Les ports d’Azeffoun et de Tigzirt saturés avant leur réception

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Par Djaffar Chilab

Le secteur de la pêche a eu certes son autonomie depuis peu, avec la création d’un ministère spécifique à la veille de l’an 2000, mais l’exploitation maritime est une activité qui s’est bien enracinée sur les côtes nationales, kabyles notamment. Pour preuve têtue : le port d’Azeffoun dont on parlait il y a de cela près de vingt ans. A voir le cheminement de l’évolution de son histoire, c’en est une, son évocation convoque machinalement à l’esprit d’un Kabyle les interminables feuilletons égyptiens que l’Unique lui servait dans le temps à satiété. Ou mazal ! Le port d’Azeffoun n’est pas arrivé à son épilogue non plus. 20 ans après ya boureb ! Il y a de quoi lui adapter même la chanson renommée de Ferhat où il évoque ce chiffre fétiche…

Le port d’Azeffoun ou ce feuilleton égyptien de…20 ansJeudi dernier, milieu d’après-midi. La ville d’Azeffoun était enveloppée de son habituelle brume marine en ces temps printaniers. Le climat hivernal dessert encore de ses beaux restes chatoyants la localité. Les habitués des lieux n’y font pas trop attention. Du côté du port, sur le quai, les marins-pêcheurs s’apprêtent à faire leur sortie en mer. Pas le temps de trop converser. Les moteurs des embarcations ronronnent. « On n’a pas de boulot de rechange, et puis on aime ça. La mer, la pêche c’est une passion, un mal dont on ne guérit jamais », nous balançait ce jeune qui enfilait sa combinaison à bord d’un chalutier. Visiblement las des tracas bureaucratiques, il dira qu’il n’attend plus rien de l’Etat, mais plutôt de Dieu. « Pourvu que le temps ne se gâte pas, le reste on n’espère plus rien. Ils se partagent tout entre eux, dans les salons. Qu’ils s’amènent un jour ici pour voir, vivre et affronter la mer ». L’anonyme n’en dira pas plus. Les trois bateaux quittent le port en file indienne, telle un cortège en route pour chercher la mariée. Sur le quai, des bambins s’adonnent à leur sport favori : le foot. Il ne faut surtout pas s’étonner comment ils se sont retrouvés là. L’accès est très libre. Sur place vous pouvez tomber sur des petits pêcheurs à l’hameçon, embusqués tout le long de la haie de protection, des amateurs de vin à l’air marin, comme sur des familles simplement de passage, histoire de mettre les pieds sur le quai et approcher les petits bateaux accostés.

El Raïs, un retraité amoureux de la merUn peu en retrait des caresses de la mer plate qui par moments se fait entendre avec ses vagues mesurées, venant s’écraser en alternance sans grand fracas, sur les bords du quai, dans sa loge, la toute dernière de la file, le vieux Saïd Rami travaille son filet à pêche. Il est en compagnie de ses enfants de différents âges. Ils l’appellent tous El Raïs. Au sein du foyer des Rami, la passion de la pêche est inculquée avec les valeurs morales. C’est plus qu’une tradition. Même Amar, l’intellectuel de la famille, cadre à la wilaya de Bejaia est atteint par le syndrome. El Raïs a eu son livret professionnel en 1949. Depuis, tel cet amoureux qui survit d’amour et d’eau fraîche, il n’a jamais possédé une barque dépassant les 5 mètres. Il n’a même pas bénéficié des 30 millions d’aide. « On m’a refusé l’aide prétextant que je ne pouvais avoir droit parce que je suis retraité. Et pourtant je suis toujours là. C’est mon univers. Ils les ont donnés à d’autres, qui n’ont aucun rapport avec la mer. A Alger, des gens dans la même situation ont en eu droit. Ce n’est pas normal. Toutes ces loges du port, la majorité est occupée par des non résidants. Les gens de Azeffoun n’ont eu que des miettes, et pourtant c’est un port de Tizi Ouzou mais c’est Bejaia qui commande ici ». Un de ses fils qui a postulé plusieurs fois à une éventuelle aide n’a jamais eu d’échos rassurant non plus. Amar, le fils « intello » du Rais est un ex-élu à l’APC d’Azeffoun. Il est bien informé pour en parler : « Le dossier a été mal géré dès le départ. Lors de la répartition des loges du port il y a de cela 2 ou 3 ans, je ne me rappelle plus s’il y en avait exactement 48 ou 54, on nous avait invité en tant qu’assemblée pour être présents. En fin de compte, ils ont tout fait entre eux à leur manière. Et forcément ça a fait jaser. Des gens d’Azeffoun ont été marginalisés alors qu’on a fait profiter d’autres, venus d’ailleurs à qui on a établi des résidences pour camoufler. On a fait la répartition à l’algérienne. Le problème, c’est que même dans les décisions qui ont suivi, on n’a pas jugé utile d’associer les professionnels du métier et voilà où ça a mené. Le port n’est toujours pas achevé, à part l’extérieur qui est, disons, fini, le dragage reste un grand chantier. Aucun de ces pêcheurs n’a une autorisation d’accoster. Si d’ici demain un bateau s’abîme en plein port en cas de mauvais temps, personne ne sera remboursé, il n’y a aucune autorisation de quai. Tout est provisoire. C’est un grand chantier en souffrance depuis 1989, et bientôt on sera en 2009. Normalement il était prévu un port mixte qui pourrait accueillir au minimum deux bateaux de 3000 tonnes. Mais pour voir ces bateaux rentrer, il faut certainement attendre encore et encore ».

Deux bateaux gisent au fond depuis des annéesLe plus troublant et intriguant, c’est cette histoire de deux embarcations noyées presque accostées au quai, tel ce mort allongé les yeux ouverts qu’on croirait juste endormi. Alors, on ne l’ignore pas mais on évite de le déranger. Mais là il est question de deux bateaux qui ont vraiment coûté tant de millions, sans doute ramenés de l’étranger. Etaient-ils destinés à être « enterrés » à Azeffoun ? A qui appartiennent-ils ? Qui est responsable d’une telle situation ? Ce sont là des questions qui cherchent des réponses. Vraisemblablement nos interlocuteurs en savent des choses mais c’est juste s’ils consentent à révéler qu’il s’agit d’embarcations « de 6 et de 7 mètres 50. Je pense qu’elles ont été acquises dans le cadre du fonds d’aide international. Ce sont des barques qui sont au fond depuis des années. Près de 10 ans et personne n’est jamais venu s’enquérir ni chercher à les repêcher. Et pourtant ce n’est pas profond d’ailleurs on les voit lorsque les eaux ne sont pas troublées ». Leurs propriétaires ? « Ils ont disparu dans la nature. Mais normalement ceux qui sont derrière ces acqusitions doivent chercher après. C’est l’Etat, il ne doit pas rester sans rien faire. Il faut demander des comptes aux responsables. Au moins qu’on les fasse remonter à la surface, procéder à leur vente aux enchères s’il n’y a personne pour les réclamer. C’est sûr que c’est l’argent d’une banque qui gît au fond mais on n’a vu personne venir pour chercher. Il faut qu’il y ait des suites sur ces dossiers. Mais il m’y a rien eu depuis. Maintenant, les épaves sont presque abîmées ».

A Tigzirt, les engins maîtres des lieuxDe Azeffoun à Tigzirt, la desserte sur la côte est agréable même si à certains nivaux, la route est affectée. Le paysage féerique qui s’offre à la vue compense tout. Le tableau est merveilleux à contempler, l’air est pur. L’esprit se lâche presque instinctivement. On se surprend alors à rêver d’un cabriolet, et d’une décapotable…aux cheveux longs et lisses. Mais c’est juste un rêve qui ne dure pas d’ailleurs. Au fil des kilomètres, la route presque déserte ravive les appréhensions. Sait-on jamais.A défaut d’un vrai barrage rassurant…un hérisson traversant la chaussée peut s’improviser maître de la route. Sur ce tronçon on…pêche aussi. En attendant que l’activité soit réglementée au niveau du port en chantier. Sur place, de nombreux gros camions se faufilent entre des tas de cubes immenses en béton. Le port de Tigzirt est en chantier. Ici les engins sont encore maîtres des lieux. Théoriquement la réception de l’enceinte est prévue pour juin prochain. Mais au vu du stade atteint par les travaux ce n’est pas du tout une chose évidente. La population locale ne se veut pas du tout exigeante. Elle espère juste ne pas égaler le record d’Azeffoun.

D.C.

Le secteur dans la wilaya par les chiffres

Longueur de la côte : 85 kilomètresLe potentiel halieutique : 26 T (12 000T de poissons bleus et 14 000T de blancs)Ferme aquacole : A Draâ El Mizan, Ain Zaouia, M’lata (réception prévue pour juin 2006) et à Sidi Khaled, Capacité d’accueil du port d’Azeffoun : 5 chalutiers, 15 sardiniers, et 30 petits métiers.Capacité d’accueil du port de Tigzirt : 2 chalutiers, 5 sardiniers, et 24 PM (Pas encore en service)Flottille de pêche immatriculée : 2 chalutiers, 12 sardiniers, et 165 PM.Collectif marin : 102 patrons, 16 mécaniciens, 143 marins.La production halieutique : 279,5 T de poissons démersaux, 761,8 de petits pélagiques, 146 de grands pélagiques, 15,3 de requins et squales, 214,5 de crustacés, et 13,4 de mollusques.Nombre de barrages : 5 unités (4 mis en exploitation).Retenues collinaires : 83 unités.Nombre de projets subventionnés : 29 investissements (22 projets à Azeffoun, et 13 à Tigzirt) dont 19 opérationnels pour un coût global de 1 554 569 930 DA. (Un investissement peut comporter plusieurs projets)Montant des subventions : 673 894 642 DA (664 931 874 DA pour Azeffoun, et 8 962 768 DA pour Tigzirt).

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