“Le 19 mars 1962 marque la fin de toute une époque”

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Djoudi Attoumi est militant du MTLD dès 1953. Il rejoint le maquis en 1956, juste après le congrès de la Soummam et est affecté directement au PC de la wilaya III. Il assume plusieurs responsabilités au sein de l’ALN et du FLN. En 1961, il est promu officier par le colonel Si Mohand Oulhadj et affecté dans la vallée de la Soummam dévastée par l’opération “Jumelles”. Il accomplit son devoir jusqu’à la fin de la guerre, le 19 mars 1962. Il fut alors nommé membre de la sous-commission locale de cessez-le-feu, composée à égalité d’officiers de l’ALN et d’officier de l’armée française, pour veiller à l’application des accords d’Evian. Le moudjahid Attoumi est aussi auteur de deux livres, à savoir “Avoir 20 ans dans les maquis” et “Le colonel Amirouche, entre légende et Histoire”.Rencontré dans la ville de Béjaïa, M. Attoumi a bien voulu nous parler du 19 mars 1962, une date qui symbolise la fin de la guerre après 2 798 jours de lutte contre l’occupation française.

La Dépêche de Kabylie : Quelle image pouvez-vous donner aux nouvelles générations au sujet du 19 mars 1962 ?Attoumi : Le 19 mars est une journée inoubliable qui marque la fin d’une époque de l’occupation française, qui a duré 130 ans. Les jeunes se doivent de ne pas oublier cette époque qui a marqué les pages sombres de l’histoire de notre pays. Ils se doivent de recevoir le flambeau de la lutte afin que les fondements de la Révolution se perpétuent et que les sacrifices de tous ceux qui sont morts ne soient pas oubliés. Je pense qu’il faut avoir confiance en cette génération. Depuis l’occupation française en 1830, chaque génération avait son combat. Il y a eu plusieurs dizaines de révoltes. Et le déclenchement du 1er novembre 1954 a été la 36e insurrection. Celle de novembre a réussi, car il y a eu concertation et accord de toutes les tendances et une maturité de l’aspect nationaliste des Algériens. La jeunesse doit continuer le combat et préserver tous les acquis de la guerre de Libération.

En tant qu’officier au sein du FLN et de l’ALN, comment avez-vous vécu la journée du 19 mars 1962 ?La journée du 19 mars a été pour nous une renaissance. C’était un grand jour. Soudainement, la guerre était terminée, les larmes se sont taries, les douleurs se sont tues, les sacrifices se sont estompés. La fin de la guerre, c’est quelque chose d’inoubliable, qui restera éternellement en nous. Ce jour représente la fin d’une époque coloniale et la victoire de la lutte algérienne.

Avant le 19 mars, là où vous étiez sur le terrain, y a-t-il eu des contacts avec l’armée française ?Selon la charte de la Soummam, personne n’avait le droit d’avoir des contacts avec l’armée française. Seuls le CCE et le GPRA avaient compétence pour contacter et négocier avec l’ennemi. Nous n’avons jamais eu de contacts mais nous avons bien suivi les négociations depuis 1961. Nous savions et nous attendions l’aboutissement de ces négociations. La veille, le 18 mars au soir, nous avons entendu à la radio un message du GPRA. Je crois que c’était Krim Belkacem —pour nous annoncer que le cessez-le-feu sera effectif le 19 mars 1962, à midi.Et pour les Français, que représentait le 19 mars 1962 ? Pour les Français, c’était la panique. Ils ont joué une carte, ils l’ont perdue. Ils ont perdu tous les atouts. Le FLN a toujours essayé d’attirer les Français d’Algérie et les faire contribuer à la guerre de libération, ne serait-ce que symboliquement. Il y en a qui l’ont fait, mais nombreux sont ceux qui ont tourné le dos au FLN. Pire encore, ils ont collaboré avec l’armée française, après la création des unités territoriales, sous forme de milices composées de Français d’Algérie. Ce jour-là, on est arrivé au fameux dicton qui disait pendant la guerre : “Les Français d’Algérie doivent choisir : la valise ou le cercueil”. Ceux qui ont survécu ont choisi la valise.

Et les harkis, comment l’ont-il vécu ?Les soldats français ont abandonné la plupart des harkis dans les bases militaires où ils étaient. Lorsque les militaires français étaient en train de partir, les harkis s’accrochaient aux camions en suppliant et les soldats leur piétinaient les mains pour les faire tomber. Ceux (les harkis qui ont commis des crimes ont été lapidés et tués. C’était le verdict populaire.

Vous avez été aussi membre dans une sous-commission de l’application des accords d’Evian ?Chaque partie était appelée à faire respecter les clauses des accords d’Evian. Pour cela il y a eu des commissions mixtes locales de cessez-le feu, en plus de la commission nationale. Notre commission local s’intéressait aux départements de Sétif, Béjaïa, Bordj Bou Arreridj, M’sila, Bouira et Tizi Ouzou. Ces commissions étaient composées à égalité entre officiers de l’armée française et de l’ALN. J’en étais membre avec Ben Moufouk Mouloud, Aïssani Amar, dit Amirouche, Si Ouali, Boubkeur Hadj Ali, le commandant Saïd Harbouche la commission a été présidée par ce dernier. On s’est réuni près de 3 ou 4 fois. Pour nous réunir, on a choisi la ferme Hamimi, à Tazmalt. Lorsque la Jeep transportant les officiers français est arrivée, nous étions dans l’embarras : nous nous demandions s’il fallait leur toucher la main ou non. Nous ignorions ce que voulait dire le protocole. On s’est juste salué militairement. A la deuxième réunion, il y a eu des problèmes. Ils reprochaient à l’ALN d’exécuter des traîtres, alors que c’était la vengeance populaire, et nous, nous n’étions pas responsables.

Dans les réunions, vous parliez de quoi avec les Français ?Nous avons débattu du respect de l’application des accords d’Evian. Parmi les points, il y avait le problème de circulation aussi bien des combattants de l’ALN que de l’armée française. Ceux de l’ALN, devaient rester sur leur positions mais, en civil, ils pouvaient circuler librement. L’armée française devait elle, aussi, se cantonner dans ses postes militaires et ne pas faire de la provocation et aussi, veiller à l’ordre public.

A qui revenait cette tâche ?L’ordre public revenait aussi bien à l’ALN qu’à l’armée française. L’objectif était qu’il ne fallait pas troubler la paix et la tranquillité des citoyens.

Et pour conclure … ?Je dirais aux nouvelles générations que la notre a contribué à la victoire contre l’ennemi. Il ne faut pas désespérer. Depuis 1830 chaque génération a eu sa révolte. Celle de 1954 est celle qui a abouti positivement à l’indépendance de l’Algérie. Les générations doivent recevoir le flambeau et se soucier de l’avenir de l’Algérie, elle qui demeure très chère dans notre chair, nos cœurs et nos mémoires.

Entretien réalisé par Mourad Hammami

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