Le dernier coup de colère de la Coordination des aârchs de Tizi Ouzou contre les autorités de la wilaya, dont les termes sont consignés dans le communiqué de dimanche 5 mars, diffusé par cette organisation citoyenne, nous renvoie indubitablement à la guerre verbale qui avait opposé les deux parties pendant les journées incertaines qui ont succédé au Printemps noir de 2001, période pendant laquelle des citoyens lésés, agressés ou voulant simplement dénoncer le manque d’hygiène dans la cité, ont été déboutés par les autorités civiles et les services de sécurité pour leur montrer que le “réceptacle” où devaient être déposées et traitées leurs plaintes. Ce réceptacle n’était que le Théâtre Kateb-Yacine, siège d’infortune de la Coordination des aârchs. “Vous avez voulu instaurer une autre autorité en lieu et place des pouvoirs publics, eh bien, vous n’avez qu’à la solliciter pour qu’elle règle vos problèmes !” Telle était, en substance, le message à la fois moqueur et courroucé, des institutions publiques chargées de la sécurité des biens et des personnes, de l’hygiène et des autres tâches relevant de la gestion quotidienne de la cité. La situation quasi martiale de l’époque, opposant la population insurgée à toute forme d’autorité, peut expliquer certainement ce jeu absurde où le délire le dispute à l’esprit revanchard. Pour certaines institutions, la situation exceptionnelle qui prévalait en Kabylie renforçait chez elles sans doute le comportement d’irresponsabilité et de léthargie, tares pour lesquelles des pans entiers de notre administration ont des prédispositions presque congénitales. Il en va tout autrement en 2006. La Kabylie ayant retrouvé le calme et la sérénité, et des élections partielles ayant, nolens volens, légitimé certaines instances “mal élues” en 2002, il appartient, logiquement, à chaque partie de jouer le jeu de la légalité et de la loyauté. Sur ce point précis, l’organisation du Mouvement citoyen est tout à fait dans son rôle de vouloir interpeller les responsables de l’exécutif de wilaya et les élus sur ce qui, à ses yeux, prend les dimensions de “chaos”. Il en va aussi de sa crédibilité en tant qu’organe vital de ce que l’on désigne génériquement par le concept de “société civile”. Nous savons les limites objectives de cette catégorie politique sous nos latitudes, mais le pragmatisme commande de ne pas faire abstraction des potentialités et des énergies qui s’expriment ça et là pour servir de contrepoids à toute forme de dérive et de tentation absolutiste de l’administration.Le fin mot de la déclaration des aârchs est la pertinence et l’efficience de la gouvernance locale. Des griefs sont crûment exprimés à l’encontre du wali, des élus et d’autres responsables locaux dont la gestion aurait fait que “les prémices ayant été à l’origine des tragiques événements du Printemps noir, comme la “hogra”, la mal vie, le chômage, sont tangibles”.Le sous-développement économique et le désinvestissement qui caractérisent la Kabylie n’étant un secret pour personne, le gouvernement a essayé ces derniers mois, par le moyen de programmes conséquents, de combler ces retards économiques. Que l’exécution sur le terrain et le rythme de réalisation ne répondent pas aux normes exigées en la matière est tout à fait possible. C’est pour parer à ce genre d’impondérables, ou même de dérives — l’exemple de scandales et de détournements du foncier est à lui seul éloquent — que l’implication de la population, par le biais de ses représentants (associations, fondations, comités de village…), doit être requise.En tout cas, le cri lancé par les aârchs doit être pris au sérieux, non seulement parce qu’il émane d’une organisation qui s’est imposée sur le terrain depuis cinq ans, mais aussi parce que le sujet interpelle, au plus profond de leur conscience, citoyens, militants associatifs, responsables exécutifs et élus de la région.
Amar Naït Messaoud
