Attendu par son public, le 8 juin à la maison de la culture Mouloud Mammeri et le 15 à Bouira, à l’occasion des soirées ramadhanesques, Akli Yahiatène, un des monuments du chaâbi kabyle, revient dans cet entretien sur sa longue carrière et répond, à cœur ouvert, à nos questions.
La Dépêche de Kabylie : Si vous nous parliez de vos débuts ?
Akli Yahiatène : Je suis né en 1933, à Aït Mendes. J’ai débuté dans la chanson à l’âge de 20 ans. Mais j’ai aimé la chanson, dès mon plus jeune âge. J’ai passé toute mon enfance à Alger. À cette époque là on écoutait beaucoup de musique orientale. Les chansons de Farid Al Atrach surtout, je les écoutais beaucoup. En 1953, je suis parti en France, où tout a commencé pour moi. J’ai fait beaucoup de rencontres… Des jeunes artistes chantaient un peu partout… Peu à peu, je me suis retrouvé à chanter avec eux. Je suis rentré au pays en 1963. Personne n’a pu rentrer pendant la guerre.
On peut avoir des noms ?
C’était il y a plus de 60 ans, c’étaient de jeunes amateurs, pas très connus, je ne me souviens pas trop d’eux malheureusement.
Vous chantiez quel genre de chansons à ce moment-là ?
J’étais plus en phase d’apprentissage, je chantais les chansons d’autres artistes connus à l’époque, comme Sliman Azem, Ahcène Mezani. Je chantais aussi en arabe.
L’exil revient beaucoup dans vos chansons. Comment avez-vous vécu le vôtre ?
Comme tous les Algériens qui se trouvaient en France. Nous avons subi l’humiliation. On nous tabassait, insultait, mettait en prison. C’était une période difficile. On a aussi passé des bons moments, même s’ils étaient rares.
Vous avez rencontré Slimane Azem et El Hasnaoui… Que pourriez-vous nous dire sur eux ?
Je ne les ai rencontrés qu’après la guerre. Nous chantions pour les Algériens, c’était notre manière de rester solidaire, de ne pas couper les ponts avec le pays. La nostalgie nous guettait et la scène était notre échappatoire. Nous chantions dans des cafés, les salles nous étaient inaccessibles. Pendant la guerre, le FLN assurait notre protection. On donnait au parti une part de nos revenus. C’était notre manière de contribuer. A cette époque-là nous ne chantions pas vraiment l’amour. C’étaient plutôt des chansons engagées, sur l’exil, la misère, les parents… C’était ce qui nous préoccupait à ce moment-là.
Vous qui avez accompagné la chanson kabyle dans son évolution, comment l’évaluez-vous actuellement ?
Il y a lieu juste de noter qu’avant, on ne connaissait pas le racisme, on n’avait pas cette mentalité, on chantait en arabe et en kabyle. Pendant la guerre, par exemple, il y avait un seul chemin, on l’empruntait tous, c’est celui de l’Algérie. Ce qui n’est pas le cas actuellement.
Selon vous, cette mentalité a émergé quand ?
Après l’indépendance, tout a commencé.
Revenons à l’évolution de la chanson kabyle…
Oui. La chanson kabyle a fait du chemin, et si aujourd’hui elle est toujours là c’est parce qu’elle a ceux qui l’aiment, ceux qui se sont donnés à fond pour elle, ceux qui se sont sacrifiés pour elle.
Actuellement, elle progresse ou régresse, selon vous ?
Chaque époque a ses spécificités. Il est clair que la chanson d’avant n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Là c’est une nouvelle génération, ils chantent ce qui leur convient. Ils ont leur public. Nous concernant, nous l’ancienne génération, nos chansons sont différentes. Nos bases sont solides, notre poésie, est propre. Prenons l’exemple de cheikh El Hasnaoui. Il chantait l’amour, mais ses paroles étaient soignées, c’était beau. C’était le cas de beaucoup d’autres. Maintenant, je ne dirais pas que tout est noir. Pas à ce point. Il y a du bon et du mauvais. Il y a des manques aussi. Tous les gouts sont satisfaits, au public de choisir
Auriez-vous un conseil à donner à ces jeunes ?
Les chanteurs doivent travailler davantage pour améliorer leurs produits. Que ce soit au niveau des paroles, de la musique et même de l’interprétation. Beaucoup de chanteurs ne font aucune recherche, ils ne fournissent aucun effort. Mais la faute incombe aussi à ceux qui écoutent. Le public doit être exigeant, il ne doit pas encourager la médiocrité.
Votre répertoire est déjà long et varié, allez-vous l’enrichir encore ?
J’ai en effet beaucoup de chansons, peut-être une centaine, je ne me souviens plus très bien. Mais je travaille toujours, j’ai un nouvel album qui sortira après le Ramadhan.
Plus de détails s’il vous plait…
Non, je préfère que le public le découvre au moment opportun… Juste quelques informations alors… L’album est prêt, c’est l’édition Izem qui se chargera de la production, s’il n’y a pas de changement de dernière minute. Il est composé de 8 nouvelles chansons et 2 que j’ai déjà chantées à la radio mais qui ne sont jamais sorties en album.
Avec le recul et si c’était à refaire, est-ce que vous referiez votre carrière de la même manière, ou peut-être préféreriez-vous changer certaines choses ?
Ce qui est passé est passé, j’assume ma vie telle que je l’ai vécue. Il y aurait sûrement des choses à ne pas refaire, des choses à améliorer, mais aujourd’hui, avec le recul, je me dis que ce qui devait arriver est arrivé, c’est une question de destin.
Des regrets ?
Oui. Je regrette par exemple de ne pas avoir fait des études, je n’ai jamais mis les pieds à l’école, ça m’a beaucoup pénalisé dans la vie. J’ai été freiné plusieurs fois à cause de ça. J’avoue que je manquais aussi de volonté, sinon, j’aurai pu faire des cours du soir par exemple. Je regrette vraiment de ne pas l’avoir fait. Mais on ne peut pas tout avoir dans la vie, c’est ce
Qu’est ce qui fait votre bonheur?
Beaucoup de choses. Ce qui est bon et correct me fait plaisir. Mais à vrai dire, mon vrai bonheur ce sont mes enfants, mais surtout mon petit-fils, qui porte mon prénom. A chaque fois que je rentre chez moi, il accourt vers moi, c’est un bonheur. La vie et belle, mais c’est vrai qu’il y a de tout aussi.
Si on parlait de la vie d’Akli Yahiatène aujourd’hui, comment vous passez vos journées ?
Avec la famille, les amis et ceux qui m’aiment. Je suis heureux dans ma vie, je ne recherche pas à être ce que je ne suis pas, ou à valoir ce que je ne vaux pas. Dieu merci, je suis respecté partout, c’est une richesse pour moi. Je fais du jardinage et j’aime jouer aux dominos avec des amis dans le café près de chez-moi.
À l’occasion du Ramadhan, vous allez animer des galas…
Oui, pour le moment, j’ai deux dates : à Tizi-Ouzou, à la maison de la culture, le 8 juin, et le 15 à Bouira. J’espère qu’il y en aura d’autres. Tant que je peux chanter, je le ferai toujours et avec plaisir.
Entretien réalisé par Kamela Haddoum.