à gérer, non à traquer. Il ne s’agit plus de «piéger» mais de saisir les erreurs pour comprendre et aider l’apprenant. Nous continuons à suivre un mode d’évaluation d’il y a presque un demi siècle malgré l’apparition et l’application des nouvelles méthodes d’enseignement. L’évaluation ne se résume pas à la moyenne qu’on met sur les bulletins scolaires, elle doit plutôt être l’objet d’identifier la progression des apprenants et leurs difficultés éventuelles. Cette évaluation doit être fréquente et régulière. L’évaluation est un grand chantier sur lequel les spécialistes doivent sérieusement se pencher.

Ali Bekhti

Doctorant en science

de l’éducation et enseignant

de tamazight.

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