«L’extraction du sable a anéanti les forages»

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La crise d’eau est plus que d’actualité dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Le barrage de Taksebt a atteint son plus bas niveau, au moment où 67 forages de la wilaya sont à l’abandon. Une situation «critique» qu’explique dans cet entretien M. Berzoug, directeur de l’ADE de la wilaya de Tizi-Ouzou.

La Dépêche de Kabylie : Peut-on avoir un aperçu sur la situation des forages dans la wilaya de Tizi-Ouzou ?

M. Berzoug : À vrai dire, la situation et un peu délicate. Sur les 187 forages que compte la wilaya, seuls 120 sont fonctionnels, alors que 67 sont pratiquement perdus, dont 40 forages sont complètement à l’arrêt et inexploitables suite à l’extraction du sable. Il n’y a plus de nappe. On se retrouve démunis de 40 forages au niveau de champ de captage de l’Oued Sébaou. Les 27 forages restants nécessitent des moyens pour la remise en service.

Qu’est-ce qui a fait que la situation des forages atteigne ce stade de dégradation ?

C’est l’action humaine, la quête de l’argent a atteint le Sébaou, sans mesurer les conséquences de nos actions. On a détruit ce qui a été construit pendant plusieurs années.

Combien de mètres cubes d’eau perdus à cause de l’abandon de ces forages ?

Le forage fait entre 10 et 20 litres/second. Donc, le débit est très important. C’est carrément la nappe. La couche alluviale est perdue. Nous somme en train d’accentuer le problème par la pollution de l’Oued. C’est devenu un dépotoir. Il y a même ceux qui y jettent leurs déchets ménagers. Au niveau du Sébaou, aujourd’hui on se dirige droit vers une catastrophe écologique.

Quel est votre rôle et celui des pouvoirs publics dans tout ça ?

Le directeur de l’hydraulique l’avait dit, chaque jour on fait de notre mieux. On dépose des plaintes, après, la question qui se pose réellement c’est celle du suivi. Est-ce que ça suit, ça ne suit pas ? C’est une responsabilité commune, on est tous concernés. Le mal est fait et on le voit tous, seulement que peut-on faire en tant que citoyens, ou pouvoirs publics. Il faut prendre conscience du danger et arrêter ce massacre.

La wilaya de Tizi-Ouzou vit cette crise d’eau depuis des années. Que peut-on faire pour remédier à cela ?

La crise est toujours là. Comme vous pouvez le constater, les conditions climatiques sont catastrophiques. Il n’a pas plu depuis longtemps !

Il y a aussi l’inexploitation de ces forages non ?

Si on avait préservé le Sébaou, on aurait pu éviter la crise de l’eau. Mais il faudrait toutefois signaler que même les forages exploités, avec ce temps, ils ont desséché. C’est le cas des forages de Bouzeguène, Boubhir par exemple. On doit attendre le renouvellement de la nappe.

En plus du problème des forages, le barrage de Taksebt a atteint un niveau critique. Comment doit-on gérer la situation sachant que le problème persiste ?

En ce moment, le barrage a atteint son plus bas niveau. Il ne dépasse pas les 35%. À présent, on est en train de l’exploiter correctement, mais si jamais la situation perdure, on va vers la catastrophe. Le barrage actuellement ne dessert que les wilayas de Tizi-Ouzou et Boumerdès.

Quelles sont les mesures à prendre pour éviter la catastrophe ?

C’est le retour vers l’eau de sources (fontaines), on va rationner aussi. La réalité est qu’on ne peut compter que sur la pluie. C’est notre salue. Cette année est exceptionnelle, il n’y a pas eu de pluie. Ça dure à vrai dire depuis trois ans, seulement cette année la situation est plus grave. On a encore des points noirs au niveau de la wilaya, des localités qui sont plus touchées par rapport à d’autres. On citera Bouzeguène, Mekla, Souamaa… Dans ce dernier cas, le problème est la nappe qui a été épuisée au niveau du forage d’Aït Khelili. On a même les agriculteurs dans cette région qui détruisent la conduite de refoulement pour l’irrigation de leurs champs. C’est dire à quel point l’homme est responsable. Au niveau des villages, c’est à la population de préserver les installations faites par l’État, à savoir les installations, réservoirs, conduites forages… Même les équipes de l’ADE au niveau de ces communes sont issues de la population locale. On doit arrêter de parler la langue du bois, on doit se dire les vérités telles qu’elles sont.

Vous avez déclaré à maintes reprises que la crise d’eau à Tizi-Ouzou est due à un problème de gestion et non à un manque de ressources. Aujourd’hui, on constate à la lumière de ce qui a été avancé que même le problème de ressources se pose. Qu’en dites-vous ?

Le niveau de production dans la wilaya reste le même. On est en train de tourner entre 250 000 et 300 000 mètres cubes. Seulement, le problème de gestion reste posé.

C’est-à-dire ?

L’ADE ne peut pas gérer plus de 1 500 villages. Nos effectifs sont très réduits. Il y a aussi le prix de l’eau qui est dérisoire. Il y a 270 000 abonnés et le service est pratiquement gratuit. On produit le mètre cube à 45 DA et il est vendu à 18 DA. Le prix est administré et subventionné, mais à ce niveau, on ne peut avoir un équilibre financier. C’est ce qui plonge notre unité dans une situation délicate. On a aussi le problème des équipements usés. En Kabylie, il faut savoir qu’il y a 82 systèmes de refoulement, dont la majorité est réalisée il y a plus de 35 ans. Nous intervenons pour réparer et essayer d’améliorer la situation. Actuellement, au niveau du ministère, il y a une réflexion qui est en train de se faire pour réorganiser l’unité de Tizi-Ouzou et voir comment mettre les moyens au niveau des centres de distribution pour améliorer la prestation. Le fichier gaz dans la wilaya de Tizi-Ouzou est nouveau, mais il y a plus de nombre d’abonnés gaz que le nombre d’abonnés eau ! Ce n’est pas normal. La responsabilité est partagée. La population n’accorde pas d’importance à l’eau. Il y a le picage, le piratage, le vol…

Entretien réalisé par Kamela Haddoum.

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