Nécessité de briser les tabous !

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Le Centre pour la prise en charge des enfants autistes, inauguré le 23 février dernier par la ministre de la Solidarité Nationale, enregistre actuellement l’inscription de 247 enfants, dont 170 y effectuent régulièrement des consultations spécialisées.

Selon M. Aoudia Nacim, le responsable de ce centre, la prise en charge s’effectue uniquement dans la journée : «Nous avons quatre psychiatres, un pédopsychiatre, quatre psychologues cliniciens, quatre orthophonistes ainsi qu’un médecin généraliste qui y travaillent toute la semaine. Des consultations spécialisées sont effectuées au cours de la journée au profit des enfants autistes, ou ceux diagnostiqués en tant que tels, accompagnés de leurs parents. D’autres enfants, lors de ces consultations spécialisés, sont diagnostiqués comme étant autistes. Les petits patients, dont l’âge varie entre deux et treize ans, font d’abord des consultations chez le psychiatre ensuite auprès du psychologue puis de l’orthophoniste et les étapes diffèrent selon les cas. Auprès de certains sujets il n’y a pas la stabilité nécessaire chez l’enfant et c’est là le travail du psychologue», dira M. Aoudia.

Et d’ajouter : «Dans 99% des cas, le problème se pose au niveau du langage. Et afin d’y remédier, des séances chez l’orthophoniste sont impératives pour une prise en charge en respectant un programme bien étudié.» Concernant la prise en charge des enfants, le directeur du centre indiquera : «Au cours de la journée, nous pouvons prendre en charge entre 20 et 25 enfants.»

À la question de savoir si les autistes sont scolarisés, le responsable révèlera que cela dépend de l’état d’avancement de la prise en charge : «Si l’enfant autiste est suivi dès son plus jeune âge avec une prise en charge adéquate, il peut assimiler et entamer sa scolarité dans une classe préscolaire. Mais il ne faut pas que nous cachions la vérité aux parents en leur disant que leur enfant sera « normal » et qu’il pourra s’épanouir comme les autres enfants. L’autisme ne se guérit pas ! Les dernières recherches menées aux USA prouvent qu’à l’heure actuelle, aucune guérison n’est possible. Il ne s’agit pas d’une opération chirurgicale où l’on retire un tissu nécrosé afin d’éradiquer le mal pour que l’enfant retrouve son équilibre dans la société», indique M. Aoudia.

La scolarisation des enfants autistes a malheureusement échoué en Algérie, malgré les tentatives du gouvernement de leur faire suivre un cursus scolaire. Les enseignants, n’étant pas formés de l’attitude à avoir devant un enfant autiste turbulent, ne peuvent rien faire. Les directeurs d’établissements sont obligés d’annoncer aux parents que leur enfant ne peut continuer à suivre ses cours dans cette école.

Un constat est réalisé à plusieurs reprises et en plusieurs endroits à travers le territoire national. Il faut savoir que le langage et l’élocution ainsi que les connaissances sont les bases nécessaires pour être autonome. C’est justement cette autonomie qui joue un rôle important dans notre société, surtout si l’on veut scolariser un autiste en classe de préscolaire, car si l’enfant n’est pas stable, il ne pourra pas s’asseoir en salle de classe en restant assidu. C’est justement là où interviennent le psychologue et le pédopsychiatre qui jouent un rôle essentiel dans la prise en charge des autistes en jeune âge.

Le contact, une vraie thérapie

Dans ce centre, les jeunes autistes sont orientés vers les crèches privées de la wilaya et les parents sont encouragés à «ouvrir le monde» à leurs enfants. Car la majorité, hélas, se refusent à les faire sortir en leurs préférant une réclusion en leurs domiciles. «Il vaut mieux les faire sortir et les sociabiliser plutôt que de les cacher et en avoir honte», déplore M. Aoudia Nacim.

Pour cela, des ateliers de guidance parentale sont organisés au niveau de ce centre spécialisé afin justement de faire prendre conscience aux parents de leurs rôles primordiales dans la prise en charge : «Nous réunissons les parents d’enfants autistes et nous les sensibilisons sur les mesures à prendre pour assurer une meilleure prise en charge de leur progéniture. Un psychologue est associé à ces rencontres pour justement faire prendre conscience aux parents de l’impératif de ne pas isoler l’enfant et nous essayons de les aider, eux même, à sortir de leurs états de ‘désolation’ dans lequel ils évoluent à longueur de journée et pour cela, la présence du psychologue est nécessaire», estime ce responsable.

Ce dernier souligne, d’ailleurs, le fait qu’élever un enfant autiste dans la société n’est pas chose aisée : «C’est pour cela que nous invitons les parents afin d’assister aux ateliers de guidance organisés chaque jeudi. Ce qui permet de les soulager également, car eux-aussi ont besoin d’une prise en charge.»

L’autisme : maladie ou trouble ?

Jusqu’à présent, le débat n’est pas encore achevé pour définir si l’autisme est une maladie ou un trouble et les médecins et les psychologues avancent régulièrement leurs arguments. Pour les médecins, psychiatres pédopsychiatres, ils sont unanimes pour définir l’autisme comme étant une maladie, tandis que les psychologues, eux, affirment qu’il s’agit d’un trouble. En attendant une définition exacte de ce comportement développé par l’autiste, la prise en charge, elle, ne peut pas attendre.

«Nous avons des cas qui nécessitent des soins lourds et coûteux et qui sont sous traitement à notre niveau. Pour ces enfants hyperactifs, l’attention du staff doit être redoublée afin de leur faire faire leurs séances et ces derniers sont sous traitement pour qu’ils retrouvent une stabilité et puissent rester sur une chaise pour travailler avec les médecins», explique le responsable de cette structure.

Auparavant, les enfants autistes de ce centre étaient dans les Centres psychopédagogiques (CPP) d’Ain Bessem ou celui de Bouira, et les parents se demandaient comment ils allaient pouvoir les prendre en charge. Ils emmenaient leurs enfants dans des établissements spécialisés comme celui de Drid Hocine à Kouba.

C’est l’ex-wali de Bouira, Nacer Maskri, et la directrice de l’action sociale, Saliha Harkat, qui ont pris l’initiative d’ouvrir un centre similaire à Bouira, afin de permettre un meilleur suivi pour les enfants autistes avec des séances auprès des pédopsychiatres. Ces enfants, lors des déplacements éreintants sur Alger, n’étaient pas assidus lors de leurs séances à cause du trajet et qu’il fallait se lever aux aurores pour se rendre à la capitale. Ils arrivaient au centre Drid Hocine complètement fatigués et incapables de suivre les séances.

Par contre, depuis l’ouverture du centre de Bouira, la proximité permet une évolution favorable de leur prise en charge, même si depuis à peine deux mois après son ouverture, aucune statistique n’est encore disponible.

Plus la prise en charge est précoce mieux c’est pour l’équilibre de l’enfant

Les bilans, les IRM et autres scanners sont très onéreux et les parents sont désemparés devant autant de frais, car pour bénéficier d’un scanner au niveau des hôpitaux, comme celui de Mustapha Bacha à Alger, il faut des rendez-vous et des mois d’attentes. Sinon pour parer à l’urgence, ce sont les laboratoires privés qui effectuent ces bilans et analyses à des prix exorbitants.

«Nous espérons que ce centre puisse apporter de bons résultats dans le temps, mais il ne s’agit pas seulement de la volonté de notre staff ou des efforts de l’État pour une prise en charge efficace à ces enfants. Il faut un travail de société et là tout le monde doit intervenir», soulignera M. Aoudia, en ajoutant : «Déjà si à l’âge de deux ans, l’enfant ne se comporte pas normalement, il faut immédiatement s’inquiéter et se rendre chez un spécialiste pour consultation et une prise en charge dans les délais.»

Manque de matériel pédagogique

Le seul bémol enregistré au cours de cette visite est le manque de matériel pédagogique pour les petits autistes. En ces périodes de restrictions budgétaires, il n’est pas évident de trouver une enveloppe pour permettre au staff de ce centre d’accomplir correctement son travail. Par exemple, pour appliquer la méthode de Schopler avec tous ses chapitres, cela demande des outils particuliers, comme des puzzles de différentes formes, des cloches, des supports imagés… À quatre ans, il faut savoir que les outils utilisés diffèrent de ceux adaptés pour les enfants de deux ou de six ans. Ces moyens pédagogiques font défaut et ce sont les efforts qui compensent actuellement ces carences. Le staff est à remercier pour cela.

«Le centre n’est pas une garderie !»

«À l’ouverture de ce centre, nous avons fait appel à des spécialistes expérimentés qui avaient exercé à Drid Hocine à Kouba et à Cheraga. On a lancé un appel à la Direction de la Santé de Bouira que je remercie vivement d’ailleurs, et qui a répondu favorablement en permettant le détachement de médecins spécialistes auprès de cette structure nouvellement inaugurée. Je voudrais, toutefois, souligner aux parents que cette structure est un centre pour la prise en charge des enfants autistes et il ne s’agit pas d’une garderie où l’on laisse l’enfant pour venir le récupérer en fin de journée. Ce centre est dédié exclusivement à la prise en charge», dira la directrice de la DAS de la wilaya de Bouira, Mme Saliha Harkat.

Et d’ajouter : «Au début, les parents d’enfants autistes se plaignaient de l’inexistence de ce genre de structures alors qu’il faut savoir que certains spécialistes comme les orthophonistes sont rares à trouver sur le marché de l’emploi. Ils préfèrent ouvrir des cabinets et s’installer à leurs comptes, surtout lorsqu’on sait que les consultations coûtent entre 1 500 et 2 000 DA. Ce sont tous ces arguments qui nous ont poussés à envisager la création de ce centre, mais les parents pensaient que leurs enfants seraient pris en charge dans ce centre durant toute la journée. Pour les enfants autistes, il leur faut des consultations médicales régulières et un suivi chez un orthophoniste et un psychoclinicien, mais le plus gros du travail se fait avec sa maman. L’entourage familial est indispensable pour ces enfants et c’est pour cela que nous avons créé la guidance parentale. Ce n’est pas comme les enfants trisomiques ou retardés mentaux pour avoir un éducateur en permanence. L’autiste, il lui faut une cellule médicale avec des pédopsychiatres qui remettent un programme aux cliniciens et l’appliquent ensemble. C’est le message que je tente de faire passer aux parents. Ici ce n’est pas un centre psychopédagogique. Il faut un dépistage précoce avant l’âge de trois ans pour savoir qu’ils ont un enfant autiste. Les parents choisissent généralement de passer chez des raquis avant de se tourner vers la médecine et cela est déplorable, car c’est une perte de temps. Le centre de Bouira peut également recevoir les autistes des autres wilayas limitrophes, car il en existe très peu actuellement hormis ceux de Ben Aknoun, de Constantine et d’Ain Temouchent récemment inaugurés.»

Hafidh Bessaoudi

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