Il y a 64 ans, des manifestants étaient assassinés en plein Paris

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Profitant de la manifestation pacifique organisée par les militants du parti communiste français (PCF) et les syndicalistes de la CGT à l’occasion de la fête nationale du 14 juillet, des centaines d’ouvriers algériens, dont des nationalistes, ont répondu à l’appel du MTLD pour battre le pavé de la capitale française, afin d’exiger la liberté et l’indépendance de l’Algérie.

La manifestation s’est déroulée sans incident, mais au moment où elle là arrivait à son terme, les manifestants algériens, qui brandissaient la photo de Messali L’hadj et l’emblème national ont été ciblés par des tirs d’armes à feu sans sommation de la part des policiers. Bilan, sept morts : un syndicaliste français, Maurice Lurot ouvrier de son état et six ouvriers Algériens, Illoul Mohamed, 20 ans, Daoui Larbi, 27 ans, Tabjadi Amar, 25 ans, originaire de Tigzirt (Tizi-Ouzou), Madjén Tahar, 26 ans et originaire de Guergour (Constantine), Dranis Abdelkader, 31 ans, originaire de Nedroma (Oran) et Bacha Abdellah, 25 ans, originaire de Ivehlal dans la commune d’Aghbalou (Bouira). Au lendemain du crime, et après la cérémonie religieuse (prière du mort) qui s’est déroulée à la mosquée de Paris, les deux premiers cités, Illoul Mohamed et Daoui Larbi, ont été enterrés au cimetière musulman de Bobigny, alors que les corps des quatre autres ont été rapatriés en Algérie. L’information a été largement relatée par le journal «Alger Républicain», avec comme titre, «L’Algérie a fait d’imposantes obsèques à quatre de ses fils tombés pour la liberté le 14 juillet 1953», ou encore, «cérémonie solennelle à Maillot et Nedroma». Le journal évoquera aussi l’arrivée des quatre corps au port d’Alger, avec photos illustratives des cercueils drapés de l’emblème national et des bouquets de fleurs, des algériens (hommes et femmes) qui se sont déplacés en masse pour un ultime hommage, notamment ce geste des dockers d’Alger qui ont tout fait pour porter les cercueils en signe de protestation et de solidarité envers les victimes, en décidant de traverser le centre d’Alger, contrariant du coup la décision de l’administration, qui avait opté pour un chemin isolé loin de la foule…Par la suite, chacun des quatre corps sera acheminé vers sa région d’origine, accompagné d’une importante délégation.

Ivehlal enterrait dignement le martyr

Abdellah Bacha Les villageois d’Ivehlal dans la commune d’Aghbalou (Bouira), n’oublieront jamais cette journée d’été, suite à l’arrivée de la dépouille d’Abdellah Bacha, victime de la répression de la police française lors de la marche du 14 Juillet 1953 à Paris. En effet, des centaines de personnes venues à pied, à dos de mulets, en camions ou en cars, se sont mobilisés pour conduire Abdellah Bacha, martyr de la liberté à sa dernière demeure, dans son village natal Ivehlal. Jamais de mémoire d’homme, ce petit village jonché sur le versant sud de la montagne Djurdjura n’a vu pareilles obsèques ! Grandioses certes, mais aussi émouvantes, solennelles et combien dignes, écrit Alger Républicain dans son édition du 22 juillet 1953, conforté par les témoignages des villageois que les journalistes ont accosté au sujet de cette douloureuse et inoubliable journée. Le cortège funèbre a traversé le village sous le regard médusé des villageois consternés. Une fois arrivée au village, le frère du défunt, feu Mahmoud Bacha, soutenu par les villageois avait dignement résisté à la pression de l’administration, caïds et gardes champêtres qui voulaient que l’enterrement d’Abdellah Bacha ait lieu le soir même. Devant la solidarité des villageois, le défunt a été enterré le lendemain comme le veut la tradition kabyle, en présence d’une foule nombreuse venant des quatre coins de la région. Des responsables politiques locaux étaient aussi présents, à l’image d’Abdelhamid Mehri du MTLD, de Sadek Hadjres du PCA, d’un représentant du comité de défense des victimes de la fusillade du 14 juillet, ainsi qu’un représentant français de la CGT. Après la cérémonie religieuse et l’ultime adieu de la foule, suivi par l’allocution donnée simultanément par Mehri et de Hadjres, comme dernier hommage au défunt, Abdellah Bacha fut enterré dans la dignité.

Une plaque commémorative à la place de la Nation à Paris

La mairie de Paris a procédé jeudi dernier 6 juillet 2017 à la pose d’une plaque commémorative au niveau de la place de la nation de Paris, en hommage aux sept martyrs de la liberté (six algériens et un français), victimes de l’acharnement féroce de la police française lors de la manifestation pacifique du 14 Juillet 1953. La cérémonie s’est déroulée en présence d’une foule nombreuse composée de personnalités politiques, des syndicalistes, des élus locaux du PS et du PCF, et autres citoyens et membres des familles des victimes. Un geste qui parvient 64 ans après ce triste événement occulté de part et d’autres. Une chose est sûre, la manifestation du 14 Juillet 1953 était un des prémices du déclenchement de la révolution, seulement 16 mois après, soit le 1er novembre 1954. Cet évènement douloureux continue de marquer à ce jour, les relations diplomatiques entre l’Algérie et la France.

Quel statut pour les victimes du massacre ?

La famille du martyr d’Abdellah Bacha, se souvient à ce jour de cet évènement malheureux, qui a marqué pour toujours tous ses membres. Moussa, son neveu, que nous avons rencontré récemment à Ivhalal, réitère la revendication d’un statut officiel de martyr pour l’ensemble des martyrs du 14 juillet 53 : «Je trouve navrant d’occulter toute une page d’histoire durant 64 ans sur des événements aussi tragiques, que ce soit en France ou en Algérie… La France a toujours fait en sorte de nier les faits, néanmoins, le 14 Juillet 1953 reste et restera une tache noire de son histoire. Il faut savoir que la répression féroce de la marche du 14 Juillet 1953, soit 16 mois seulement avant le déclenchement de la révolution, était le propulseur du déclenchement de la révolution, le premier novembre 1954. On ne peut pas occulter tous les événements et ne retenir que ceux qui datent durant la révolution (1954 – 1962), il y avait d’autres sacrifices avant le déclenchement de la révolution, à l’instar des massacres du 08 Mai 1945, ou encore des actions héroïques des Fadhma N’soumeur, de l’Emir Abdelkader, des cheikhs El-Heddad, El-Mokrani, des résistances populaires…», se désole notre interlocuteur qui n’a pas manqué d’interpeller les responsables de l’organisation nationale des moudjahidines ONM «Aujourd’hui, on veut savoir quel est le statut des victimes de la barbarie du 14 Juillet 1953 ? Puisque l’ONM leur réfute le statut de martyr sous prétexte qu’ils ont été assassiné avant le déclenchement de la révolution, la famille Bacha ne cherche ni médaille ni pension, mais une reconnaissance de la part de l’Etat pour que le sacrifice de Abdellah Bacha et des autres ne soit pas vain», a-t-il martelé.

«Les balles du 14 juillet 1953» un livre et un film documentaire contre l’oubli

Auteur du film documentaire et aussi du livre sur le massacre du 14 Juillet 1953 intitulé «Les balles du 14 Juillet», Daniel Kupterstein s’est donné beaucoup de mal pour rassembler les pièces du puzzle et faire la lumière sur un événement tragique, inconnu du grand public en France comme en Algérie. Ce massacre qui a eu lieu lors de la marche pacifique du 14 juillet 1953 à Paris des syndicalistes de la CGT ainsi que des militants du PCF et du MTLD, qui s’est soldée par la mort de sept manifestants : six algériens et un français, assassinés par la police et une soixantaine de blessés. Ce dernier a mené une véritable enquête d’investigation minutieuse et d’envergure en sillonnant plusieurs régions de l’Algérie et de la France à la rencontre de témoins et autres membres des familles des victimes. Daniel Kupterstein a du puiser des informations concoctées dans les journaux de l’époque, des archives, ainsi que les témoignages de survivants, les proches des victimes et les historiens. Le livre est paru le 4 mai 2017, alors que le film est projeté en France depuis le 6 juillet dernier.

M’hena A.

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