Souama, entre tradition et modernité

Partager

Il est un de ces villages de Kabylie où l’authenticité et la culture autochtone de cette région d’Algérie profonde sont bien ancrées. Ses hommes, ses femmes, les empreintes gravées sur chaque pierre de ses bâtisses ancestrales, de ses fontaines, de ses ruelles et de sa Tadjmaât témoignent de son histoire et de ses traditions, malgré un air de modernité qui a soufflé sur les lieux.

Souama, ce village appelé naguère Ath Bou Chaib, est situé à 55 km du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou. L’histoire de la création du village demeure un mystère qui suscite la polémique au sein même de sa population, quoique des histoires aient été héritées à travers les générations. La plus plausible d’entre elles stipule que le saint Sidi Belkacem Oudaoud, issu d’une région limitrophe, serait à l’origine de sa fondation. Il aurait «vu en rêve un village bâti à l’endroit même où se trouve actuellement le village. A son réveil, il ordonna à ses enfants, au nombre de 7, de se rendre immédiatement dans ce village pour le peupler et travailler ses terres. Et c’est son plus jeune fils qui prit à cœur d’exaucer son vœu», nous racontent des villageois. Aujourd’hui, la population locale l’appelle «Ben Daoud» (Ndlr le fils de Daoud). Son mausolée «est un lieu de pèlerinage pour des gens qui viennent lui témoigner reconnaissance et dévouement», nous dit-on encore. Cette histoire n’est qu’un mythe, auquel la population de la région reste néanmoins très attachée, en l’absence de preuves historiques et scientifiques, tranchant l’origine de la création de village et de son peuplement. Et l’on souligne par ailleurs que les célèbres archéologues, Si Amar Said Boulifa, en 1910, et avant lui Masqueray en 1882, ont marqué de leur passage cette région. Deux stèles à inscriptions libyques ont été découvertes suite à leurs fouilles. Cela démontre la dimension historique de la région, qui remonte à l’ancienne civilisation berbère. Les deux stèles de Souama sont actuellement au musée national des antiquités et des arts islamiques d’Alger. Le visiteur du village, pour s’imprégner de son histoire, n’a qu’à jeter un regard à l’autre bout de la rue principale, où des reproductions des deux stèles sont exposées au jardin public du village, inauguré à l’occasion de la Fête de l’indépendance, le 5 juillet dernier. A Souama, que ce soit dans l’organisation structurale du village ou dans sa gestion, la tradition et la modernité s’entremêlent. S’inspirant de l’organisation ancestrale «Tadjmaât», le village est actuellement géré par un comité de village, qui travaille selon le même principe d’antan, tout en s’adaptant aux besoins de l’époque et à la loi de la République. Les grandes décisions sont prises en assemblée générale, à chaque fois que la situation l’impose, à Tajmaât Bwadda, où se réunissent tous les habitants du village, évalués à 6 000 âmes. Ceux-ci sont répartis en dix groupes, dénommés Ikharven. La nécessité de ce découpage se ressent notamment lors des grandes occasions, comme la fête de l’Achoura.

Le saint Sidi Belkacem Oudaoud et Taâwit N Temghart, deux repères ancestraux.

En évoquant Tajmaât, il est utile de préciser qu’en Kabylie, ce terme est à double usage. Il désigne la structure sociale qui s’occupe des affaires des citoyens, appelé de nos jours le comité de village. L’autre définition désigne la place où se tiennent les assemblées du village ou là où se regroupent les hommes. Il leur est en effet exclusivement réservé, «sauf en cas de fêtes par exemple, car à Souama, les mariages, circoncisions et autres fêtes familiales se font à cet endroit-là à défaut d’espace chez soi», précise-t-on. Si Tajmaât Bwadda est la place la plus importante du village, deux autres existent néanmoins et marquent les limites de l’ancien village : Tajmaât Oufella et Tajmaât Bwegni. «Jadis, c’étaient des bâtisses en terre battue, aujourd’hui, elles sont en ciment. De même pour les vieilles maisons traditionnelles qui ont aussi pris aujourd’hui les couleurs de la modernité», a regretté un vieux villageois, visiblement très nostalgique. Il faut reconnaître aussi que le dernier Festival «Raconte-Arts» a laissé son empreinte dans le village. Il est difficile de ne pas remarquer les différentes fresques peintes sur les murs. Pour les habitants, c’est évident, «Souama a changé, il a évolué sur tous les plans». Mais un peu plus loin de l’entrée du village, le temps s’est comme suspendu. Là c’est l’ancien village. De vieilles bâtisses, séparées de petites ruelles parsemées de plusieurs fontaines, résistent au vent de la modernité. Jadis grouillant de ses habitants, le vieux village est depuis longtemps déserté. L’autre chose qui frappe le visiteur, c’est la richesse hydrique du village. Il recèle en effet plusieurs fontaines. «C’est une richesse naturelle qui constitue aujourd’hui encore la première source d’eau potable dans la région», nous a-t-on expliqué. «La plus célèbre fontaine du village c’est Taâwit N Temghart, dont la renommé dépasse le village. Elle a été construire en 1830 et rénovée en 2013», nous raconte un villageois. Celui-ci détaillera la liste des autres fontaines du village : «Nous avons aussi Tala L’Hed, Tansawt n-At-Amara, Abassan-B-elma, Bouguenoun, Tala-T-Semlal, Takhzant n-Tejmaat Bwada, Takhzent Bwegni, Tala N Lejdid, Thala Ouzaghar et Wanssala. Il y a aussi Tighla, Tala T Sutit, Tala Urharach, Tala Ughaled, Tala W Lili et Taâwit Tsekkurt».

L’histoire secrète des petites fenêtres de Tajmaât…

Une très grande richesse, «mal exploitée», déplorera une villageoise, qui faisait la chaîne avec une dizaine d’autres femmes du village à Taawit pour remplir un jerrican d’eau. Il paraît que leur calvaire commence dès 5h du matin, chaque jour, notamment depuis le début de la saison des chaleurs. «Le village souffre d’un grand problème d’eau. Celle-ci ne coule de nos robinets qu’une seule fois par semaine», regrettera encore la jeune femme. Par ailleurs, ce qui est frappant, c’est que la plupart des fontaines sont situées à proximité des Tajmaât. Un ancien président du comité nous explique : «Chaque Tajmaât possède en effet de petites fenêtres qui donnent sur les fontaines. L’objectif était de veiller à la sécurité des femmes et de protéger leur honneur, notamment du temps de la colonisation. Cela permet aussi aux hommes qui s’y réunissent d’avoir de l’eau à disposition, à condition bien sûr qu’il n’y ait pas de femmes à la fontaine». De retour à l’autre bout du village, la tradition laisse place à la modernité. Une grande enseigne aux couleurs nationales souhaite la bienvenue aux visiteurs. Elle y a été installée à l’occasion de la participation du village au concours du village le plus propre. Souama a eu, en 2014, le troisième prix. Le village étant le chef-lieu de la commune qui porte le même nom, il a bénéficié de quelques projets. Certain souffrent néanmoins d’une gestion «chaotique», se plaignent les villageois. Ils nous citent l’exemple de la polyclinique : «Avec ce nom pompeux, cette soi-disant polyclinique assure les même services d’urgence qu’un simple dispensaire», affirment-ils. Le maire de la localité l’a d’ailleurs déploré à maintes reprises : «La polyclinique de Souama n’est qu’une salle de soins avec de multiples problèmes. Il n’y a actuellement qu’un dentiste, un médecin et une sage-femme. L’établissement est ouvert de samedi à jeudi, mais il ferme dès 16h. Dans une polyclinique, il faut au moins un laboratoire et une véritable structure d’urgence», avait-il déclaré lors d’un entretien accordé à la Dépêche de Kabylie. Même l’ambulance arrachée par le comité du village a été affectée à un autre établissement, a-t-on appris des villageois qui qualifient le fait de «grave». Le problème de la santé en plus de celui de l’eau ne sont pas les seuls dont souffre la population. Celle-ci se plaint également de la quasi-inexistence du transport, qui fait que cette région est carrément isolée du monde extérieur, se plaignent les villageois : «La vie s’y arrête à 17h à peine, sauf pour ceux qui ont la chance d’être véhiculés», dit-on.

Lla Adidou, une accoucheuse, donneuse de vie

Situation qui désavantage les jeunes de la région, notamment sur le plan professionnel. Le chômage est en effet l’autre problème qui abat le moral des jeunes diplômés de la région. Le projet de la zone industrielle accordé à la région fut un certain temps une lueur d’espoir. Il n’aboutit malheureusement pas, «à cause d’un manque flagrant de volonté politique de la part des autorités», accusent les villageois. En quête d’opportunités de travail, les jeunes sont contraints de quitter le village. Pour ceux d’entre eux qui ont préféré y rester, ils n’ont pas d’autre choix que d’opter pour l’agriculture. En dépit de son relief accidenté, la région est en effet à vocation agricole. L’apiculture, notamment, est une activité pour laquelle la région est réputée, depuis la nuit des temps. Un grand nombre de familles en vivent, autant que de l’oléiculture d’ailleurs, particulièrement assumée par les femmes. Ces dernières ont beaucoup souffert dans le temps, comme partout en Kabylie du reste. Mais aujourd’hui, la condition féminine s’est beaucoup améliorée, explique une enseignante du village. «Avant, elles se contentaient de certaines activités qui leur étaient réservées, à la maison ou dans les champs… Mais ce n’est plus le cas actuellement. Les femmes ont accès aux études, elles travaillent à l’extérieur, mais elles ne dédaignent pas pour autant les activités agraires», dira encore notre interlocutrice. Souama était par ailleurs réputé pour ses femmes qui exerçaient le métier ancestral de qibla (accoucheuse traditionnelle). Aujourd’hui encore, des dizaines de femmes des villages limitrophes et de plus loin encore, viennent demander conseils à Lla Adidou, la dernière qibla du village. Souama, ce beau village à la population généreuse et accueillante, peine malheureusement à se développer. Ses habitants craignent qu’il ne sombre dans l’oubli. Ils espèrent en des jours meilleurs, en un vrai cap sur le développement. Cette région révolutionnaire le mérite bien.

Kamela Haddoum.

Partager