«L’amendement proposé est mal approprié»

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Dans cet entretien, Dr. Saïd Khelil revient sur le supposé rejet par les députés de l’amendement portant généralisation de l’enseignement de la langue amazighe et son caractère «inapproprié», comme il exprime sa réaction face aux manifestations de rue des collégiens, lycéens et étudiants des wilayas de Tizi-Ouzou, Béjaïa et Bouira.

La Dépêche de Kabylie : La proposition de loi de la députée du PT pour «l’enseignement obligatoire et progressif» de tamazight dans les écoles algériennes, rejetée par la commission juridique de l’APN, a fait sortir les collégiens, lycéens et étudiants dans la rue. N’y a-t-il pas comme un goût de manipulation ?

Saïd Khelil : Tout d’abord, l’amendement de loi proposé par la députée Nadia Chouitem est mal approprié. Ce dont nous avons besoin, c’est qu’il y ait une proposition d’une loi organique à même de pouvoir promulguer des décrets d’application de ce que la dernière révision de la Constitution a apporté en termes d’officialisation de tamazight comme langue nationale. Ceci pour répondre sur le fond de la question à l’origine des manifestations de nos collégiens, lycéens et étudiants. Pour ce qui est de la forme, je dois d’abord exprimer ma réjouissance, en ma qualité de militant de la cause berbère dans les années 1970 et 1980, de voir la nouvelle génération porter à bras le corps la revendication identitaire. La relève est donc assurée. Personne ne pourra, de ce fait, marchander sur le dos d’une des questions les plus cruciales de l’Algérie. Toutefois, je dois dire à ces élèves, notamment les lycéens, de ne pas tomber dans la manipulation, car il y va en premier lieu de leur avenir scolaire. Ces lycéens et collégiens doivent garder cette très bonne dynamique qui fait de notre wilaya la meilleure sur le plan des résultats scolaires. Pareil pour ceux de Béjaïa et de Bouira qui, eux aussi, sont sur une lancée honorable. Il serait regrettable que cette grève des lycéens et collégiens soit le fait d’une manipulation, si manipulation existe réellement, car il est du devoir de tout un chacun, et au-delà de ses convictions politiques, de préserver nos enfants de toute manipulation ou marchandage qui ne serviraient aucunement leur intérêt ni leur avenir.

D’aucuns parmi les partis politiques, notamment le FFS et le RCD, sont convaincus qu’il y a manipulation derrière la manifestation des collégiens, lycéens et étudiants de la Kabylie…

Je le dis et je le répète, les manifestations des élèves sont en soi l’expression d’une prise de conscience de nos jeunes. Elle prouve que la relève dans le combat identitaire est assurée, et cela me réjouit. C’est une des formes d’expression des libertés et de la démocratie. Mais gare à ceux qui, pour des intentions inavouées, seraient derrière cette belle dynamique car elle va se retourner contre eux. Quant aux partis politiques que vous venez de citer, ils auraient mieux fait d’anticiper ces événements en jouant leur rôle au sein de l’APN. Qu’est-ce qui les empêchait de proposer un projet de loi organique portant l’application de l’officialisation de tamazight ? Rien, si ce n’est de rester cloitrés dans leurs calculs partisans desquels ils ne veulent pas se libérer. En quoi le PT ou sa députée sont-ils mieux positionnés pour prendre le devant sur cette question ? Mme Chouitem a profité de l’asthénie de ces deux partis sur la revendication identitaire et a bien saisi l’occasion. Bien que, comme je l’ai dit, l’amendement proposé par Mme Chouitem soit inapproprié. Aux députés du RCD et du FFS de faire maintenant mieux, s’ils veulent prouver qu’ils tiennent toujours à la revendication identitaire et à la promotion de tamazight. S’ils veulent par ailleurs prouver le caractère politicien de l’initiative du PT ou que celle-ci serait truffée d’arrière-pensées, ils n’ont qu’à faire mieux !

En quoi l’amendement de Mme Chouitem est-il inapproprié ?

La conjoncture du vote sur la loi de finances n’était pas la bonne occasion pour mettre la question de tamazight sur la table de l’APN. La députée du PT a certes visé d’obtenir la budgétisation de la prise en charge de l’enseignement de tamazight et de sa généralisation, mais ce n’est pas uniquement de cela que tamazight a besoin. Je n’irai pas jusqu’à qualifier l’initiative de cette députée de manipulation ou de coup de publicité politique. Néanmoins, j’insiste sur le fait que sa proposition ne correspond pas à ce que les militants de la cause berbère et la population de la Kabylie attendent réellement de nos députés, à savoir de s’unir et de s’entendre sur la nécessité de passer du stade de constitutionnalisation de notre langue à celui de sa promotion et son application sur le terrain, dans toutes les institutions de la République, et pas que dans l’enseignement.

Entretien réalisé par M. A. Temmar

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