La nature s’acharne sur des souffre-douleur

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De notre envoyé spécial Mohamed Bessa.

A Laalam, on se rend véritablement par monts et par vaux. Quand on y arrive par une route crevassée faite d’interminables montées, de brusques descentes et de virages en épingles, on s’étonne d’abord de ce que le compteur de la voiture indique qu’on avait seulement parcouru vingt kilomètres depuis Souk-El-Tennine, localité balnéaire bien connue du littoral Est de la wilaya de Béjaïa.Dans l’enchevêtrement de quelques mamelons, on découvre enfin ce Laalam dont on a presque désespéré de l’existence. En fait de village, une constellation de maisonnettes plantées au gré des atténuations d’un relief accidenté mais verdoyant. Ici d’ailleurs, on ne parvient pas à nous expliquer ce que recouvre exactement cette toponymie. Là où nous croyons à la continuité, les gens, nombreux qui s’offrent à être nos guides, en nous créditant visiblement de pouvoirs que nous n’avons malheureusement pas, nous désignent des endroits qui s’appellerait Ait Djamaa, Niqab, Zentout, etc. Nous sommes ici pratiquement à l’exact point d’intersection des limites territoriales des wilayas de Béjaïa, Sétif et Jijel. Comme par un sinistre défi, c’est là que la nature a logé l’épicentre d’un séisme de 5.8° de magnitude ayant été ressenti, lundi peu avant 21 heures, dans toutes les localités alentour. Et jusqu’à des zones aussi éloignées que Sidi Aich en passant par Béjaïa et Tichy et, dans l’autre direction, à Kherratta et dans le Sétifois. C’est parmi ces conglomérats de maisons, style ancestral en majorité, qu’a eu à frapper avec, comme nulle part ailleurs, le séisme. La terre a brusquement tremblée tirant de leurs torpeurs tous les habitants. Les éboulements de pierres depuis le mont du Niqab de la chaîne des Babords ajoutent leur effet assourdissant à l’effroi général. Les vieilles chaumières faites de pierres et cimentées de terre ne résisteront pas. On dénombre une trentaine de masures écroulées là où ont dignement résisté les maisons érigées selon un semblant d’ingénierie actuelle. Fait exceptionnel, le logement d’astreinte érigé en accompagnement du nouveau CEM inauguré à la rentrée de septembre passé, fait voir d’aussi inattendues que suspectes lézardes. Plongés dans les révisions, trois des enfants Boufkhed n’ont pas le temps de se retourner que déjà ils sont ensevelis sous les décombres de la chambre, coiffée de tôle ondulée, que le père avait hâtivement adossé, sans doute pour atténuer la promiscuité, aux murs de la villa familiale. Meziane, 11 ans, est mort sur le coup. Hicham et Younès, jumeaux de 14 ans, s’en sortent avec de sérieux traumatismes. La faucheuse frappe aussi, un pâté de maisons plus haut, chez les Bettit qui perdent Nawal (18 ans) et Anissa (30 ans). Aux mêmes moments, les Lakab perdait Mounir, un collégien de 15 ans. En tout quatre morts, déplorés en quelques secondes dans ce hameau d’un millier d’habitants. En valeur relative, on est dans les 0,4%, comme si frappant à Alger, ce séisme faisait plus d’un million et demi de victimes ! La faute est bien entendu à l’homme avant d’être à la nature ou plus exactement à la pauvreté. Ce sont véritablement de pauvres souffre-douleur sur lesquels s’acharne la nature. Et à Laalam, tout le monde est foncièrement pauvre. « Toutes les belles villas que vous voyez ça et là appartiennent à des familles aisées qui ont quitté ce patelin avec la montée du terrorisme pour s’installer sous des cieux plus cléments », fait remarquer Hamid, 35 ans et maçon de son état qui rêve d’émigrer au loin « même en Mauritanie si ça se trouve ». Laalam est en fait un village rendu tristement célèbre par les hordes du GIA. Au printemps 1996, cinq femmes qui allaient aux travaux des champs ont été passées à la lame du couteau. Quelques temps auparavant, deux autres femmes et un homme, subissaient un sort similaire. A Tamridjet, chef-lieu communal, des collégiens échappent miraculeusement à l’explosion d’une bombe dissimulée dans une 404 bâchée affectée au ramassage scolaire. En 2002, kidnapping de quatre employés de l’APC. Même s’il paraît finissant, ce temps-là ne continue pas moins d’ empoisonner de ses complications le présent. Iaamaren, le hameau le plus reculé du douar, est vidé de ses occupants sur ordre des autorités militaires. 21 familles survivent encore de nos jours grâce à la solidarité et aux gîtes offerts par les habitants de Laalam, en fait dernière étape des territoires de la République avant l’enfer islamiste. Las des promesses de relogement non tenues, leurs membres, soutenus par un certain nombre de ceux des familles d’accueil, ont, pour la énième fois, fermé le siège de l’APC de Tamridjet. Les péripéties de ces familles marquent d’ailleurs les limites de l’intervention de l’Etat en faveur des sinistrés du séisme de ce lundi. Même s’il a tenu à marquer une forte présence, ici saluée unanimement, en y délégant trois membres du gouvernement (les ministres de la Santé, de la Solidarité et celui délégué aux Collectivités locales), son message est, sans doute, dans le fait que cet auguste aréopage ne comprend pas le ministre en charge du département du logement.

M.B.

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