Révélations sur l’assassinat du jeune Ghiles

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Parti de Tizi-Ouzou pour passer quelques jours en Tunisie, Ghiles Fekrache, 27 ans, est revenu vendredi soir dans un cercueil. Il a été enterré avant-hier à Takaâts, dans la commune de Tizi-Rached, où il repose désormais à côté de son père.

Ni la famille de Ghiles ni ses amis ne comprennent ce qui s’est réellement passé, ce jour du 11 juillet 2017. Ce jour où Ghiles Fekrache devait entamer son séjour de vacances en Tunisie. Sa mère que nous avons rencontrée, vendredi, au domicile mortuaire, à la Haute-ville, quelques heures avant l’arrivée du corps, est inconsolable. Elle en veut à ceux qui ont tué son garçon unique qu’elle a élevé seule, avec ses deux sœurs, depuis le décès du père, alors que Ghiles n’avait que 8 ans. Mais Madame Fekrache en veut avec rage aux autorités, qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, notamment dans la représentation diplomatique en Tunisie. Selon elle, depuis la disparation de son fils, «aucune autorité n’a daigné lui porter aide ou assistance pour le retrouver».

Une disparition mystérieuse

Mardi 11 juillet 2017. Ghiles Fekrache, jeune commerçant ayant repris l’affaire de son père, décida de passer ses vacances en Tunisie. Il avait fait la réservation d’hôtel dans une agence de voyage de Tizi-Ouzou pour un séjour qui devait prendre fin le 19 du même mois. Il prend le départ, par route, à bord de sa voiture, une Audi A1 de couleur blanche, au milieu de la matinée de ce mardi-là. Seul, car «tous ses amis qu’il avait sollicités pour l’accompagner ont décliné pour divers motifs», raconte sa mère. Arrivé à Constantine, Ghiles fait un selfie qu’il partage avec son assistante au magasin de parapharmacie qu’il tient à Tizi-Ouzou, avant de reprendre la route. Pendant ce temps, sa maman est restée confiante car «Ghiles a l’habitude de faire des voyages, notamment ici en Algérie, donc, je n’avais pas de craintes pour lui, bien que nous ayons convenu qu’il m’appellerait dès son arrivée au poste frontière». Mais Ghiles n’a jamais appelé. La maman ne s’inquiète pas pour autant, pensant que son fils n’avait pas activé l’option «rooming» lui permettant d’entrer en contact avec ses proches en Algérie à partir du territoire tunisien. Entre temps, un ami à lui, qui se trouve à Tunis pour un stage en hôtellerie et à qui Ghiles devait remettre 100 euros de la part de ses parents, l’attendait. L’attente s’éternise. Et ce n’est qu’au troisième jour que l’inquiétude commença à s’installer : où est passé Ghiles Fekrache ? Des informations contradictoires et souvent sans aucune preuve, pleuvent dès lors sur la famille à Tizi-Ouzou. «Tantôt on me disait qu’il était à Hammamet, tantôt qu’il avait été arrêté par la police et emprisonné, et tantôt on m’expliquait qu’il avait eu un accident et qu’il était hospitalisé», nous dit la mère meurtrie. «Même au ministère des Affaires étrangères, que j’ai sollicité lors de mon déplacement à Alger munie de sa photo et de son extrait de naissance, tel qu’il m’a été demandé, aucune information fiable ne m’a été fournie», poursuit-elle. «L’unique réponse que j’ai eue au téléphone, quatre jours après mon déplacement à Alger, était que mon fils a eu un accident grave pour excès de vitesse !». La date de retour prévue est largement dépassée. La famille, les voisins et les amis de Ghiles sont gagnés par l’inquiétude. Et c’est là qu’un groupe de jeunes de son quartier décida de faire le déplacement vers la Tunisie pour le chercher. «J’ai fait une demande pour le passeport d’urgence qui m’a été délivré en 24 heures, mais le jour où j’ai décidé de prendre le départ et aller chercher moi-même mon fils, ses copains sont venus me voir pour me dissuader de le faire, car ils avaient tout préparé pour partir le jour même», relate encore la mère de la victime.

Un assassinat et des interrogations

Mercredi 2 août, un groupe de jeunes de son quartier prend donc la route vers la Tunisie dans l’espoir de retrouver la trace de leur copain. Ils prennent soin d’établir des contacts en territoire tunisien via leurs connaissances dans les wilayas de l’Est du pays. Des fixeurs et des guides se sont mobilisés pour cette opération de recherche. «Quand nous sommes arrivés à Tunis, à l’aube du jeudi 3 août, nous avons rencontré des personnes au courant du sort réservé à plusieurs Algériens qui partent par route vers ce pays voisin», nous dira Reda Iratni, l’un des jeunes du quartier qui a fait le voyage. «Les Tunisiens qui nous servaient de guides nous ont emmenés d’abord vers l’hôpital Charles Nicolle de Tunis. Nous avons dû attendre 7h du matin pour pouvoir accéder à la morgue. Il y avait dans cette morgue plusieurs corps d’Algériens non encore réclamés par les leurs, mais celui de Ghiles n’y était pas», dira Reda. Celui-ci ajoute que leurs guides ont alors suggéré d’aller à la police qui les a orientés vers l’hôpital de Badja, à une trentaine de kilomètres des frontières tuniso-algériennes. «Nous avons dû faire le chemin inverse, vers la commune de Badja. Nous nous sommes directement dirigés vers l’hôpital où nous avons découvert le corps de Ghiles gardé à la morgue», relate encore Reda avec beaucoup d’émotions. «Tout d’abord, je ne l’ai pas reconnu, car son visage était déformé. J’ai alors demandé à voir ses genoux, car sa maman m’a expliqué que son fils portait deux tatouages d’étoiles sur cette partie de son corps. En effet, j’ai reconnu Ghiles grâce à ses tatouages, et là nous avons décidé d’aller à la gendarmerie de cette ville», poursuit-il. A la brigade de Gendarmerie, Reda et ses amis ont été reçus par le brigadier en chef qui leur a raconté que Ghiles a été assassiné par plusieurs coups de couteaux à moins de 30 km des frontières. Le gendarme informe aussi les jeunes qu’un chauffeur-routier algérien a vu toute la scène du crime et qu’il aurait tenté de porter secours à Ghiles, en vain, car il était menacé à son tour par les deux tueurs. Les deux assassins, après que leur victime s’est effondrée sur le sol, lui sont passés sur le corps avec la voiture, avant de disparaître. Deux tueurs dont personne ne connait l’identité. «D’après le témoignage du chauffeur-routier, les deux assassins étaient avec Ghiles dans la voiture. Se sentant menacé, Ghiles aurait lancé des appels au secours en allumant les feux arrières, puis en criant à travers la fenêtre de sa voiture «ils me tuent, ils me tuent !». Reda poursuit son récit en nous indiquant que la Gendarmerie de Badja leur a fait visionner la vidéo prise lors de la levée du corps des lieux de l’assassinat. «Le brigadier m’a remis le cabas contenant tous les effets de Ghiles, sa paire de chaussures sport et l’argent en devise que les gendarmes ont retrouvé dans sa poche. Mais la voiture et les documents de celle-ci ainsi que les documents personnels de Ghiles ont disparu», précise encore Reda qui s’interroge, au même titre que la famille du jeune garçon, sur l’identité et les motivations des assassins. La famille de Ghiles reste persuadée que «les réponses à ces questions ne pourront être apportées par les services de sécurité ni par les autorités algériennes».

Mohand-Arezki Temmar

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